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COVID-19 comparaison entre le Maroc et la Tunisie après 3 mois de la pandémie
Publié dans EcoActu le 15 - 07 - 2020

La maladie COVID-19 est due au virus SARS-CoV-2 identifié pour la première fois en Chine le 7 janvier 2020. Les premiers cas ont été rapportés le 31 décembre 2019 dans la ville de Wuhan [1]. L'Organisation mondiale de la santé (OMS) a déclaré le 30/01/2020 l'épidémie actuelle du SARS-CoV-2 comme une urgence de sante publique de portée internationale. Puis après propagation rapide et accélération des cas au niveau mondial, l'OMS a officiellement déclaré, le 11 mars 2020, que l'épidémie de COVID-19 était une pandémie [2, 3].
Méthodologie
Dans cet article, j'essaie de décrypter l'évolution de la situation épidémiologique au Maroc en la comparant avec celle de la Tunisie. Les données brutes ont été prises des sites Worldometers relatifs aux deux pays [4, 5] et des circulaires et Bulletins épidémiologiques du Ministère de la santé [6, 7, 9].
Les données cliniques et thérapeutiques ne sont pas disponibles. Je ne pourrai donc pas donner d'explications concernant les décès (nombre total et taux de létalité (TL)). Certes, les politiques, les systèmes de santé et les capacités de prise en charge et de dépistage, varient entre le Maroc et la Tunisie mais les différents chiffres permettent de suivre les trajectoires du SARS-CoV-2.
Les chiffres reflètent deux déterminants essentiels : les mise à jour des définitions épidémiologiques des cas suspects [6, 7] et le nombre de tests virologiques RT-PCR réalisés.
Pour pallier à la complexité de l'analyse des chiffres quotidiens, du fait de la variabilité plus ou moins importante selon le pays, je vais analyser les chiffres mensuels. L'instabilité des chiffres entre un jour et l'autre réside dans la notion de variabilité qui est une constante universelle dans les sciences humaines. On dit « Il n'y a pas de vie sans variabilité ». C'est ce que nous constatons sur les graphes journaliers, par les dents de scies. Pour pallier à cela, certains chercheurs calculent les moyennes mobiles sur 3 ou 7 jours.
Résultats
1- Situation épidémiologique au 30 juin 2020
Au Maroc, le premier cas de la COVID-19 a été déclaré le 02 mars 2020 et le 1er décès le 11 mars 2020. A la date du 30 juin, un total de 12 533 cas confirmés a été enregistré, sur un total de 681 191 prélèvements. L'incidence cumulée étant de 34,0/100.000 habitants (avec une incidence quotidienne moyenne aux alentours de 103,6 ± 95,6 cas [1-563]). L'évolution a été caractérisée par 228 (1,82%) décès et 8 920 guérisons. Parmi les cas dépistés, 3 385 (27%) sont encore actifs et constitueraient un risque de transmission si les mesures de prévention n'étaient pas bien respectées (Tableau 1).
Comparativement à la Tunisie la situation épidémiologique au Maroc est relativement meilleure. En Tunisie le premier cas de la COVID-19 a été déclaré le même jour qu'au Maroc soit le 02 mars 2020. Alors que le 1er décès est survenu 07 jours après celui du Maroc (18 mars). Rapporté au total de la population la Tunisie a effectué trois fois moins de tests que le Maroc. Elle a enregistré une incidence cumulée pour 100 000 habitants des nouveaux cas de la COVID-19 trois fois plus que le Maroc (99,0 versus 34,0) et a enregistré un TL deux fois plus important qu'au Maroc (3,66% versus 1,82%) (Tableau 1).
Au Maroc et en Tunisie l'état d'urgence sanitaire et le début de la levée du déconfinement ont commencé respectivement le 20 mars [12, 13] et le 11 juin 2020 [14] et le 12 mars et le 04 mai 2020 [15].
Tableau 1 : Situation épidémiologique de la COVID-19, au 30 juin 2020 au Maroc et en Tunisie
2- Evolution quotidienne des nouveaux cas :
L'évolution quotidienne des nouveaux cas (Figure 1) est très différente entre les deux pays. L'évolution globale se fait selon des vagues successives plus ou moins longues et plus ou moins hautes (moyennes mobiles des courbes).
Au Maroc après les 2 premières vagues pendant les mois avril et mai et une baisse soutenue fin mai et début juin nous avons assisté à une accession continue qui persiste avec des pics bien plus élevés que ceux observé en avril
Ainsi, après le premier pic des nouveaux cas qui a été enregistré le 17 avril avec 281 cas puis l'évolution a été dégressive avec des vagues qui diminuaient régulièrement d'amplitude. Deux mois plus tard le tableau évolutif a complètement changé avec deux pics successifs, de 539 le 19 juin et 563 le 24 juin (Figure 1).
En Tunisie après l'apogée début avril nous avons assisté à une accalmie assez longue puis une nouvelle vague est apparue pendant la deuxième moitié de juin
Si au Maroc le plateau n'a pas été atteint, et la courbe ne s'est pas aplatie. En Tunisie nous constatons que pendant plusieurs semaines la courbe a été aplatie. Au Maroc il semble que les nouveaux cas soient essentiellement le fait de foyers découverts dans le cadre du dépistage systématique des contacts et dans les unités industrielles et dans certaines professions.
3- Evolution mensuelle des nouveaux cas
Les évolutions mensuelles des nouveaux cas sont différentes (Figure 2). Au Maroc il y a eu une progression importante entre mars et avril (6,2 fois plus de nouveaux cas) puis les chiffres ont augmenté en juin comparativement au mois de mai.
Alors qu'en Tunisie l'évolution est différente, après une augmentation en avril (FM = 1,3) on a observé une chute en mai et en juin. On pourrait dire que la Tunisie a atteint un plateau, et a aplati sa courbe. Actuellement au Maroc, on ne peut pas parler de deuxième vague étant donné que nous n'avons pas obtenu une accalmie longue de l'épidémie.
4- Evolution quotidienne des décès
L'analyse de l'évolution temporelle des décès liés à la COVID-19 doit prendre en considération qu'il y a un décalage entre la notification des nouveaux cas et la notification des décès. Ceux-ci surviennent plusieurs jours après. Donc certains malades décédés par exemple pendant le mois d'avril ont été déclarés pendant le mois de mars !
Le 30 juin 2020, le nombre total des décès au Maroc et en Tunisie était respectivement 228 et 50. L'évolution quotidienne des décès est illustrée sur la figure 3. La majorité des décès sont survenus pendant les premiers mois. Ainsi, 82% en Tunisie, et 74,6% au Maroc des décès sont survenus avant le 30 avril.
5- Evolution mensuelle des décès
A quelques nuances près les évolutions se ressemblent. Au niveau des deux pays les nombres record ont été enregistrés pendant le mois d'avril, (les chiffres ont été multiples par Maroc : 3,7 et Tunisie ;5,8) puis les chiffres ont baissé (Figure 4).
6- Evolution mensuelle des taux de létalité
Le 30 juin 2020, les TL au Maroc et en Tunisie étaient respectivement 1,82% et 3,66%. Les évolutions mensuelles des taux de létalité sont différentes. Au Maroc la chute est toujours constante (ainsi le taux de létalité est passé de 5,8% en mars à uniquement 0,55% pendant le mois de juin). Alors qu'en Tunisie le TL a constamment augmenté entre mars et mai puis a diminué en juin (figure 7). Les TL records ont été enregistrés respectivement au Maroc et en Tunisie pendant mars (5,83%) et Mai (7,95%).
DISCUSSION
Au Maroc, il semble que la majorité des nouveaux cas enregistrés en juin soient découverts à la suite du contrôle rigoureux des contacts ou lors d'un dépistage systématique en milieux professionnels.
Les données concernant les foyers épidémiques (motif de découverte, signes cliniques des porteurs du virus, conditions de travail, conditions de contamination, respect des consignes de sécurité et des gestes barrière) et leur dynamique ne sont pas disponibles pour que nous puissions en faire une lecture critique et en tirer les conclusions adéquates. Je rappelle qu'un foyer épidémique est un lieu où sont survenus des cas groupés de maladies. Donc il s'agit d'une transmission locale avec des cas groupés. En épidémiologie un foyer de contagion est un ensemble de cas de la COVID-19 qui sont reliés entre eux dans le temps et l'espace.
La comparaison des TL apparents entre pays doit prendre en considération le nombre réel des malades. Ce chiffre dépend des définitions épidémiologiques des cas [5, 6] et essentiellement du nombre de tests virologiques réalisés. Plus le nombre de tests effectués est grand, plus on enregistre de cas confirmés, et donc plus le TL apparent baisse. Rapportés à la population totale, le Maroc a effectué trois fois plus de tests. La comparaison doit également prendre en considération le sexe, l'âge et la santé globale du malade, la gravité de la maladie à l'admission, le lieu du traitement (hôpital, à domicile ou ailleurs), la qualité de la prise en charge et les protocoles thérapeutiques particulièrement des formes graves et les critères de recensement des morts. L'OMS estime que La véritable mortalité du Covid-19 mettra du temps à être pleinement connue. Le TL en fin de pandémie, sera significatif des politiques de santé publique menées dans chaque pays.
Au Maroc, quelle explication doit-on donner à cette baisse constante des TL ? S'agit-il de formes cliniques plus bénignes, de terrains pathologiques (âge, sexe et comorbidités) moins problématiques avec le temps, d'une maitrise plus importante du traitement des formes graves, de l'efficacité du traitement intensif des formes bénignes et même asymptomatiques [16], d'une souche virale moins agressive ou d'autres facteurs qui seront objectivés par des études scientifiques sérieuses des cas marocains.
En effet parmi les cas détectés, la proportion des asymptomatiques, stables depuis 3 semaines, représentait 7% des hospitalisés pendant la semaine du 16 au 22 mars, ce chiffre est passé à 71,6% lors de la semaine du 04 au 16 juin [9]. Les patients admis initialement dans un état sévère à critique ne représentaient (le 24 mai) que 2,84% [7] au 16 juin ils étaient 1% [9]. L'autre explication plausible de la baisse du TL concerne l'âge moyen de tous les patients qui avait significativement chuté, du 16 mars au 04 mai, il était passé de 54,8 ans à 34,5 ans [9]. L'analyse des causes de décès liés à la COVID-19, avait révélé le 07 mai sur un total de 2521 cas que le TL était de 7,34% et que les facteurs les plus significatifs (p0,005) étaient l'âge ≥ 65ans, le sexe masculin, l'obésité, l'hypertension artérielle et le diabète sucré [8].
Et en Tunisie pourquoi le TL a constamment augmenté entre mars et mai ? Est-ce que les formes cliniques à l'admission étaient plus graves, les terrains et comorbidité plus graves ou la souche virale plus agressive ? Il serait illogique de penser que les médecins tunisiens n'ont pas su bien traiter leurs malades graves. Là aussi, les études scientifiques des séries apporteront les réponses à ces questions.
Conclusion
La population marocaine est trois fois plus nombreuse que la population en Tunisie. Le premier cas de la COVID-19 a été déclaré au Maroc et en Tunisie le même jour soit le 02 mars 2020. Alors que le 1er décès est survenu au Maroc le 11 mars et en Tunisie le 18 mars 2020.
Rapporté au total de la population la Tunisie a effectué trois fois moins de tests que le Maroc. Elle a enregistré une incidence cumulée pour 100 000 habitants des nouveaux cas de la COVID-19 trois fois plus élevée que le Maroc (99,0 versus 34,0) et un TL deux fois plus important qu'au Maroc (3,66% versus 1,82%).
Il est logique de penser que les systèmes de santé et les moyens mis en œuvre dans les deux pays soient différents. Chaque pays a sa propre dynamique évolutive. Les évolutions mensuelles des nouveaux cas sont très différentes. La Tunisie a atteint un plateau et a aplati sa courbe. Au Maroc il semble que les nouveaux cas soient essentiellement le fait de foyers découverts dans le cadre du suivi des contacts et du dépistage systématique en milieu professionnel. Dans les deux pays la majorité des décès sont survenus pendant la période du 20 mars au 02 mai. Comment peut-on expliquer que l'évolution temporelle des TL soient totalement différentes entre ces deux pays ? La baisse du TL observée au Maroc peut être partiellement expliquée par la baisse de l'âge moyen des malades et l'augmentation des formes asymptomatiques.
Les études scientifiques sérieuses décortiquant les particularité cliniques, biologiques et thérapeutiques permettront de répondre à de multiples questions. La COVID-19 et son virus le SARS-CoV2 n'ont pas encore révélé tous leurs secrets.
Par Saïd EL KETTANI, Cabinet de Médecine Interne. Settat, Maroc [email protected]
Références
(1) Lu H et al. Outbreak of pneumonia of unknown etiology in Wuhan, China: The mystery and the miracle. J Med Virol. 2020;92:401-2.
(2) COVID-19 – Chronologie de l'action de l'OMS,https://www.wo.int/fr/news-room/detail/27-04-2020-who-timeline---covid-19 (dernier acces le 18 juin 2020
(3) Sohrabi C et al. World Health Organization declares global emergency: A review of the 2019 novel coronavirus (COVID-19). Int J Surg. 2020;76:71-6.
(4) Maroc :https://www.worldometers.info/coronavirus/country/morocco/
(5) https://www.worldometers.info/coronavirus/country/jordan/ -- TUNISIE
(6) Ministère de la Santé. Plan national de veille et de riposte à l'infection par le coronavirus 2019-nCoV version du 27/01/2020.
(7) Mise à jour de la définition de cas et du Protocole de prise en charge des cas de COVID-19 et leurs contacts. Circulaire N.Réf : 038 /DELM/00 du 20/05/2020
(8) https://www.worldometers.info/coronavirus/#countries
(9) Bulletin épidémiologique COVID-19 N°5 du 11/05/2020, Direction de l'Epidémiologie et de Lutte contre les Maladies, Ministère de la Santé, Maroc
(10) Bulletin épidémiologique COVID-19 N°6 du 25/05/2020, Direction de l'Epidémiologie et de Lutte contre les Maladies, Ministère de la Santé, Maroc
(11) Bulletin épidémiologique COVID-19 N°7 du 17/06/2020, Direction de l'Epidémiologie et de Lutte contre les Maladies, Ministère de la Santé, Maroc
(12) Maroc : Le décret-loi n°2-20-292 du 23 mars 2020 relatif à la déclaration de l'état d'urgence sanitaire
(13) Maroc : Le décret n°2-20-293 du 24 mars 2020 qui réglemente l'état d'urgence sanitaire pour endiguer l'épidémie de Covid-19.
(14) Le décret N° 2.20.330 portant prolongation de l'état d'urgence sanitaire sur l'ensemble du territoire national
(15) Tunisie : Observatoire national des maladies nouvelles et émergentes. COVID-19 en Tunisie, point de situation a la date du 25 mai 2020. http://www.onmne.tn/fr/
(16) Ministre de la Santé. Prescription et dispensation de la Chloroquine er de l'Hydrochloroquine. Circulaire N°022 : 23 mars 2020


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