◆ Bank Al-Maghrib a maintenu son taux directeur inchangé, tout en révisant à la baisse ses prévisions de croissance. ◆ Abdellatif Jouahri renvoie à la prochaine Loi de Finances pour mesurer l'impact du plan de relance.
Par A. Hlimi
Jamais les incertitudes n'ont été aussi nombreuses et, paradoxalement, jamais le statu quo monétaire n'a été aussi fortement anticipé par les opérateurs. Il faut dire que Bank Al-Maghrib en a beaucoup fait en juin avec une baisse du taux directeur de 50 points de base et une libération intégrale de la réserve obligatoire des banques, ce qui a permis d'injecter 12 Mds de dirhams immédiatement dans le circuit bancaire. Plus tôt dans l'année, Bank Al-Maghrib avait élargi le spectre des crédits qu'elle accepte en collatéral et augmenté la fréquence et la maturité de ses financements pour soutenir la liquidité bancaire. Des mesures qui avaient été saluées et qui ont permis de garder les taux de refinancement des banques à des niveaux bas. Il fallait donc laisser du temps à la transmission monétaire pour irriguer la sphère réelle. De plus, la Banque centrale avait tout intérêt à garder les quelques cartouches qui lui restent en réserve pour faire face à une crise qui s'enlise et qui augmente le manque de visibilité, d'autant plus que les entreprises ont globalement pu se financer à de meilleurs taux le trimestre passé, particulièrement les TPE. Justement, le manque de visibilité sur l'avenir des réserves en devises a sans doute pesé à son tour dans le choix du Conseil. On sait que le Trésor prévoit de sortir à l'international. Le fera-t-il en septembre comme annoncé auparavant ou plus tard ? Le ferat-il pour 10 Mds ou 20 Mds de dirhams ? Et dans quelles conditions ? Sans doute que la Banque centrale aura besoin d'intégrer ces informations pour prendre de nouvelles décisions, ce qui a renforcé le consensus d'un statu quo pour la réunion de septembre. Chose qui s'est confirmée. La reprise en V passe à la trappe Précédemment, la Banque centrale avait intégré dans son scénario central une fin de confinement en juin et une reprise rapide de l'économie, pour terminer l'année sur un ralentissement de -5,2%. Désormais, la croissance a été revue à la baisse, avec un nouveau scénario de croissance à -6,3% en 2020 et une reprise plus lente que prévu. Le wali de Bank Al-Maghrib, Abdellatif Jouahri, serein lors de cette conférence de presse de rentrée, nous ex-plique que ce scénario ne prend pas en compte le plan de relance de 120 Mds de dirhams. Car si les préparatifs vont bon train pour le mettre en place, le gouvernement ne l'a pas encore opérationnalisé et n'en a pas précisé les modalités, notamment en ce qui concerne le Fonds stratégique, ses mécanismes de fonctionnement, les secteurs qu'il cible, son actionnariat... Pour cela, il faudra attendre le projet de Loi de Finances qui sera déposé en octobre et qui apportera des précisions. «On pourra l'intégrer dans nos prévisions en décembre», a-t-il promis. En attendant, l'institution continuera d'évaluer la situation mensuelle et à ne pas exclure des interventions hors période de Conseil pour soutenir l'économie. Le déficit budgétaire va se creuser plus que prévu en juin Sur les huit premiers mois de l'année, le déficit budgétaire a atteint 46,5 Mds de dirhams contre 35,2 Mds une année auparavant, soutenu en partie par 9 Mds de dirhams disponibles dans le Fonds Covid-19. L'institution s'attend désormais à un déficit de 7,9% cette année contre une prévision de 7,6% en juin. Dans ce contexte, l'endettement du Trésor devrait augmenter à 65% du PIB pour atteindre 76,1% en 2020 et 75,9% en 2021. A noter que la dette extérieure du Trésor passerait de 14% du PIB en 2019 à 18,4% en 2020 et à 19,3% en 2021. Liquidités bancaires : Jouahri rassure «Bank Al-Maghrib continuera à financer le déficit de liquidité bancaire des banques autant que nécessaire, tant que cela sert à financer l'économie», martèle le gouverneur de la Banque centrale, interpellé sur ce déficit qui dépasse régulièrement les 100 Mds de dirhams. Selon lui, la Banque centrale dispose d'un collatéral de 340 Mds de dirhams constitué par les banques et qui est le potentiel de refinancement. Autant dire que BAM a suffisamment de marge sur ce sujet. Paiement mobile : Nouveau coup de gueule Mais les tensions sur les liquidités font à chaque fois sortir le gouverneur de ses gonds. Comme en juin, il s'est indigné du retard pris par le déploiement du paiement mobile. «Le mobile banking est un instrument de lutte contre le cash. Il permet des gains sur le temps et sur le coût des opérations. Il existe aujourd'hui 1,5 million de Wallet installés. Il faut donc que l'écosystème se mette en place», martèle-t-il. «Sur le plan technique, les tests du switch ont été réalisés et les prérequis sont là. Sur le plan institutionnel, le groupement d'intérêt économique est en place avec ses structures et il est temps de mettre en place une opération pilote», poursuit le gouverneur. Il pense à l'opération Tayssir qui pourrait être menée de la sorte, avec pour première région Casablanca. Une opération pilote qui devrait mettre d'accord toutes les parties prenantes. Abdellatif Jouahri en est convaincu. «Nous sommes persuadés que ce sera une réussite et je vais veiller à ce qu'on ne perde plus de temps sur le déploiement de ce chantier, quitte à ce que je frappe à toutes les portes». Et si Abdellatif Jouahri insiste, c'est parce que la circulation fiduciaire crée des tensions pour le secteur bancaire. Exacerbée par les aides gouvernementales pour faire face à la pandémie, la circulation fiduciaire a connu une hausse exceptionnelle de 65,5 Mds de dirhams au cours des 7 premiers mois de l'année, soit plus de trois fois et demi la hausse enregistrée en 2019. Selon les projections de la Banque centrale, elle terminerait l'année en hausse de 16%, avant de retrouver un rythme qui se rapproche de son évolution historique l'année d'après. En chiffres, la monnaie fiduciaire devrait dépasser le seuil historique de 310 Mds de dirhams cette année, après 266,8 Mds une année auparavant, participant grandement au creusement du déficit de liquidité bancaire attendu à 82 Mds de dirhams en 2020 et à 110 Mds en 2021.
Les transferts des MRE résistent, les recettes de voyages s'écroulent Les recettes de voyages devraient connaître un effondrement sans précédent cette année, passant de 78,8 Mds de dirhams en 2019 à 23,9 Mds de DH en 2020, avant de remonter à 49,1 Mds de DH une année après. Directement liées aux restrictions de voyages à l'international, ces recettes sont l'un des agrégats macroéconomiques qui subiront le plus les effets de la crise sanitaire. En face, les transferts des MRE résistent. Ils donnent du baume au cœur, selon le wali, puisque leur baisse serait limitée à 5% cette année. En cause, des transferts de l'étranger pour aider les familles et des transferts automatiques dans le cadre des pensions et retraites versées depuis l'étranger et qui restent décorrélées de la crise.