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Réforme des retraites : Evitons le jeu politicien
Publié dans Challenge le 25 - 03 - 2016

Tout le monde est d'accord sur la nécessité de réformer la retraite au Maroc, mais tout le monde n'est pas d'accord sur la méthode. Le dialogue qui était relativement serein en 2004 avec Driss Jettou et qui a continué sans résultats après le gouvernement Abbas El Fassi, a pris une dimension conflictuelle avec le gouvernement de Abdelilah Benkirane. Le paquet de réformes structurelles se trouve au centre du programme de ce gouvernement. Des mesures ont été prises dans le domaine de la compensation sans pouvoir instaurer le ciblage des catégories sociales nécessiteuses, des efforts ont été enregistrés dans le secteur social sans réussir à colmater toutes les brèches, mais le secteur de la retraite demeure le talon d'Achille de l'actuelle législature.
La question de la retraite ne peut être traitée comme un dossier simple, ni une affaire politicienne. Les chiffres ont leur importance dans la compréhension de ce dossier, mais ne peuvent à eux seuls expliquer l'extrême urgence que revêt la réforme.
La réforme : une urgence politique
Le gouvernement a, devant lui, un cas qui doit être traité en urgence. Les syndicats sont d'accord, mais placent le curseur sur la case thérapie avec un champ plus large. L'urgence concerne selon eux l'ensemble des compartiments de la retraite qu'ils soient publics, semi-publics ou privés. Sauf que les fonctionnaires et autres agents de l'Etat et de ses démembrements, sont en train de glisser vers une situation dangereuse. Selon les dernières données concernant le régime des pensions civiles, la situation évolue inexorablement vers une catastrophe, dont les manifestions sont visibles (voir tableau).
Des chiffres dangereux et des déficits qui hypothèquent l'avenir
Ces chiffres sont très dangereux pour l'avenir de centaines de milliers de familles et partant, de beaucoup de nos jeunes et de nos seniors. La structure des familles fait apparaitre une tendance à l'accès tardif au marché de l'emploi et aussi un à un recul de l'âge du mariage. Les sexagénaires sont aujourd'hui de jeunes parents qui partent à la retraite au moment où leurs enfants sont encore en âge de scolarité. Cette transformation s'est accompagnée d'une diminution de la marge d'autonomie des jeunes sur le plan matériel et d'une augmentation de leur dépendance à l'égard de leurs parents. La crise économique a ajouté à cette donne sociologique et démographique, une dimension économique qui remet en cause toutes les formes de la solidarité sociale et familiale qui fait le cœur de notre ciment sociétal. Le déficit technique de 6 milliards de dhs en 2016 n'est pas un chiffre que seuls les experts peuvent interpréter, mais une réalité qui met en danger l'avenir de millions de personnes. Le déséquilibre démographique au sens financier du terme, veut dire que demain ceux qui travaillent ne pourraient plus supporter le poids financiers de ceux qui sont en retraite. Aujourd'hui, environ 2 fonctionnaires travaillent pour assurer la pension d'un retraité. En 2019, le nombre de retraités va augmenter d'environ 100 mille personnes. Les données officielles nous offrent un tableau tragique avec des départs à la retraite qui dépassent largement les créations de postes dans la fonction publique :
2016 : 21 567
2017 :23 894
2018 :26 300
2019 : 27 014
Une affaire d'Hommes d'Etat... où sont-ils ?
Peut-on oublier ces données et continuer à attendre une réforme structurelle et profonde ou donner les soins d'urgence à ceux qui sont dans l'urgence. La situation est grave et la politique doit saisir ce moment qui sera déterminant pour l'avenir de beaucoup de générations. Les Hommes d'Etat, les Vrais, doivent entrer en action et non les seuls hommes de la politique. En jeu, des vies, des existences, des choix de comportements et des penchants idéologiques et bien sûr, des fractures économiques. La question n'est point simple. Nous avons saisi un moment politique qui est celui de l'examen par la Chambre des Conseillers du projet de loi 14-72 relatif au régime des pensions civiles et du « refus » de son examen par la commission spécialisée, pour dire que la question est grave et qu'elle mérite un traitement responsable loin des rentes politiciennes.
Peut-on bloquer une réforme en boycottant les réunions d'une commission parlementaire ? La pratique constitutionnelle est malheureusement pleine d'exemples de boycott du travail législatif. L'absentéisme n'est pas qu'une question d'occupations des porteurs de mandats nationaux par leurs affaires professionnelles autres que politiques, ou personnelles, c'est aussi une question de rapport de force à l'intérieur de l'une ou de l'autre des enceintes de l'acte de légiférer au Maroc. Le rythme de la production des textes au Maroc est jugé en deçà des attentes et des réformes qui doivent être mises en vigueur pour changer des réalités économiques ou sociales.
L'exemple le plus marquant en cette fin de législature, concerne une autre forme de la grève. Si les syndicats ont refusé le projet gouvernemental et sont sortis dans la rue, le Chef du gouvernement a décidé de passer outre et de faire passer en force la réforme du régime des pensions civiles. Le conflit au sujet des retraites a pris une connotation politique très forte. En jeu, le rôle des syndicats et l'avenir de leur crédibilité auprès de leurs adhérents et partant, auprès de l'opinion publique.
Le problème de la réforme du régime des pensions civiles est grave et appelle une réelle volonté de réforme et aussi un courage méthodologique pour mener un dialogue social sérieux et non un simple échange de propositions et de contre-propositions. La situation est grave et ne peut supporter des reports. Ce sont des situations humaines et des risques de sombrer dans la précarité qui guette des dizaines de milliers de familles et de leurs membres qui expriment leurs peurs de voir leurs pensions mensuelles diminuer ou disparaitre dans quelques années. Le gouvernement leur dit que l'argent mis dans les réserves est en train de diminuer et que demain ne sera que catastrophe si aucune réforme n'est entreprise aujourd'hui.
Le jeu de l'interprétation des textes juridiques... une perte de temps !!!
La constitution ne fixe aucun délai pour que la Chambre des Conseillers traite, vote et présente son rapport à la séance plénière. Les articles 84 et 85 du texte suprême du Royaume restent muets sur cette situation. La liste des projets de loi qui attendent leur examen au niveau de cette Chambre, pour la seule période couvrant la session d'octobre, fait apparaitre 36 textes dont celui relatif aux pensions civiles (CMR). 24 projets transmis par la Chambre des Députés le 12 février attendent leur examen en commissions, 4 projets attendent depuis le 2 novembre 2015 le passage par ces mêmes commissions et seuls 26 projets ont fait l'objet de vote durant la session d'octobre, dont le texte sur la loi de finances et un grand nombre d'accords internationaux. Le seul cas où les délais de passage est expressément stipulé par la loi, est celui relatif aux délais de passage des projets de loi de finances et des lois de finances rectificatives. Ces dispositions ont été intégrées par la nouvelle loi organique des finances.
Les équilibres de force au sein de la Chambre des Conseillers permettent à l'opposition d'exercer des pressions sur le gouvernement. Les trois plus grands groupes de cette Chambre sont celui du parti de l'Istiqlal (24 conseillers), du PAM (23 conseillers) et du PJD (12 conseillers). Les syndicats occupent 20 sièges et sont majoritairement contre la politique sociale du gouvernement. Il s'agit du front de quatre syndicats (UMT,CDT,UGTM et FDT) et de l'ODT. Le syndicat affilié au PJD n'exprime pas les revendications sociales avec la même vigueur et trouve, parfois, difficile de critiquer l'état du dialogue social. Le boycott de la réunion de la commission reflète cette composition de la Chambre. Bien plus, le Président de la Commission des finances, de la planification et du développement économique n'est autre que l'istiqlalien, Rahal El Mekkawi, l'ancien Secrétaire général du ministère de la Santé qui a été « limogé » par le gouvernement actuel. Allons-nous assister à un blocage de la réforme ou à une relance du dialogue social. Ce qui est sûr, c'est que les syndicats et les partis de l'opposition ne vont pas faire de cadeau « politique» au gouvernement. Le jeu politicien ne peut être évité par l'ensemble des acteurs. Chacun va lire la facture qu'il va présenter à ses électeurs et à ses militants et ce jeu peut nuire à des équilibres financiers qui ont des prolongements économiques et sociaux. Les réserves des caisses de retraites sont un élément essentiel dans le marché financier. Le chiffre de 200 Mrds DH est souvent avancé comme investissements de ces organismes.
La réforme de la retraite est un acte politique d'une grande importance. Il est plus difficile que les autres dossiers, dont celui de la caisse de compensation. C'est pour présenter les points de vue de l'ensemble des acteurs de ce grand dossier, que Challenge a ouvert ses pages à des acteurs syndicaux et politiques, afin de relater leurs positions et permettre à nos lecteurs une lecture multidimensionnelle du projet de réforme des régimes de retraite dans notre pays.
Les regards croisés des responsables politiques et syndicaux
Abdelali Hami Eddine,
President de la Commission de l'éducation et des affaires culturelles et sociales PJD
La réunion de la Commission des finances, de la planification et du développement économique, a été reportée sur demande de certains de ses membres. Le Président a effectivement reporté la réunion mais le second rendez-vous pris pour une nouvelle réunion, n'a pas permis de réunir le quorum. Cette question a fait l'objet de concertations avec le bureau de la Chambre. Les syndicats, l'USFP et le PAM ont une position à l'égard du projet, mais les délais d'examen des projets prévus par le règlement intérieur ne sont que légèrement extensibles. Après les deux mois suivant la réception du projet, le Président de la Chambre peut, après examen d'un rapport du Président de la commission, proroger d'un mois le délai d'examen. Les modifications de la composition de la Chambre des Conseillers et le nombre devant représenter chaque groupe au niveau des commissions ou du bureau rendent, parfois, difficile le fonctionnement des commissions. Dans toutes les conditions, nous devons veiller à ne pas bloquer ou retarder le fonctionnement de l'institution législative. Au PJD, nous sommes ouverts à tout amendement qui va dans le sens de l'intérêt du pays. Le projet du gouvernement ne porte pas que sur des mesures paramétriques, mais englobe d'autres volets à caractère social.
Abdelilah Hifdi, Président du groupe parlementaire de la CGEM
Le régime des pensions civiles géré par la Caisse Marocaine des Retraites (CMR) est en train de sombrer et nécessite de ce fait, un traitement urgent. C'est vrai que le dialogue social doit être pris dans sa globalité et être institutionnalisé, mais il faut aussi dissocier les questions urgentes de celles qui ne le sont pas dans l'immédiat. La concertation est essentielle et nous souhaitons que cette question ne soit pas considérée comme une lutte ou une volonté de passage en force. Le groupe de la CGEM est prêt à apporter ses idées et à enrichir les débats tant au niveau de la commission, qu'au niveau de la plénière.
Mohamed Daidaa,
Membre du groupement de l'action progressiste
La réforme du régime des retraites a des dimensions sociales très grandes. La réforme est indispensable et requiert de ce fait, un consensus de l'ensemble des acteurs de la scène politique et syndicale. Le gouvernement, le parlement et les centrales syndicales doivent être impliqués profondément dans le processus de réforme. Ce dernier, doit viser une réelle transformation du système et non pas s'inscrire seulement dans un moment très restreint. Réformer pour reprendre le dossier dans sept ans, n'est qu'une solution provisoire et qui reporte à une date très proche la crise et ses manifestations financières, comptables et surtout sociales. Nous insistons sur la nécessité de la réforme urgente de l'ensemble des régimes et des caisses (Pensions civiles, Cnss, RCAR..). Mais nous devons réunir les conditions pour réussir cette réforme et ne pas faire supporter la charge aux travailleurs. La Chambre des Conseillers ne bloque pas la réforme et les réunions des commissions se font selon le règlement intérieur. Entre deux sessions, les commissions ne peuvent se réunir si le quorum n'est pas atteint et peuvent, lors des sessions se réunir et délibérer quel que soit le nombre des membres présents. Le consensus est essentiel pour dépasser la logique de la majorité et de la minorité dans un dossier stratégique. Les réformes paramétriques sont nécessaires, mais il faut aller vers une clé de répartition de la charge qui tient compte des normes internationales des 2/3 pour le patronat et 1/3 pour le salarié.
Lahcen Hansali, Membre de la direction de l'UGTM
La première réflexion sur la réforme des régimes de retraites remonte à plus de dix ans. En 2004, M. Driss Jettou alors Premier ministre, avait demandé aux syndicats d'accepter une réforme du régime des pensions civiles géré par la CMR. L'augmentation des cotisations de 6 points a été acceptée et les fonctionnaires ont supporté 50 % de cette augmentation. C'est depuis cette date, que deux commissions (technique et nationale) ont été constituées et ont mené une réflexion profonde sur la retraite. Des chiffres ont été avancés et l'actuariat a démontré que des dangers systémiques guettent les régimes de retraites. Les études effectuées ont été confirmées par les experts du BIT. Nous avons attendu 10 ans pour oublier l'essentiel et entendre dire que le plus urgent doit être fait et que le reste du programme peut attendre. La réforme est un tout et nécessite des solutions, parfois difficiles. Nous pouvons dire à nos adhérents qu'ils doivent accepter des sacrifices, mais il faut leur présenter un programme global de réformes sociales avec notamment des allègements fiscaux qui peuvent compenser, même partiellement, les pertes de leurs revenus. Le CESE, dont l'avis a été sollicité par le gouvernement a insisté sur la nécessité de définir une feuille de route, mais le gouvernement semble ne pas donner une importance à la solution de fond. Il faut penser à mettre en place une lettre de cadrage de la réforme. Option de la moyenne des huit dernières années.
Ali Lotfi,
Secrétaire général de l'Organisation Démocratique du Travail (ODT)
L'intervention de l'ODT nous a été adressée sous forme d'un texte que nous reproduisons, en partie, ci-après :
«L'organisation démocratique du travail/ ODT s'oppose au scénario de réforme de retraites imposé par M. Benkirane pour des raisons multiples : Primo, le projet de réforme est une décision gouvernementale unilatérale qui cherche à réguler sa crise financière sur le compte des fonctionnaires de l'Etat adhérents de la CMR, sachant qu'il cherche à nous demander de travailler plus, de cotiser plus et de toucher moins, alors que l'Etat n'a pas versé ses parts de cotisations pendant une quarantaine d'années. Par ailleurs, il faut rétablir et assainir la situation des caisses, dont les origines remontent à plusieurs années de mauvaise gouvernance et de dilapidation et qui sont sources de leurs déficits.
Secundo, on n'a pas besoin d'une réforme de replâtrage et ce colmatage des brèches de la CMR qui n'est que de courte durée ne dépassant pas l'An 2021.
Tercio, ce projet qui ne vise pas seulement l'allongement de l'âge de départ à la retraite à 63 puis 65 ans et une augmentation du taux des cotisations passant de 20% aujourd'hui, pourrait passer à 28%. Mais plus grave encore, une baisse des pensions pour tous les futurs retraités par l'adoption de la moyenne des 8 dernières années/
Le meilleur moyen de réduire le déficit de ces caisses, c'est par leur unification en une seule caisse et un seul régime équitable».


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