Pour Abdellatif Jouahri, le Wali de Bank Al-Maghrib la marge de manœuvre dans le secteur bancaire demeure énorme malgré le climat d'incertitude. II avertit néanmoins des idées simplistes qui peuvent créer une situation d'insolvabilité. Le Conseil de Bank Al-Maghrib est une occasion propice pour prendre le pouls « financier » du pays. Surtout dans la conjoncture actuelle empreinte de lourdes incertitudes en raison de la pandémie de la Covid-19. D'ailleurs, à l'issue du Conseil de BAM de ce 22 septembre 2020, qui a décidé de maintenir le taux directeur à 1,5%, les scénarios de la croissance ont été revus à la baisse, en raison d'une reprise plus lente que prévue mais aussi en raison des développements de la situation épidémiologique qui pèse sur l'activité de manière générale. Si en juin, BAM tablait que une récession de 5,2 % en 2020, actuellement la récession serait de 6,3%. Un scénario qui peut changer au même rythme que la conjoncture, avertit A. Jouahri. En 2021, avec une campagne agricole de 75 millions de quintaux et une amélioration de la valeur ajoutée non-agricole, BAM table sur une croissance de 3,7%. « Ces scénarios restent entourés d'incertitudes en raison de la pandémie et tributaires de la reprise aussi bien au niveau national qu'international », explique Abdellatif Jouahri, Wali de Bank Al-Maghrib lors du point de presse tenu après le Conseil. En attendant que le plan de relance de 120 milliards de DH dont les détails seront dévoilés lors de la présentation du projet de Loi de Finances 2021, une grande pression est exercée sur le secteur bancaire pour accompagner le secteur économique vers une sortie de secours. Selon les données de BAM, au cours du deuxième trimestre 2020, les conditions monétaires ont été marquées par la poursuite de la baisse des taux débiteurs et par une dépréciation du taux de change effectif. Pour ce qui est du crédit au secteur non financier, il a progressé, en rythme annuel, de 6,2% contre 5,5% un trimestre auparavant, recouvrant une accélération pour les prêts accordés aux entreprises privées, une reprise des concours aux entreprises publiques et un ralentissement de la croissance des crédits aux ménages. Le secteur est très sollicité au moment même où il est en proie à une crise de liquidité accentuée par une accélération de 9,5% à 20,1% de la progression de la monnaie fiduciaire. Les dernières données disponibles indiquent un creusement du déficit de la liquidité bancaire à 102,7 milliards de DH en moyenne en juillet et à 106,2 milliards de DH en août. Tenant compte également de l'évolution prévue de la fiduciaire, le déficit de liquidité bancaire devrait s'établir à 82 milliards de dirhams à fin 2020 et à 109,8 milliards à fin 2021. Pour parer cette situation, Bank Al-Maghrib a augmenté significativement le montant de ses injections, les portant à 114,7 Mds de DH. Le Wali de Bank Al-Maghrib a précisé dans ce sens que BAM continuera à accompagner les banques tant que c'est pour financer l'économie, assurant dans ce sens que la marge est « énorme ». Le besoin de financement a été couvert par des ressources intérieures d'un montant net de 32,8 milliards et par des concours extérieurs nets de 15,2 milliards. Les tirages extérieurs bruts se sont élevés à 20,1 milliards, dont 10,1 milliards proviennent de la Banque mondiale, 3,9 milliards du Fonds Monétaire Arabe et 3,4 milliards de la Banque Africaine de Développement. « On continuera à accompagner même en 2021 si nécessaire mais il faut que le secteur bancaire reste résilient et qu'on ne retrouve pas les problèmes de solvabilité. Surtout pour les banques systémiques », précise-t-il. Le Wali de Bank Al-Maghrib a été interpellé sur la question de la planche à billets et de la libéralisation des échanges et autant dire que le niet de juin d'Abdellatif Jouahri n'a pas bougé d'un iota. Il a réitéré le risque d'une telle démarche sur les réserves en devises. Il prend par ailleurs comme exemple l'Algérie dont les réserves de changes ont chuté de 240 milliards de dollars, soit 5 ans d'importations de biens et services, à 50 milliards de dollars. Il estime d'ailleurs que la Banque centrale fait déjà suffisamment preuve de flexibilité notamment sur les règles prudentielles. « Il ne faut pas céder à des idées simplistes au risque de précipiter le pays vers une situation d'insolvabilité », argue-t-il. Sur un autre registre, les créances en souffrance ont connu une hausse sensible ces derniers mois, avec un ratio au crédit bancaire passant de 7,8% en mars à 8,2% en juillet (augmentations de 14,2% de celles des ménages et de 6,3% de celles des entreprises non financières privées). Mais le Wali de BAM tempère, en assurant que tout ce qui est garanti par l'Etat est moins risqué. De même que les moratoires qui sont des impayés ne peuvent être comptabilisés comme créances en souffrance. « Nous attendons la réunion du mois de novembre avec le GPBM pour y voir plus clair et savoir où en sommes-nous », informe le gouverneur de la Banque centrale, rassurant et prudent à la fois. La situation est plus critique du côté des sociétés de financement sous le coup d'une reprise qui se fait très lente. Dans ce même sillage, le Wali de Bank Al-Maghrib a annoncé que la Banque centrale travaille sur un projet de circulaire pour encadrer la dation en paiement, en concertation avec le secteur dans cette dynamique de flexibilité imposée par la pandémie de la Covid-19.