Ecrit par Imane Bouhrara | La conférence de presse post Conseil de BAM a été l'occasion d'interpeller Abdellatif Jouahri, le Gouverneur de la Banque centrale sur des actualités saillantes particulièrement les crypto-monnaies, les risques financiers liés au changement climatique et l'épineuse question de l'incidence du BEPS pour nos MRE. Voici sa réponse. Verdissement du système financier... en douceur Dans la récente directive relative au dispositif de gestion des risques financiers liés au changement climatique et de l'environnement, il n'y a pas un canevas ou standard commun puisque BAM appelle les établissements à s'appuyer sur les taxonomies internationales. Est-ce que plus tard, chemin faisant on peut aboutir à un label marocain ? Le reporting se fera sur une base annuelle au minimum. Serait-ce le cas également pour les banques à importance systémique ? A cet effet, Abdellatif Jouahri a expliqué « Nous avons été parmi les six banques centrales qui ont constitué le groupement NGSM qui est en train de réfléchir aux problématiques des risques et de financement vert. Mais pour le financement vert et amener le secteur financier à s'y intéresser et le mettre en place, il faut établir une cartographie des risques financiers liés au changement climatique et l'environnement. C'est ce qui est en train de se faire sur le plan international à travers le NGSM et c'est pourquoi nous sommes parmi les promoteurs. Nous avons établi une feuille de route environnement climat pour la COP22 pour le secteur financier marocain et nous allons surveiller de très près sa mise en œuvre. D'où justement cette circulaire sur le dispositif de gestion des risques financiers liés au changement climatique. Bien sûr on s'inspire en cela de la cartographie qui se réalise sur le plan mondial, mais premièrement nous l'adapterons au contexte marocain, puisqu'il y a les pollueurs, ceux en phase transitoire et les faibles émetteurs. Aussi, l'adaptation se fera-t-elle de manière progressive et on accordera les délais qu'il faut à cette fin. A ce titre, nous avons préféré démarrer avec les premiers indicateurs pour le secteur bancaire, obtenir les réactions des uns et des autres, voir les reportings pour évaluer les projets sur la table, et bien évidemment accompagner nous-même cette évolution de la mise en œuvre de la circulaire. Pour les banques systémiques, la question est prise en charge globalement au niveau des fonds prudentiels dans ce qu'on leur demande comme supplément de coussin de fonds ». Crypto-monnaies, on observe et on se prépare Concernant la mise en place d'un Comité institutionnel consacrée aux Monnaies Digitales de Banque Centrale. Quel rôle incombe à ce comité et peut-on avancer l'idée que BAM à l'instar d'autres banques centrales serait encline à créer sa propre monnaie numérique ? Les seuils records franchis par le bitcoin ne confortent-ils pas l'hypothèse selon laquelle il s'agit plus d'un actif spéculatif numérique que d'une monnaie numérique ? Et Abdellatif Jouahri d'expliquer « Il faut dire que la crise est passée par là, démontrant que le digital ou le numérique va prendre beaucoup de place et beaucoup d'importance, pas uniquement dans les domaines du commerce ou de services mais également dans le domaine monétaire. Dans ce contexte la banque centrale doit être agile et active, en mettant en place un comité avec trois groupes de travail, puisque le comité n'est pas exclusivement dédié à la monnaie numérique mais inclut également les actifs numériques et il suivra de très près les évolutions de ces actifs. Il ne faut pas oublier qu'en 2018, lorsque des Marocains avaient lancé des actifs mais à partir de plateformes extérieures, il n'existait aucun texte réglementaire pour ce type d'activité. Et rappelez-vous, nous avions attaqué le problème par le biais de la protection des consommateurs, en les avertissant sur les risques encourus. Pas plus tard qu'avant-hier, le président de la FED annonçait que le bitcoin n'est pas une monnaie, c'est peut-être un actif mais il est spéculatif. Et même si l'on veut faire de la spéculation, cela doit être encadré par une réglementation sur le plan international. À notre niveau, nous disons qu'il ne faut pas que nous soyons en retard. C'est un moyen qui peut être très utile parce que c'est une innovation qui peut même être mise en place dans l'intérêt du consommateur parce que cela permet un gain en coût. Mais cela reste tributaire de plusieurs facteurs notamment par quoi il faudra commencer et dans quel environnement nous allons agir. Il faut rappeler qu'il y a la monnaie de détail et la monnaie de gros. Nous pouvons éventuellement commencer par la monnaie de gros, entre les banques et la Banque centrale, avant d'aller vers le grand public, ce qui est une autre paire de manche. En plus de la mise en place de ce comité, la Banque centrale marocaine est en relation avec ses homologues très avancées sur le sujet notamment les Banques centrales du Canada, d'Angleterre et de Suisse. Tout le monde est en train de juger non pas seulement de ce qui est innovation mais également de tout ce qui est risque. Il ne faut pas oublier que le G20 a demandé au GAFI, dans la directive de 2019 d'inscrire parmi les acteurs à risque, ce qu'il a appelé les prestataires de services des crypto actifs en estimant que c'est un canal de blanchiment et de financement largement ouvert. L'Europe a également pris des mesures en mettant en place le MICA (Markets in crypto-assets) pour évaluer ce qui est positif sur le plan de l'innovation et des échanges et en même temps de regarder tous les aspects risques que présentent ces actifs. A notre niveau, la mise en place du comité dédié aux monnaies numériques ne signifie pas que Bank Al-Maghrib va se lancer. Pas du tout. Mais si les choses évoluent et elles vont évoluer très vite, il faut veiller à ce qu'il n'y ait pas une fracture entre nous et les pays développés. Il vaut mieux au moins sur le plan des études et des analyses approfondies, être proactif et avancer sur les échanges avec les autres banques centrales partenaires, pour pouvoir constituer une vision et une documentation qui puissent, s'il faut y aller, aider à la prise de décision et à l'encadrement d'une telle activité. Donc pas de précipitation, mais sans perdre pied. Il faut que nous soyons prêts pour parer à toute éventualité. BEPS et MRE, nous y sommes ! Enfin, en tant que partie engagées après la signature des conventions fiscales internationales par le Maroc, l'état de préparation et d'avancement de ce chantier étant donné que l'échange automatique devrait démarrer en septembre prochain 2021 (le Maroc a demandé un sursis à 2022) ? Quid des actifs, notamment les comptes bancaires détenus au Maroc par des MRE ? Pour Abdellatif Jouahri « C'est un point important, notamment en ce qui concerne nos Marocains du monde. Evidemment, il faut se plancher sur ce problème de façon particulière. Nous y sommes avec les banques qui ont les MRE comme clientèle. Nous devons voir comment des solutions adéquates peuvent être apportées alliant à la fois notre engagement vis-à-vis de la convention que nous avons signée et la défense des intérêts des MRE dans le cadre de cet échange automatique d'informations sur le cadre fiscal. C'est un problème sur lequel nous sommes en train de bien réfléchir ». 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