L'appétit grandissant de Fouad Ali El Himma pour les médias est un secret de polichinelle. Cependant, l'information selon laquelle il convoiterait des parts dans Régie 3 est un grand point d'interrogation. Démentie par l'entourage proche du numéro 2 du système, elle est pourtant soutenue par de nombreuses sources. Entre temps, les cadres d'Upline scrutent les comptes de l'entreprise afin d'en évaluer le patrimoine. L'information est confirmée par de nombreuses sources : Régie 3 est en évaluation financière et c'est la banque d'affaires Upline, dirigée par Hassan Aït Ali, qui se charge de ce dossier. L'opération a été commanditée depuis peu par le partenaire français CIRT (Compagnie Internationale de Radio et Télévision), par ailleurs filiale de la Caisse de Dépôt et de Consignation en France et actionnaire à hauteur de 35% dans Régie 3 (*). L'objectif de cette démarche peu habituelle serait de mettre en vente ces parts, selon une source qui s'est exprimée sous couvert d'anonymat. «Il s'agit d'une opération routinière qui permettra à la CIRT d'avoir une estimation financière de sa participation», tempère-t-on en interne. On peut alors naturellement se poser la question suivante : s'agit-il d'une actualité média banale ? Loin s'en faut. Et pour cause. Il s'agit d'une régie qui pèse plus de 50% du marché publicitaire investi au Maroc. Certes, ce détail à lui seul suffit pour en faire un sujet chaud dans le microcosme médiatique national, mais c'est surtout l'identité présumée du futur acquéreur qui interpelle le plus. Les bruits de couloirs (au sein même de Régie 3) évoquent avec insistance un même nom. Celui de l'homme du sérail, Fouad Ali El Himma, tête d'affiche du PAM (Parti Authenticité et Modernité). Cependant, ce n'est pas seulement en sa qualité de nouvelle figure emblématique du paysage politique qu'il est cité dans cette affaire. Ce sont surtout ses grandes ambitions dans le domaine médiatique qui soutiennent cette éventualité. Ayant été derrière la création de l'agence conseil Ména Média Consulting(monitoring, communication de crise…), il affiche aussi un gros appétit pour les médias audiovisuels. D'ailleurs, il figure sur la short-list des candidats en lice pour l'obtention de nouvelles licences radios et télés. «S'il sort gagnant de cette course, Ali El Himma aura besoin d'une régie publicitaire ; une régie déjà bien installée sur le marché sera un plus pour lui», lance une source proche du dossier. Et d'ajouter, «la nécessité d'avoir des médias comme caisse de résonance pour ses idées politiques ne peut pas occulter le besoin de s'appuyer sur une stratégie commerciale et financière compatible, d'où l'intérêt d'avoir des participations dans Régie 3». Cependant, cette même source précise un détail important relatif à la déontologie dans le métier publicitaire. Etre en même temps agence conseil en média et régisseur serait incompatible. Or, El Himma compte déjà un pied dans la pub via sa récente association avec Karim Bennani. «S'il franchit le pas en intégrant aussi le tour de table de Régie 3, il provoquera une levée de boucliers de la part des annonceurs et des agences de communication». Il devra donc choisir entre les deux : être soit prescripteur, soit prescrit. Un dilemme ! L'entourage d'El Himma dément L'option d'entrée dans le capital de Régie 3 est rejetée en bloc par une source casablancaise proche d'El Himma. «Ce n'est pas un Berlusconi en puissance. Il ne peut pas s'aventurer dans une telle expérience. Sa priorité est d'abord de mettre sur les rails ses projets liés à la presse écrite et audiovisuelle, extrêmement budgétivores». Référence faite donc, en plus de la télé et de la radio, à l'édition d'un journal généraliste arabophone et de six régionaux, sans oublier l'investissement qu'il faudra miser pour le lancement d'imprimeries régionales. La même source poursuit : «les investisseurs, sympathisants d'El Himma et ayant l'assise financière pour l'accompagner, sont sur d'autres projets médias et ne peuvent pas le soutenir pour mobiliser les fonds nécessaires afin d'acquérir des parts dans une entreprise du poids de Régie 3 ». En tout cas, El Himma ou pas El Himma, le débat se situe aussi à un autre niveau. Celui de la valorisation réelle de la boîte. La régie que d'aucuns considèrent comme une grosse machine à sous, une sorte de pain béni, a cependant les défauts de ses qualités. Elle dispose d'un gros client du calibre de 2M, mais au fond, cela représente aussi une faiblesse pour elle. Qu'adviendra-t-il de Régie 3 sans ce gros calibre ? La réponse est sans équivoque. « Ce sera pour elle la mort subite. Elle ne pourra pas survivre plus d'un mois sans le portefeuille de 2M», assure une source proche du dossier. Et pour cause, cette dernière représente le gros client de la boîte. Si ce n'est pas une dépendance vitale, cela y ressemble fort bien. Or, 2M (ainsi que son site web, son magazine et sa radio) peut à chaque moment lui couper l'herbe sous le pied, la privant ainsi de quelque 70% du chiffre d'affaires global, estimé à environ un milliard de DH (net des commissions d'agences). Le peu qui reste émane du business réalisé entre autres avec Médi1, Médi1 Sat, le groupe Caractères, le Centre Marocain de Conjoncture et Ménara. On comprend alors mieux pourquoi on parlerait de mort subite si Fayçal Laâraichi décidait de tout regrouper au sein du SAP (Service autonome de publicité), cette régie dédiée à gérer la publicité des autres chaînes du pôle public. D'autant plus que l'idée de créer une régie commune s'inspirant du modèle français n'est pas totalement écartée. L'autre point qui dessert Régie 3 dans cette affaire est relatif au contrat (d'une durée de trois ans) qui la lie à son principal souscripteur. Ce dernier serait arrivé à terme à la fin 2007 et n'a pas été renouvelé depuis. «Régie 3 fonctionne sans contrat commercial», assure une source proche de l'entreprise. «Faux», rétorque une source interne. Et d'argumenter : «il ne s'agit pas d'un pacte commercial, mais d'un protocole ne touchant pas à cet aspect-là. Le contrat commercial, quant à lui, est renouvelé par tacite reconduction et est en vigueur depuis 17 ans, depuis que la régie existe. Si l'une ou l'autre partie décide de rompre ce contrat, rien ne l'en empêche. Elle doit juste respecter le délai de préavis fixé à 6 mois ». En tout cas, une chose est sûre : quelle que soit son identité, celui qui rachètera des parts dans Régie 3, selon la configuration actuellement en vigueur, intégrera certainement dans son busines plan l'option de désengagement de Soread. Par ricochet, le prix de rachat en prendra sans doute un coup. ◆ (*) Les 65% restants sont détenus exclusivement par l'actionnaire Médi1.