Il n'est plus temps de faire des vœux pieux pour parler des centrales électriques qui, dans le cadre de la Stratégie Energétique Nationale de 2008, doivent être mises en service avant la fin de cette année 2020 : ne seront alors opérationnelles que celles qui, déjà connues, ont été mises en chantier dans les temps. Alors où en serons-nous à fin 2020 et quel aura été le rôle invisible mais tangible des petits investisseurs-consommateurs ? Ce qui sera sans doute mis en service avant la fin de 2020 Le Tableau 1 montre l'évolution des capacités de production électriques en opération dont les chiffres de 2005 et 2019 permettent de parcourir le fantastique chemin parcouru. On y voit aussi celles qui, dans le meilleur des cas, devraient être en exploitation à fin 2020, que l'on peut comparer avec les objectifs prévus par la Stratégie Energétique Nationale établie en 2008 (deuxième colonne du Tableau 1) et qui ont nécessité la mise en place d'un cadre : * Institutionnel (création de MASEN en 2010 avec l'élargissement de ses prérogatives en 2016, de la SIE et de l'IRESEN en 2011, des IFMEREE en 2012, de l'ANRE en 2015 et transformation progressive du rôle du CDER en ADEREE puis en AMEE en 2016), * Législatif et Réglementaire (détaillé à la fin de cet article). La deuxième colonne du Tableau 1 permet de voir que la capacité des centrales à base de sources non renouvelables (charbon, gaz et pétrole) aurait dû atteindre 8'286 MW étant donné qu'il était prévu : * d'atteindre un cumul de 6'000 MW de centrales à base d'énergies renouvelables (soit 2'000 MW hydroélectriques et la même capacité pour l'éolien et le solaire), * et que ces centrales à base d'énergies renouvelables devaient représenter 42% du total (laissant 58% aux autres). En termes d'évaluation de réalisation de l'objectif des capacités renouvelables, on peut aboutir à deux résultats contradictoires : * l'objectif ne serait pas atteint si l'on considère que l'on n'aura réalisé que 5'298 MW, soit 88,3% de la capacité des centrales à base de sources renouvelable prévue à 6'000 MW, * l'objectif serait atteint si l'on considère qu'avec 42,3%, l'objectif de 42% de puissance électrique renouvelable serait même légèrement dépassé ! Cette contradiction est due à la capacité totale, qui devait atteindre 14'286 MW et qui ne sera que de 12'535 MW à cause des centrales à base de sources non-renouvelables qui n'auront atteint que 7'237 au lieu de 8'286 MW. Mais alors, pourquoi avait-on prévu autant de capacités à base de sources non-renouvelables ? Dans les documents de la Stratégie Energétique Nationale, le besoin prévisionnel de 8'286 MW de centrales à base de sources non-renouvelables était doublement étayé : * par une prévision de Puissance Maximale Appelée (P.M.A., puissance annuellement la plus grande qui est demandée à toutes les entrées du réseau électrique national) qui était attendue à 8'500 MW en 2020, tel que montré par la courbe en rouge du graphique de gauche de la Figure 1, * par une prévision de besoin annuel en Electricité Nette Injectée (E.N.A.) à 52'000 GWh, tel que montré par la courbe en rouge du graphique de droite de la Figure 1. En fait, comme montré par les courbes en vert de la Figure 1, il est fort probable : * que la P.M.A. reste autour de 6'831 MW en 2020 au lieu de 8'500 (graphique de gauche de la Figure 1), * que l'E.N.A. reste autour de 41'585 GWh en 2020 au lieu de 52'000 (graphique de droite de la Figure 1). Du coup, le Maroc s'est trouvé en surcapacité, ce qui explique le passage d'un statut d'importateur net d'électricité à un statut d'exportateur net[i], qui devrait encore durer encore si l'on en croit la Figure 2. Mais alors, pourquoi la consommation d'électricité n'a-t-elle pas atteint les valeurs prévues ? Nous mettrons de côté le fait que les prévisions étaient elles-mêmes sans doute légèrement surévaluées à cause du contexte de l'époque[i] mais il est fort probable que cela ne suffise pas à expliquer les écarts. En effet, il y a d'autres causes qui ont fait que la consommation d'électricité a été plus modérée que prévu et qui relèvent de l'efficacité énergétique (au sens du PIB divisé par l'énergie commerciale consommée) : * D'abord, de l'électricité non-consommée (« négawatts« ) due à la vingtaine de millions de luminaires efficaces (fluorescents puis LED) qui ont remplacé ceux à incandescence et qui permettent : o D'économiser autour de 1'000 MW sur la puissance appelée aux heures de pointe (entre 19h00 et 23h00), soit près de 1/6 de la puissance maximale appelée en 2018 (6'310 MW). Ceci, à lui tout seul permet d'expliquer l'écart de 1'000MW en puissance appelée constaté en 2016 entre le scénario de base (de 2008) et la réalité. o D'économiser autour de 750 GWh/an d'énergie électrique en 2018. * Ensuite, à cause d'énergies consommées qui sont produites par les usagers eux-mêmes sans être répertoriées dans les comptes nationaux et qui proviennent des 750'000 m2 de solaire thermique[ii] mais surtout des 700 MWp de solaire photovoltaïque[iii] (dont la partie hors-centrales a subi une croissance fulgurante depuis 2011), et qui permettent, à eux deux : o D'économiser autour de 850 MW sur la puissance appelée à midi, au milieu des heures pleines (entre 8h00 et 17h00), soit près de 1/8 de la puissance maximale appelée en 2018 (6'310 MW). Mais cette puissance ne peut s'additionner à la précédente car elle ne se produit pas aux mêmes heures. o D'économiser autour de 1'600 GWh/an d'énergie électrique en 2018[iv]. Ainsi donc, les consommateurs ont contribué à économiser ou à produire pour leur propre compte l'équivalent de 2'350 GWh de l'énergie demandée en terminaison du réseau électrique ce qui, avec un rendement total de réseau de 85%, correspondrait à 2'764 GWh soit près de 7% de l'électricité injectée ! En sollicitant moins le réseau électrique, cette multitude de petits investisseurs-consommateurs privés ont largement contribué à libérer des excédents d'électricité exportables. Ces anonymes vont aussi permettre au gouvernement et aux opérateurs publics d'affirmer haut et fort qu'ils ont réalisé les objectifs de 2020. En effet, car si ces économies n'avaient pas été là, on aurait dû mettre en place plus de capacités de production d'électricité par des sources non renouvelables ou faire appel à plus d'importations. La réglementation a-t-elle aidé ces petits investisseurs-consommateurs à réaliser cette prouesse ? L'Amendement 57/15 a été promulgué en 2015 pour amender la Loi 13/09 sur les énergies renouvelables adoptée en 2009. Près de dix ans après la Loi 13/09, le cadre réglementaire est encore loin d'être achevé : * Le Décret 2-10-578 / 2011 contient des procédures administratives d'application de la Loi 13/2009. * Le Décret 2657-11 / 2011 est consacré aux zones destinées à accueillir les grands parcs éoliens mais il n'y a toujours pas de décret fixant les zones de déploiement des grands parcs solaires. * Le Décret 2-15-772 / 2015 fixe les conditions l'accès au réseau moyenne tension (MT). Cependant, certaines décisions ont été déléguées à l'Autorité nationale de régulation de l'électricité (ANRE), créée en 2015 par la Loi 48/15, mais l'ANRE n'a toujours pas pris de à ce sujet. * Un Décret réglementant l'accès au réseau de basse tension (BT) n'existe toujours pas, même si l'Amendement 57/15 le permet. Avec la Loi 54/2014, relevant le plafond de puissance de 50 à 300 MW, tout semble fait pour la production centralisée d'énergie éolienne et solaire et encore rien pour la production décentralisée de solaire photovoltaïque l'électricité. Même la Loi 49/19 actuellement en gestation ne prévoit rien pour cela. Alors pourquoi n'a-t-on pas facilité les choses aux petits investisseurs-consommateurs ? S'il est vrai que les distributeurs d'électricité (ONEE-BE, Régies communales et Concessions privées) ont fait des efforts pour la promotion des lampes à basse consommation, il semble qu'ils jouent exactement le rôle contraire en retardant, tant que faire se peut, la réglementation par comptage différentiel (« net-metering« ) du solaire photovoltaïque, à cause du manque à gagner qu'il leur causerait s'il n'était pas compensé. Le gestionnaire du réseau (ONEE-BE) se plaint d'avoir de plus en plus d'électricité intermittente à gérer mais ce même gestionnaire qui a retardé la construction de la STEP de Abdelmoumen qui aurait permis de lisser ces intermittences. Quant aux gouvernements qui se sont succédé depuis 10 ans, on ne peut pas s'empêcher de constater qu'ils n'ont fait que céder à cette pression depuis la promulgation de la Loi 13/09 qui a déjà soufflé ses 10 bougies maintenant ! On a d'abord évité d'y évoquer l'accès au réseau Basse Tension après quoi on a méticuleusement différé sa réglementation. Serait-ce que les Lois marocaines sur les énergies renouvelables sont, dans leur genèse même, opposées à ce que tous les pays développés ont fait ? Malgré cela, le solaire PV connecté sur le réseau de la BT se développe en l'absence de toute réglementation... un peu comme si l'on avait autorisé l'accès à la route sans code de la route, ni immatriculation, ni permis de conduire ! Mais il est vrai que les triporteurs sont là pour attester que le Maroc n'en est pas à sa première expérience dans ce domaine. Par Amine Bennouna, Professeur à l'Université Cadi Ayyad, Marrakech Références : [1] Amin BENNOUNA, "Ça y est... Le Maroc exporte (aussi) de l'électricité", EcoActu, 04 September (2019), https://www.ecoactu.ma/ca-y-est-le-maroc-exporte-aussi-de-lelectricite-renouvelable/ [1] Amin BENNOUNA, "Electricité au Maroc : Pourquoi pas une stratégie énergétique 2030 version 2.0 ?", EcoActu, 13 January (2019), www.ecoactu.ma/electricite-au-maroc-pourquoi-pas-une-strategie-energetique-2030-version-2-0/ [1] Amin BENNOUNA, "Trois décennies d'énergie solaire thermique au Maroc", EcoActu, 10 December (2019), https://www.ecoactu.ma/trois-decennies-denergie-solaire-thermique-au-maroc/ [1] Amin BENNOUNA, "Trois décennies d'énergie solaire photovoltaïque au Maroc", EcoActu, 04 December (2019), https://www.ecoactu.ma/trois-decennies-denergie-solaire-photovoltaique-au-maroc/ [1] Amin BENNOUNA, "The increasingly important role of decentralized solar energy in Morocco", submitted for publication in Energy Policy under the number JEPO-S-19-04247, will be accessible from https://www.journals.elsevier.com/energy-policy