Il est inéquitable que, d'une part, de l'argent public subventionne entre 0,53 et 0,77 Dh pour chacun des 1'100 millions de kWh produits annuellement par les centrales thermodynamiques de Ouarzazate (payés à Acwa Power entre 1,38 et 1,62 Dh et vendus 0,85 Dh à l'ONEE) et que, d'autre part, des milliers de potentiels petits autoproducteurs soient à la merci d'une Loi dictée par les intérêts des distributeurs d'électricité. Même si un Gouvernement venait à le faire, des Parlementaires justes doivent l'en empêcher ! Réuni le jeudi 11 novembre, le Conseil du Gouvernement a approuvé le Projet de Loi 82-21 relatif à l'autoproduction d'électricité dont la lettre de présentation de la Ministre de la Transition Energétique était datée du mardi 02 Novembre 2021. Même s'il est vrai que l'on a corrigé certaines aberrations qui figuraient dans le texte de 2020 (73-20) préalablement critiquées[1], [2], [3], [4], l'alerte sur l'inapplicabilité de la Loi dans les derniers articles[5], [6] est restée lettre morte. Il y a donc lieu de revenir sur l'inapplicabilité de ce qu'il faut bien maintenant désigner par l'inapplicable Projet de Loi 82-21, quitte à en négliger les autres imperfections. A toutes fins utiles, il est rappelé que l'autoproduction d'électricité consiste à produire soi-même une partie ou la totalité de l'électricité dont on a besoin, son corollaire étant l'autoconsommation d'une partie ou de la totalité de l'énergie autoproduite. La Figure 1 montre un schéma décrivant le sens de circulation de l'énergie dans trois cas lors de l'exploitation d'une installation utilisée en autoconsommation et connectée au réseau électrique. Dans l'illustration, le soleil peut être remplacé par n'importe quelle autre source d'énergie, même s'il est vrai que la technologie solaire photovoltaïque est la plus utilisée en autoproduction. Figure 1 Installation solaire photovoltaïque connectée au réseau électrique et utilisée en autoconsommation Que se produit-il instantanément sur une telle installation ? * En haut à gauche : lorsque la puissance produite (flèche verte) dépasse celle qui est demandée (flèche bleue), la consommation est satisfaite et la puissance excédentaire (flèche orange) est spontanément injectée dans le réseau électrique au bénéfice du fournisseur d'électricité et va alimenter les proches voisins de l'autoproducteur. Le compteur bidirectionnel enregistre cette puissance injectée et la durée de l'injection afin de pouvoir totaliser l'énergie électrique injectée. * En haut à droite : lorsque la puissance produite (flèche verte) est insuffisante pour satisfaire la demande (flèche bleue), le complément de puissance nécessaire (flèche rouge) est alors spontanément prélevé sur le réseau électrique alimenté par le fournisseur d'électricité. Le compteur bidirectionnel enregistre alors cette puissance prélevée et la durée du prélèvement afin de pouvoir totaliser l'énergie électrique prélevée. L'ONEE a d'ailleurs déjà développé un « compteur intelligent » conçu pour mesurer séparément l'injection et les prélèvements et qui a été présenté lors d'un séminaire à Benguerir en 2019. Ses spécifications décrites dans l'Article 16 dépassent même le strict cadre d'application de ce Projet de Loi 82-21, sans dire qu'un texte de Loi n'est pas la place appropriée pour des spécifications techniques d'appareillages ! En fin d'une période donnée, mois ou année (en bas au centre), le comptage bidirectionnel de la Figure 1 a certes totalisé séparément les prélèvements sur le réseau et les injections dans celui-ci mais l'énergie électrique consommée (par la maison) ainsi que celle produite (par le solaire) ne peuvent pas être connues par le fournisseur d'électricité, puisque qu'elles n'ont jamais transité par son compteur. Pourtant, sans même connaître la production, l'Article 12 du Projet de Loi 82-21 prévoit que le distributeur d'électricité doit limiter les quantités injectées à 10% de la production et donc pénaliser les contrevenants ! Ces rudiments de l'ingénierie électrique ne peuvent être méconnus par les électriciens qui ont contribué à rédiger ce Projet de Loi. Pourtant, il doit bien y avoir une raison pour que ceux-ci aient écrit ou laissé écrire un texte inapplicable. Force est de croire que l'intérêt des distributeurs dont ils relèvent a primé sur l'intérêt général, de notre indépendance énergétique, des abonnés autoproducteurs existants ou potentiels, des professionnels, de la décarbonation de notre énergie et de ses corollaires douaniers et environnementaux. Mais alors en quoi l'inapplicabilité de la Loi 82-21 sert-elle les intérêts des distributeurs d'électricité ? * D'abord, le statu quo de vide législatif et réglementaire actuel est dans l'intérêt objectif des distributeurs d'électricité. En effet, depuis que l'amendement 58-15 de la Loi 13-09 a permis, depuis 2016, d'injecter de l'électricité dans tous les réseaux électriques du Maroc, tous ceux qui ont déjà placé ou placeront des installations de production utilisées en autoconsommation injectent ou injecteront leurs excédents dans les réseaux que les distributeurs vendent ou vendront à coût nul. Avec de tels intrants invisibles, il ne faut pas s'étonner que la croissance de l'électricité consommée au Maroc ralentisse. Cerise sur le gâteau, la vente en proximité de cette électricité injectée par chaque autoproducteur économise même des pertes de livraisons (6 à 8%) qui ne transitent plus par la complexité du réseau et qui s'ajoutent aux 88 centimes par kWh évités aux heures pleines (07h00-17h00, coïncidant avec la production solaire). Crème chantilly sur la cerise, les malheureux autoproducteurs qui sont équipés de compteurs numériques traitant la valeur absolue de la puissance (compteurs Moyenne Tension ou NOOR) paient même l'électricité qu'ils produisent et injectent ! * Ensuite, parce que les distributeurs voient encore comme contraire à leurs intérêts, à tort, tout ce qui réduirait leurs volumes de ventes. Or, aucun citoyen qui se respecte n'a intérêt à ce que les distributeurs d'électricité du Maroc fassent faillite mais ce qu'il faut, c'est préserver leur valeur ajoutée et non leurs volumes de ventes. Si des solutions existent à cet effet, tenter de brider l'autoproduction est, à terme, la plus mauvaise d'entre elles. La volonté de limiter l'autoproduction réside dans la « réservation » du concept indéfini de « capacités requises » (Article 14) qui représente aussi une brèche à l'interprétation multiple et/ou à une éventuelle subséquente corruption. Avant de proposer des solutions, l'objectif ici était de démontrer l'inapplicabilité de ce Projet de Loi sur l'autoproduction et de comprendre en quoi celle-ci est dans l'intérêt objectif des distributeurs d'électricité. Ce que le Ministère de l'Energie n'a pas fait avant le Conseil du Gouvernement, devra maintenant être fait au niveau du Parlement. Espérons juste que la confortable majorité gouvernementale s'en occupera ! [1] Amin Bennouna, "Autoproduction électrique: deux poids, deux mesures", L'économiste N°5784, 17 Juin 2020 Pages 41-42, https://www.leconomiste.com/article/1063443-autoproduction-electrique-deux-poids-deux-mesures [3] Amin Bennouna, "Stratégie énergétique nationale : Interview avec M. Amin BENNOUNA", Webmagazine Energie, Mines et Carrières, 08 Juin 2021, https://energiemines.ma/strategie-energetique-nationale-interview-avec-m-amin-bennouna/ [5] Amin Bennouna, "Pourquoi doit-on corriger l'avant-Projet de Loi relatif à l'autoproduction d'énergie avant de l'approuver ?", Publié le mardi 09 Novembre par EcoActu, https://www.ecoactu.ma/autoproduction-denergie-electrique/, Publié le mardi 09 Novembre par L'Opinion des Jeunes https://www.lodj.ma/Pourquoi-doit-on-corriger-l-avant-Projet-de-Loi-relatif-a-l-autoproduction-d-energie-electrique-avant-de-l-approuver_a23157.html, Publié le mardi 09 Novembre par Energie, Mines et Carrières, https://energiemines.ma/alerte-sur-lavant-projet-de-loi-relatif-a-lautoproduction-denergie-electrique/,