Henri-Louis Vedie, professeur émérite au groupe HEC. Considérées comme hautement spéculatives, les crypto-monnaies continuent d'être craintes par les régulateurs qui leur préfèrent les «Stable Coins» ou les monnaies digitales. Le Maroc adopte pour le moment une position qualifiée de sage à l'égard de ces actifs. Crypto-actifs : Entre Bitcoin et Libra, le Maroc observe Le sujet des crypto-monnaies est loin de faire l'unanimité dans le secteur financier, que cela soit chez les Banques centrales, qui ont choisi des positions diamétralement opposées sur la manière de réguler leurs actifs, que les autres régulateurs, boursiers notamment. Car certains ont choisi d'intégrer les crypto-monnaies dans leur spectre régulatoire et d'autres non. Dans cette ambiance effervescente, certains pays ont tout simplement choisi d'observer, du moins pour le moment. Ce qui est en soi une décision pas du tout neutre, car elle implique une certaine acceptation.
Crypto-monnaies : Les deux grandes tendances Deux grands modèles émergent aujourd'hui : le Bitcoin et les crypto-monnaies similaires, d'un côté, et la Libra de Facebook qui défraie la chronique avant même son lancement, de l'autre. Henri-Louis Vedie, professeur émérite au groupe HEC, est l'auteur d'un article publié récemment par le Policy Center of the News South. La Direction des études et des prévisions financières (DEPF), relevant du ministère des Finances, l'a invité récemment à exposer ses convictions. Il résume les différences entre les deux crypto-monnaies qui peuvent, selon lui, s'opposer ou se compléter. «Le Bitcoin est spéculatif, ce qui l'éloigne du caractère monétaire que certains veulent lui attribuer. A l'inverse, la Libra, monnaie en devenir de Facebook, essaie de corriger certains aspects négatifs du Bitcoin, monnaie virtuelle, n'ayant aucune contrepartie réelle. C'est pourquoi la Libra se veut être un Stable Coin». L'émission de la future Libra est strictement en relation avec la détention de titres d'Etat et/ou de devises. Pour autant, les autorités bancaires privées et centrales ne semblent pas vouloir faciliter son émission. «Absentes lors de la création du Bitcoin, elles entendent peser de tout leur poids pour encadrer la Libra et différer sa date de lancement», explique Vedie, qui ne cache pas son scepticisme face à ces «monnaies virtuelles». Pour lui, même le terme monnaie ne doit pas être utilisé pour ces actifs. LIRE AUSSI : Cryptomonnaies : Ces états qui franchissent le pas Si 2017 fut l'année de la médiatisation des cryptomonnaies, 2020 pourrait être celle de leur institutionnalisation à grande échelle. Après les entreprises, c'est au tour des Etats de se lancer dans l'aventure et d'adapter leur réglementation en la matière... Lire la suite Crypto-monnaies : La position marocaine Lorsque le Bitcoin a pris de l'envergure au Maroc, notamment avec la prolifération de rabatteurs pour les plateformes de trading, l'Office des changes s'était empressé de rappeler que ce type de placements est interdit par la législation marocaine. Bank Al-Maghrib a eu la même posture, en mettant en avant que les crypto-monnaies n'ont pas de statut juridique ou de cadre juridique propre et ne font pas l'objet d'une régulation. «Ce sont des actifs hautement spéculatifs, qui exposent de ce fait leurs détenteurs à un risque de pertes substantielles, notamment parce qu'ils ne correspondent pas à une créance sous-jacente vis-à-vis de l'émetteur», disait Abdellatif Jouahri, wali de BAM, dans un discours récent lors d'une manifestation sur la Blockchain. De plus, Jouahri insistait sur la grande volatilité des crypto-actifs et leur acceptation limitée qui découragent leur utilisation comme réserve de valeur ou comme moyen de paiement, et rendent difficile leur emploi comme unité de compte. Mais le wali de Bank Al-Maghrib s'est montré plus ouvert au Stable Coin. «Les Stable Coins bénéficieraient des mêmes avantages que les crypto-actifs et visent à apporter une réponse au caractère volatil de ces derniers en liant leurs valeurs à des actifs ‘réels'», disait-il à la même occasion. Henri-Louis Vedie a salué la position réservée des autorités financières marocaines, aussi bien de la part de la Banque centrale que de la part du ministère des Finances. «Le Maroc a raison de ne pas être d'accord avec quelque chose qui remet en cause son autorité et sa souveraineté».
Crypto-monnaies : E-monnaies - Le consensus Du côté des Banques centrales, les études et les expérimentations s'accélèrent pour explorer la possibilité de proposer une sorte d'évolution de la monnaie classique qui pourrait avoir la forme «digitale» des crypto-actifs, tout en étant une «monnaie» à part entière. C'est ainsi que Abdellatif Jouahri avait résumé l'émergence des monnaies digitales, que Vedie salue à son tour, notamment avec les initiatives sérieuses de pays comme la Chine et la France. Des monnaies qui évitent les risques de perte de souveraineté que fait planer la Libra du très puissant Facebook ou le Bitcoin planétaire aux origines toujours méconnues. Ces monnaies digitales répondraient à une réglementation classique et généreraient d'importantes économies aux Etats. En tout cas, le curseur sera placé quelque part où il laissera de l'espace à la créativité tout en préservant les acquis des systèmes financiers. Pas évident. ◆