Alors que le monde s'oriente vers la décarbonation de l'industrie et des transports, l'hydrogène turquoise émerge comme une option prometteuse, permettant de compléter l'hydrogène vert. Pour la transition énergétique, l'hydrogène vert a été mis en avant comme un moyen de décarboner l'industrie et les transports. Depuis quelques années, le Royaume a clairement affiché sa volonté de se placer sur la carte mondiale des producteurs d'hydrogène vert, en tant que producteur et exportateur avec un prix défiant toute concurrence. On sait que l'étiquette "vert" est attribuée à l'hydrogène parce que la source d'énergie de sa production vient des énergies renouvelables. Ce qu'on sait moins, c'est que toute une palette de couleurs est accolée à ce gaz, suivant son processus de production.
L'hydrogène "bleu" est par exemple produit par vaporeformage du méthane avec capture du dioxyde de carbone produit lors de l'opération. Le "jaune" est produit par électrolyse de l'eau en utilisant de l'électricité d'origine nucléaire. L'hydrogène est considéré comme gris lorsqu'il est généré via des combustibles fossiles (comme le gaz naturel) sans que des gaz à effet de serre soient captés.
Plasmalyse du méthane
Dans cette échelle, l'hydrogène turquoise constitue l'une des meilleures options en termes de consommation d'eau et d'énergie, ainsi que d'émission en CO2. C'est l'avis partagé par Gérard Gatt, président de la Startup Sakowin. Consulté par « L'Opinion », l'entrepreneur affirme que l'un des points forts de l'hydrogène turquoise est sa neutralité en émission de CO2. Son entreprise produit d'ailleurs de l'hydrogène décarboné par plasmalyse du méthane.
« L'hydrogène dit «turquoise» est neutre, voire négatif en émission de CO2 et repose sur la décarbonation du méthane. Il est en effet produit par plasmalyse du méthane, c'est-à-dire en décomposant le méthane grâce à un plasma pour obtenir de l'hydrogène et du carbone solide», nous explique-t-il.
La plasmalyse du méthane est un processus qui permet de décomposer le méthane (CH4) en hydrogène (H2) et en carbone solide (C). Ce processus est réalisé en soumettant le méthane à un plasma, qui est un gaz ionisé hautement énergétique. Le gaz d'hydrogène produit peut être utilisé comme source d'énergie propre, tandis que le carbone solide peut être valorisé ou stocké de manière sûre.
Cette technologie permet de combiner les avantages du vaporeformage (hydrogène dit « gris » ou « bleu » lorsqu'il y a capture du CO2 émis) et de l'électrolyse de l'eau avec des énergies renouvelables (hydrogène dit « vert »), tout en neutralisant les inconvénients de chacune de ces deux techniques de production. Il présente en effet un coût très compétitif, proche de celui de l'hydrogène gris, mais sans émission de CO2 ou de CH4CO2.
Efficacité énergétique
Il est également important de situer cette technologie au regard des enjeux colossaux de la transition énergétique : l'hydrogène vert ne suffira pas à remplacer toutes les sources d'énergies polluantes, d'où l'intérêt d'explorer des pistes complémentaires. La plasmalyse du méthane est une technologie de rupture extrêmement prometteuse à cet égard.
L'hydrogène vert est aussi connu pour être peu efficace, au vu de l'énergie consommée pour sa production ainsi que pour les pertes importantes tout au long du processus de production. A cet égard, l'hydrogène turquoise est-il meilleur ? Gérard Gatt affirme que « Oui », expliquant que la plasmalyse du méthane utilise de l'électrolyse pour produire la même quantité d'hydrogène.
«Pour être davantage précis, la molécule de méthane (CH4) demande 37,5kJ/mol H2 pour être décomposée alors qu'une molécule d'eau demande 285kJ/mol H2 pour produire la même quantité d'hydrogène. Pour être encore plus précis, la molécule de méthane (CH4) demande 75kj/mol pour être décomposée alors qu'une molécule d'eau demande 570kj/mol pour produire la même quantité d'hydrogène (2H2)", détaille-t-il.
«La sobriété énergétique étant un ingrédient clé de la transition énergétique et de la lutte contre le réchauffement climatique, il est logique de partir de la molécule qui demande le moins d'énergie pour produire un hydrogène décarboné», poursuit Gérard Gatt.
3 questions à Gérard Gatt "La production d'hydrogène par plasmalyse présente un coût très compétitif" Quel est le coût de production de l'hydrogène turquoise ?
La production d'hydrogène par plasmalyse, sans émission de CO2, présente un coût très compétitif, voisin de celui de l'hydrogène gris et très inférieur à celui de l'hydrogène vert. On estime aujourd'hui que le prix de l'hydrogène vert devrait diminuer d'ici 2030, grâce aux économies découlant de la hausse des volumes de production et de l'effet d'apprentissage, et rejoindre le prix actuel de l'hydrogène gris, entre 1 et 2 euros le kilo.
La production d'hydrogène par plasmalyse du méthane, en raison de son efficacité énergétique, présente un coût très compétitif, voisin de celui de l'hydrogène gris et très inférieur à celui de l'hydrogène vert. La production sur site, en bout de ligne gazière existante, nous affranchit d'investissements massifs en infrastructures et du transport coûteux de l'hydrogène. Le carbone co-produit de la réaction est également valorisable tant d'un point de vue environnemental que financier.
La plasmalyse du méthane aboutit à la production d'hydrogène mais aussi de carbone solide. Quels sont les usages et les bénéfices de ce coproduit ?
La plasmalyse du méthane permet en effet de produire de l'hydrogène mais aussi du carbone solide neutre ou négatif en CO2, valorisable tant du point de vue économique que du point de vue environnemental. Le carbone solide fait déjà l'objet de nombreuses applications industrielles, dans la fabrication de pneumatiques (80 % du marché), pièces mécaniques et de certaines pièces des moteurs et des batteries électriques, dans la sidérurgie, dans la fabrication de peintures, d'encres, entre autres. D'autres usages sont actuellement envisagés. Dans la construction, l'incorporation de ce carbone solide dans le ciment Portland à hauteur de 10% permet de réduire d'autant les émissions de gaz à effet de serre de la production de ce matériau, actuellement le deuxième plus gros émetteur industriel dans le monde. Dans l'agriculture, le carbone solide peut être utilisé pour améliorer la rétention d'eau des terres agricoles.
Quant au stockage, risque-t-on d'avoir les mêmes défis que pour l'hydrogène vert ?
Chez Sakowin, nous proposons une production d'hydrogène turquoise décentralisée. L'équipement Sakowin est compact, modulable et stockable. Il peut être intégré aux infrastructures industrielles et gazières existantes, pour une production sur site, à la demande, selon une capacité facilement ajustable en fonction du client, des secteurs et des installations. Cela signifie que les problématiques de stockage ne sont pas du tout du même ordre que pour l'hydrogène vert, dont le modèle de production est centralisé.
Technologie : Comment produit-on de l'hydrogène turquoise ? D'après notre interlocuteur Gérard Gatt, l'hydrogène turquoise est produit à partir de méthane ou de biométhane, par génération d'un plasma activé par micro-ondes. La plasmalyse permet de décomposer les molécules de méthane sans oxygène, et donc sans émission de CO2, et d'obtenir ainsi du dihydrogène gazeux (2H2) et du carbone solide (C). Il est important de souligner deux avantages majeurs de cette technologie de production de l'hydrogène en matière de gestion de nos ressources primaires. La préservation de nos ressources en eau, tout d'abord : la plasmalyse du méthane n'utilise pas d'eau, alors que l'électrolyse en nécessite d'importantes quantités et que ce sont des pays exposés au stress hydrique qui se sont positionnés comme exportateurs d'hydrogène produit par électrolyse de l'eau (Moyen-Orient, Maroc et Chili, Chine et Australie).Ensuite, le recours possible à une source d'énergie renouvelable : la biomasse, à partir de laquelle est produit le biométhane. Produit à partir de biométhane, l'hydrogène obtenu par plasmalyse présente un bilan carbone négatif, en plus d'éviter des rejets de méthane, un gaz à effet de serre 86 fois plus puissant que le CO2 sur une durée de 20 ans.
L'info...Graphie Plus-value énergétique : 4 à 7,5 fois moins d'électricité et d'eau pour l'hydrogène turquoise L'hydrogène turquoise est plus écologique que celui vert. La méthode de production utilise de l'électricité et du méthane, mais elle nécessite 4 à 7,5 fois moins d'électricité et d'eau, une vraie plus- value pour l'environnement, d'après des spécialistes. Dans la production de cet hydrogène turquoise, l'usage de l'électricité est extrêmement faible. Le principe de cette technologie de production consiste à "décomposer le méthane par pyrolyse", en le chauffant à 1000 ou 2000°C, générant ainsi de l'hydrogène et du carbone, excepté le CO2. Avec 1 kg de méthane, on peut obtenir jusqu'à 250 g d'hydrogène turquoise. C'est une méthode de production moins dépendante de l'eau, aux antipodes de l'hydrogène vert qui consomme plus, donc le turquoise est plus écologique. De plus, si le méthane utilisé est en réalité du biométhane, alors l'impact carbone est encore plus restreint. Pour résumer, la technologie pour produire de l'énergie avec l'hydrogène vert est moins performante et requiert plus d'eau et d'électricité, contrairement à l'hydrogène turquoise qui en demande 4 à 7 fois moins, d'autant que si le méthane est issu notamment de biogaz, sa captation de CO2 de l'air le rend négatif au carbone. Par conséquent, l'empreinte carbone de l'hydrogène turquoise sur l'ensemble de son cycle de vie est faible si l'électricité utilisée pour la produire est carbonée, et est nulle si l'électricité utilisée pour la produire est d'origine nucléaire ou renouvelable. Du point de vue environnemental, l'hydrogène turquoise est donc 10 fois mieux que l'hydrogène vert.