Vouloir réduire le risque systémique à zéro est risqué. Les quelques banques marocaines concernées vont observer le «wait and see». Le feuilleton Bâle III n'est pas encore clos. Nous sommes plus dans un environnement d'effet d'annonce (pour rétablir la confiance) plutôt que dans celui de véritables actions. Le point avec Fouad Ayari (professeur de Finance à l'American University of Paris, consultant pour plusieurs banques et ancien analyste au New York State Banking Département chargé notamment des questions de Bâle II). - Finances News Hebdo : Pensez-vous que la mise en place de Bâle III soit une nécessité pour les banques marocaines ? - Fouad Ayari : Une nécessité, non, absolument pas. Souhaitable? Peut-être, mais seulement pour les quelques banques actives internationalement, et encore faudrait-il faire une analyse entre coûts et bénéfices qui, je pense, montrera que ça ne vaut pas la peine à moyen terme. - F.N.H: Quel impact aura ce changement au niveau des banques ? - F.A : Au niveau des banques marocaines, pas grand-chose globalement. C'est mon avis. Pour les banques européennes et américaines, une plus grande liquidité sur les marchés de capitaux mais aussi une baisse du Return On Equity, une augmentation des fonds propres et une augmentation des taux d'intérêt qui freinera la croissance. Les ambitions de Bâle III avaient déjà été revues à la baisse. Je pense que nous sommes encore dans une période fragile pour décider sans émotions ; vouloir réduire le risque systémique à zéro est risqué. C'est comme si on voulait réduire le nombre d'accidents de la circulation à zéro en limitant la conduite et en augmentant le prix des véhicules, (en exagérant un peu… Interdisons de conduire!). En plus, chaque pays impose ses propres réglementations locales et nous allons assister à plus de «regulatory arbitrage». Sans parler de l'effet des différences de croissance avec les pays asiatiques. Il y aura aussi un effet à ce niveau-là. - F.N.H: Croyez-vous que les banques marocaines arriveront à relever le défi ? - F.A : Oui, pour les banques les plus importantes (les taux sont déjà plus élevés au Maroc) mais je ne pense pas qu'elles le feront. Le Comité de Bâle vient de donner la version définitive de Bâle III aujourd'hui, mais il laisse tout de même la porte ouverte à des modifications. Je trouve d'ailleurs le processus menant à Bâle III trop rapide (comparé à Bâle II pour lequel le processus a duré globalement 8 ans, de 1998 a 2006). Je pense que les quelques banques marocaines concernées vont observer le «wait and see» et peut-être engager le processus dans plusieurs années, mais certainement pas maintenant. - F.N.H : Est-ce que la mise en place de Bâle III est possible, bien que l'application des règles de Bâle II ne soit pas encore achevée? - F.A : Très bonne remarque ; c'est un peu précipité et nous sommes encore en crise sur les dettes souveraines européennes notamment grecque, irlandaise et bientôt portugaise, espagnole... Donc, ce sera difficile! Mais elle est possible si elle est forcée. Le problème c'est qu'il y aura des conséquences qui iront contre la croissance qui est loin d'être revenue ; donc, je pense que le feuilleton Bâle III n'est pas encore clos. Nous sommes plus dans un environnement d'effet d'annonce (pour rétablir la confiance) plutôt que dans celui de véritables actions. - F.N.H: Une étude de «SIA Conseil» préconise un coût de mise en place de Bâle III pour les banques marocaines d'environ 271 M MAD, qu'en pensez-vous ? - F.A : Je n'ai pas vu l'étude, donc je ne saurais me prononcer sur l'estimation, mais ce que je peux dire c'est que le coût marginal ne sera pas le même qu'en Europe où les banques passent de Bâle II à Bâle III, alors que les banques marocaines n'en sont pas encore à Bâle II. Construire un premier étage revient moins cher, au niveau marginal, que construire un rez-de-chaussée (où il faut d'abord construire les fondations). Propos recueillis par W.M. (stagiaire)