Face à la déferlante de produits textiles chinois sur le marché européen, la bataille semblait perdue pour les textiliens marocains. Depuis lors pourtant, le Maroc a bien riposté. Mais depuis quatre mois, les textiliens ont un nouveau concurrent de taille : le marasme économique en Europe. Comment résister à la déferlante de produits textiles chinois sur l'Europe ? C'est la grande interrogation à laquelle ont essayé de répondre les patrons marocains du textile depuis le démantèlement de l'Accord Multifibre (AMF) en janvier 2005 qui garantissait des quotas d'exportation vers les marchés des pays riches. Il faut dire que cette nouvelle donne était porteuse de menaces mais aussi d'opportunités. Sans action volontariste, tant au niveau des opérateurs qu'au niveau de l'État, le secteur marocain du textile risquait de perdre 30% de ses emplois et 20% de ses exportations en cinq ans. En revanche, si le pays arrivait à mettre en place une bonne stratégie, non seulement ce secteur conserverait ses emplois, mais il pourrait en créer entre 70.000 et 100.000 durant les cinq à huit ans suivant le démantèlement. Le marasme économique, un nouveau concurrent Après cinq ans de repli sur le marché français, les textiliens marocains ont vu leur part de marché se stabiliser autour de 14%. Selon l'IFM (Institut Français de la Mode), les importations françaises de vêtements en provenance de Chine ont continué de bondir en 2008, loin devant l'Italie et les pays du Maghreb, qui résistent toutefois grâce à une plus grande réactivité et à leur proximité. La Chine a multiplié par deux ses exportations d'habillement vers la France depuis 2004, à 4,029 milliards d'euros en 2008, mais le Maroc résiste avec 1,920 milliard d'euros. Il y a eu un moment difficile avec la fin progressive des quotas sur les importations de textile, «mais depuis, ces pays se sont repositionnés sur la qualité et la rapidité», a ajouté l'IFM. Comment le Maroc est-il parvenu à regagner du terrain dans la production textile ? «Il y a eu une redéfinition de la stratégie qui repose sur une modernisation accélérée, une amélioration de la productivité et une évolution vers la co-traitance et le produit fini », dit-on auprès de l'AMITH (Association Marocaine des Industries du Textile et de l'Habillement). Au bas mot, cette performance tient principalement à la géographie, le Maroc est beaucoup plus proche que la Chine des consommateurs européens, mais elle tient également à des coûts et à des délais de livraison imbattables, à la création, aux petites séries et à un meilleur temps de réaction. Au Maroc, par exemple, explique un opérateur du secteur, « les jeans sont fabriqués en moins de trois semaines, quand il en faut parfois le double en Chine ». Mais s'il y a eu plus de peur que de mal face à l'offensive chinoise, les opérateurs marocains affirment avoir trouvé en face d'eux le marasme sévissant en Europe, premier débouché pour les produits marocains, notamment la France et l'Espagne. «A peine remis de la tornade liée à l'abolition des Accords Multifibres, nous voilà plongés dans une nouvelle tourmente, celle de la crise économique mondiale. Cela fait pratiquement quatre mois que nous vivons une conjoncture difficile et délicate. Nous n'avions pas de visibilité pour le restant de l'année et aujourd'hui, la crise financière internationale est là », affirme un opérateur. Une chose est sûre : «les prochains mois vont être les plus difficiles», prédit un autre textilien. En effet, l'habillement a été le premier poste budgétaire sacrifié par les consommateurs européens, obligés, en raison de la baisse de leur pouvoir d'achat, d'affecter plus de ressources aux postes alimentation et transport. Une baisse significative Les importations européennes de textile et d'habillement le montrent clairement puisqu'elles enregistrent, selon les chiffres d'Eurostat (Institut européen de statistiques), arrêtés à la fin de juillet 2008, une régression de 1,3% par rapport à la même période de l'année 2007, à 27,3 milliards d'euros. Et c'est une baisse du même ordre qu'ont enregistrée les exportations marocaines sur le même marché durant le premier semestre 2008. Au total, celles-ci se montent à 19 milliards de DH, selon l'Office des Changes. « Ceux qui continuent d'affirmer que le Maroc sera épargné par les répercussions de ces dysfonctionnements d'économies développées ont tort. Ils oublient que ces mêmes économies développées sont nos clients. Lorsque leur pouvoir d'achat est atteint, ce sont nos usines qui chôment. Malheureusement, depuis quelques mois, les prémices sont bien présentes. Car, il y a une baisse généralisée de la demande extérieure», souligne un opérateur. Selon lui, certains donneurs d'ordre, notamment en France, en Italie et en Espagne, sont même devenus insolvables. «Une étude révèle que ce phénomène concerne 40% des entreprises françaises», renchérit un professionnel de la place. Il y a bien de quoi s'inquiéter chez les professionnels quand on sait que la France et l'Espagne sont les premiers clients du Maroc en produits textiles. Cet autre textilien estime que si les budgets des donneurs d'ordre sont atteints, forcément les commandes seront restreintes. Pourtant, par rapport à la concurrence, le Maroc s'en est quand même bien tiré malgré le marasme économique qui touche les pays européens. En effet, les chiffres parlent d'eux-mêmes : les exportations marocaines ont connu la plus faible régression de tout le pourtour Méditerranéen. Et pendant ce temps, les importations textiles du marché européen en provenance de Tunisie ont reculé de 4% et celles de Turquie de 10%. Dans ce décor, l'Egypte se signale comme un nouveau concurrent aux dents longues. Le Pays des pharaons poursuit sa marche de croissance entamée depuis 2006, après avoir enregistré une progression de 20% durant le premier semestre 2008. C'est à se demander combien de temps encore la proximité de l'Europe restera le seul avantage compétitif encore vendable. L'arrivée de nouveaux pays comme l'Egypte sur le marché mondial risque de remettre en cause cet ultime avantage. L'Egypte jouit à la fois de la proximité des clients occidentaux et des coûts salariaux bas. Le SMIG y équivaut à 250 DH, quatre fois moins cher qu'au Maroc.