Le président du Front de salut national syrien, Fahd Al Masri, expose les opportunités économiques et stratégiques d'un rapprochement syro-marocain et révèle comment l'Algérie a manipulé la perception syrienne du Maroc, semant les graines d'une discorde qui n'a que trop duré. Un témoignage exclusif sur les coulisses d'une relation complexe. - L'ancien régime syrien, sous Hafez el-Assad, a entretenu des relations étroites avec l'Algérie et a soutenu le Front Polisario. A quel point le soutien de la Syrie aux thèses séparatistes a-t-il constitué un obstacle majeur à l'amélioration des relations avec le Maroc ? - Tout d'abord, il convient de rappeler que les relations entre le Maroc et la Syrie sont profondes et historiques, et que la civilisation andalouse n'est que l'un des résultats de la coopération entre Marocains et Syriens. Cependant, les relations politiques ont été marquées par des tensions sous les régimes d'Assad père et fils. Ces tensions découlaient, en grande partie, d'une perception biaisée du Royaume à Damas, influencée par l'Algérie. La personnalité de Hafez el-Assad, connue pour son agressivité, a également contribué à ces divergences, qui ne se limitaient pas au Maroc pour concerner la plupart des pays arabes. D'ailleurs, pendant près de 15 ans, j'étais très proche d'Abdel Halim Khaddam, qui était alors ministre des Affaires étrangères d'Assad père et fils, puis leur vice-président. Je me souviens, précisément, de tous les détails qu'il m'a racontés sur le Maroc, l'Algérie et le Polisario. Il a révélé que la Syrie percevait, initialement, le Maroc comme un pays réactionnaire, une image véhiculée par l'Algérie. Sa rencontre avec feu le Roi Hassan II (en 1972, lors d'une tournée en Afrique du Nord : la Tunisie, le Maroc, l'Algérie et la Mauritanie) a radicalement changé sa perception, le décrivant comme un dirigeant visionnaire et moderne. M. Khaddam a admis que la Syrie avait commis une erreur en jugeant le Maroc sur des informations erronées. Il a également reconnu que la Syrie considérait à tort le Polisario comme un mouvement de libération, sous l'influence de l'Algérie. Pour reprendre les propos de mon interlocuteur, il a déclaré : « L'image que nous avions du Roi Hassan II était effrayante. Mais après l'avoir rencontré, j'ai découvert qu'il était un homme moderne et profond, exprimant une forte affection pour la Syrie et désireux de la soutenir ». Cela explique ce qu'a dit feu Hassan II à l'ancien ministre syrien : « Nous n'avons pas de pétrole, mais nous avons des forces que nous enverrons pour soutenir la Syrie et participer à la guerre (d'octobre 1973, ndlr) à ses côtés ». Les régimes syrien et algérien présentent des similitudes troublantes : autoritarisme, répression et corruption, qui nuisent gravement à leurs populations. Si l'Algérie ne s'engage pas dans une voie de réconciliation nationale et de réformes profondes, elle risque de connaître un sort similaire à celui de la Syrie. - Quels étaient les liens historiques entre la Syrie et l'Algérie, et comment ce soutien mutuel s'est-il manifesté, au fil du temps ? - La Syrie a apporté un soutien indéfectible à la révolution algérienne pour l'indépendance. Cependant, l'Algérie s'est engagée, de 2013 à 2015, dans un partenariat direct et substantiel avec le régime d'Assad, visant à réprimer le soulèvement populaire syrien, précédant ainsi l'intervention russe. Sur le plan matériel, l'Algérie a fourni des ressources énergétiques essentielles à la machine militaire syrienne, ainsi que des experts militaires et sécuritaires, des aéronefs de combat et des pilotes pour mener des opérations de bombardement contre les villes syriennes. Un soutien logistique comprenant des armes, des munitions et du matériel militaire a également été apporté, parallèlement à un appui financier, économique, politique et diplomatique constant. L'Algérie a, en outre, maintenu une défense inébranlable du régime d'Assad au sein des instances internationales, notamment aux Nations Unies et dans les forums régionaux. D'ailleurs, ces éléments sont confirmés par les déclarations de Mohamed Larbi Zitout, ancien diplomate algérien, et exilé en Grande-Bretagne, dont la crédibilité est largement reconnue. De notre côté, nous réitérons notre demande à l'Algérie de présenter des excuses publiques et officielles au peuple syrien, et de procéder aux indemnisations nécessaires en réparation de sa participation, aux côtés du régime d'Assad, aux crimes de guerre et aux crimes contre l'humanité, ainsi qu'à la destruction des villes et villages syriens. A cet effet, nous accordons un délai de quatre à six semaines, au terme duquel, en l'absence de réponse, nous serons contraints d'inclure l'Algérie dans la liste des pays visés par un projet de loi, que nous entendons soumettre au Congrès américain avec le concours de nos partenaires au sein de l'Administration américaine. L'objectif de cette démarche est d'établir la responsabilité de certains Etats dans les atrocités commises à l'encontre du peuple syrien, et de permettre la réparation des préjudices humains et matériels subis. Dans ce sens, nos estimations évaluent le montant des indemnisations dues par l'Algérie à plus de 150 milliards de dollars. Les montants concernant l'Iran et l'Irak sont respectivement estimés à au moins 500 milliards de dollars et environ 200 milliards de dollars, sans compter les autres pays concernés. En effet, le projet législatif envisagé prévoit la saisie des actifs mobiliers et immobiliers, ainsi que des revenus pétroliers des Etats concernés, afin de financer la reconstruction de la Syrie et d'assurer une indemnisation intégrale des pertes humaines et matérielles subies par la population syrienne. Les chiffres sont accablants : plus d'un million de Syriens ont été assassinés de sang-froid, et plus de dix millions ont été contraints au déplacement, devenant réfugiés ou déplacés internes. Par ailleurs, plus de la moitié des villes syriennes ont été anéanties, et les infrastructures du pays ont été ravagées. Ces atrocités ne sauraient demeurer impunies et exigent une réparation juste et équitable. La capacité militaire du Maroc à neutraliser le Polisario est indéniable, et ce, rapidement. Néanmoins, le Royaume privilégie une résolution politique et diplomatique du conflit. Le véritable danger émane désormais de l'Algérie. Le Polisario, instrumentalisé par l'Iran, constitue une menace pour la sécurité nationale algérienne, suite à l'infiltration iranienne des institutions militaires et sécuritaires algériennes, à l'image de ce qui s'est produit en Syrie. L'Algérie, par ses agissements, se met en danger. Il est crucial qu'elle prenne exemple sur les conséquences subies par le régime d'Assad. - Pour revenir au Maroc, le Royaume conditionne ses relations avec les autres nations à la reconnaissance de son intégrité territoriale. Du côté de la Syrie, les échos sont-ils favorables à une demande portant sur la marocanité du Sahara par la Syrie ? - Le Front de salut national syrien a communiqué à la nouvelle direction de la Syrie sa position et sa vision : la reconnaissance officielle de la souveraineté du Royaume du Maroc sur son Sahara, l'ouverture d'un Consulat à Laâyoune, la rupture des relations avec le Polisario et son expulsion de Damas. Cette démarche est le minimum attendu de la Syrie pour exprimer sa gratitude et sa loyauté envers le Maroc, en reconnaissance des nobles positions qu'il a adoptées à l'égard de la Syrie et du peuple syrien. La reconnaissance de la souveraineté du Maroc sur son Sahara fait l'objet d'un consensus au sein du monde arabe, à l'exception notable de l'Algérie. La majorité des puissances internationales, dont les Etats-Unis d'Amérique, ont officiellement reconnu la souveraineté du Maroc sur son Sahara. Même la France, bien qu'elle entretienne des relations privilégiées avec l'Algérie, a également reconnu cette souveraineté. Je suis convaincu que la question du Sahara ne constituera pas un obstacle à l'établissement de relations renouvelées entre la Syrie et le Maroc. Bien que le régime d'Assad ait pris fin, la nouvelle direction à Damas doit faire face à de nombreux défis et problèmes qu'elle devra résoudre progressivement. Les contacts entre Damas et Rabat ont déjà été initiés, et le ministre marocain des Affaires étrangères a été parmi les premiers à établir le dialogue avec Damas. La nouvelle diplomatie syrienne a besoin de temps pour définir sa vision et ses positions sur divers dossiers. Il est donc nécessaire de faire preuve de patience. En tant que Syriens, nous aspirons non seulement à entretenir de bonnes relations avec le Maroc, mais également à établir un modèle de coopération, de coordination et de partenariat stratégique exemplaire dans tous les domaines. - Quels sont les intérêts économiques et stratégiques potentiels pour le Maroc et la Syrie dans le rétablissement de leurs relations diplomatiques ? - Après la reprise des relations diplomatiques et la mise en place d'un partenariat stratégique, nous souhaitons tirer parti de l'expérience marocaine en matière de bonne gouvernance et de projets de développement. Il est crucial pour nous de bénéficier de l'expertise de l'Etat marocain dans la reconstruction des institutions syriennes, qu'elles soient civiles ou militaires. L'expérience du Maroc, l'un des plus anciens et prestigieux royaumes du monde, est d'une richesse exceptionnelle dans les mondes arabe et islamique. Nous aspirons également à une coopération étroite avec le secteur privé marocain pour les projets de reconstruction et de développement des infrastructures en Syrie.