Coûteux en investissements, difficile à mettre en œuvre à grande échelle… la clé de voûte de la production d'hydrogène à faible émission de carbone pose un défi de taille. Décryptage. Depuis le 17e siècle avec la création de la machine à vapeur, l'énergie a toujours joué un rôle clé dans l'histoire de l'économie mondiale. L'historien français Braudel, dans son livre « La dynamique du capitalisme », a démontré comment l'industrie a été transformée grâce à l'énergie et comment la mobilité des marchandises, notamment avec le commerce lointain, en a été affectée. Aujourd'hui, dans ce siècle des économies-monde, des grands marchés internationaux et de la mondialisation heureuse, « l'énergie est indispensable à l'instauration d'une croissance économique durable et à l'amélioration du bien-être des populations », constate l'Agence internationale de l'énergie atomique. « Le nucléaire ouvre la voie à une énergie propre, fiable et abordable, qui contribue à l'atténuation des effets négatifs des changements climatiques. Il représente déjà une part considérable du bouquet énergétique mondial et son utilisation devrait augmenter dans les décennies à venir. » Lire aussi | OCP et l'Australien Fortescue créent une Joint-venture pour développer l'hydrogène et l'ammoniac verts Aujourd'hui, face aux défis écologiques, la technologie de l'hydrogène vert est au cœur de tous les récits, scandant son incroyable atout de décarbonation. « La production et l'exportation d'hydrogène vert et de ses dérivés contribueront également à renforcer la position de notre pays en tant qu'acteur clé sur le marché énergétique mondial, surtout vis-à-vis de nos voisins européens qui cherchent à sécuriser des sources alternatives et durables d'énergie », nous confiait Badr Ikken, ancien DG de l'Iresen, dans une interview sur l'offre marocaine. Dans cette ruée vers l'or vert, il faut reconnaître que l'hydrogène n'est pas une source d'énergie, il doit être produit (comme l'électricité). Il faut donc de l'énergie pour obtenir de l'hydrogène. Pour des raisons économiques, l'énergie utilisée vient en grande majorité de combustibles fossiles (à 96% dans le monde). Seule l'électrolyse de l'eau, pratiquée à partir d'électricité décarbonée (issue d'électricité nucléaire ou renouvelable), permettrait de produire de l'hydrogène propre ou bas carbone. Au Maroc ainsi que dans bon nombre de pays, c'est la solution de production de l'hydrogène par le processus de l'électrolyse qui est à l'honneur. Sauf que les récentes remontées d'information au sujet de cette technologie laissent un avis mitigé. Seuls 12 gigawatts (GW) de puissance d'électrolyse au niveau mondial sont en cours de construction ou ont déjà fait l'objet d'une décision finale d'investissement, selon une étude de l'Agence internationale de l'énergie (AIE). Lire aussi | Hydrogène vert. Ghalia Mokhtari : «La mise en œuvre de l'Offre Maroc se heurte à plusieurs défis» « La raison principale est la lenteur à mener les projets planifiés jusqu'aux décisions finales d'investissement, en raison d'un manque d'acheteurs et de l'impact de la hausse des prix sur les coûts de production », synthétise l'AIE. En plus de la question des investissements, un autre défi se pose notamment celui de la technologie en elle-même. En Chine, par exemple, selon le rapport Hydrogen Insights, son projet d'hydrogène dans la province du Xinjiang n'a produit que 2000 tonnes depuis son lancement. Selon les chiffres, d'une puissance de 260 mégawatts (MW) d'électrolyse, l'unité devait produire 20 000 tonnes d'hydrogène vert par an en rythme de croisière. Dans une analyse, les experts de BloombergNEF expliquaient que cette situation était le fait des électrolyseurs (un problème commun lié à leur flexibilité). Une production énergivore Selon un rapport de 2019 de l'Agence Internationale de l'Energie (The Future of Hydrogen), produire par électrolyse l'hydrogène utilisé actuellement dans l'industrie (et pas dans les transports), nécessiterait une production d'électricité de 3 600 TWh par an, soit davantage que la production actuelle de toute l'Union européenne sur une année. Pour étendre l'hydrogène vert à d'autres usages, il faudrait donc produire de l'électricité bas-carbone supplémentaire. De plus, comme le soulignent Alessandro Clerici et Samuel Furfari dans un article scientifique sur le sujet, « la grande variabilité et l'intermittence inéluctables des énergies renouvelables ont un impact sur l'électrolyse, car si l'électrolyseur peut en partie faire face à ces fluctuations, l'équilibre de l'ensemble de l'installation complexe (the balance of plant) d'électrolyse présente de sérieuses difficultés dans le fonctionnement souvent ignorées, ce qui impacte également sur l'économie de ce qui est présenté comme une nouvelle solution possible pour faire face aux réductions d'émissions de CO2 ». Lire aussi | Le Maroc joue la carte fiscale pour s'imposer dans l'industrie de l'hydrogène vert « Nous reconnaissons que l'électrolyse est un élément essentiel dans la transition vers une économie de l'hydrogène propre. Cependant, nous sommes pleinement conscients des défis associés à son déploiement à grande échelle. Pour y faire face, chez ENGIE, nous adoptons une approche holistique qui englobe non seulement le choix de la technologie d'électrolyse, mais également la gestion des coûts et la recherche de synergies avec les autres briques de l'écosystème (énergies renouvelables, dessalement, stockage, transport, ...). En travaillant en étroite collaboration avec nos partenaires technologiques et industriels, nous visons à relever ces défis en optimisant les processus, en réduisant les coûts et en améliorant la durabilité de nos solutions. En tant qu'intégrateur, le principe d'ENGIE est d'être agnostique en termes de technologies. Nous testons et utilisons, à la fois dans nos laboratoires et sur nos dizaines de projets en cours de développement dans le monde, tout type d'électrolyseurs (alcalins, PEM, ...). Il est vrai que c'est vraiment la pièce maîtresse pour passer à l'échelle industrielle, notamment en termes de stabilité long-terme et d'intégration avec la production renouvelable intermittente », nous confie Loïc JAEGERT HUBER, Directeur Régional ENGIE North Africa. Zoom sur les électrolyseurs Dans le secteur de la production d'hydrogène, il existe deux principaux types d'électrolyseurs : Les électrolyseurs alcalins : l'électrolyse alcaline est une technologie aboutie utilisée depuis plus de 100 ans. Effectué à basse température, le procédé d'électrolyse alcaline utilise une solution alcaline d'hydroxyde de potassium (KOH) ou d'hydroxyde de sodium (NaOH) comme électrolyte pour conduire l'électricité. Les molécules d'eau sont séparées en molécules d'hydrogène et d'oxygène sous l'effet du courant électrique. Si ce procédé est le moins onéreux pour produire de l'hydrogène, il entraîne cependant des coûts de maintenance élevés. Les électrolyseurs à membrane échangeuse de protons (MEP) : les électrolyseurs MEP utilisent un électrolyte solide plutôt qu'une solution liquide pour conduire l'électricité. Ces électrolyseurs sont généralement plus efficients, nécessitent moins d'entretien et prennent moins de place que des électrolyseurs alcalins. En revanche, les électrolyseurs PEM sont plus coûteux à exploiter, car ils nécessitent l'utilisation de métaux précieux comme le platine. Quelle que soit la technologie déployée dans votre installation, des systèmes fluides fiables sont nécessaires pour gérer l'arrivée d'eau et les sorties d'hydrogène et d'oxygène.