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Géopolitique : Quelle place pour le Maroc dans la carte mondiale de l'hydrogène ?
Publié dans L'opinion le 19 - 01 - 2023

Si un marché global de l'hydrogène ne va émerger que dans vingt ans, plusieurs pays se positionnent déjà dans cette nouvelle géopolitique énergétique. Le Maroc est-il armé pour cette compétition ?
Le 22 novembre 2022, SM le Roi Mohammed VI a présidé une réunion de travail consacrée au développement des énergies renouvelables et aux nouvelles perspectives dans ce domaine. Parmi les points abordés figure l'élaboration d'une "offre Maroc" pour la filière de l'hydrogène vert. Cette nouvelle offre devrait couvrir "l'ensemble de la chaîne de valeur de la filière de l'hydrogène vert au Maroc.

Elle devrait comprendre, outre le cadre réglementaire et institutionnel, le schéma des infrastructures nécessaires", peut-on lire dans le communiqué du Cabinet royal. Dans un contexte international marqué par la recherche d'alternatives aux énergies fossiles, l'hydrogène vert paraît comme une solution miracle, permettant de décarboner des secteurs vitaux comme les industries lourdes et le transport. Ce gaz présente aussi l'avantage d'être stockable, servant dans un futur proche d'énergie d'appoint aux sources d'énergie intermittentes, dont le solaire et l'éolien.
Selon les prévisions de l'ONU, la demande pour l'hydrogène pourrait atteindre 650 millions de tonnes à l'horizon 2050, soit environ 14% de la demande énergétique mondiale totale anticipée.
Compétition pour le marché européen
Cela explique la volonté du Maroc de se placer comme exportateur d'hydrogène vert. Cependant, il n'est pas seul dans cette course. Plusieurs pays, dont l'Algérie, la Mauritanie, l'Egypte ou encore la Namibie ont d'ores et déjà annoncé leur ambition de fournir en hydrogène vert le marché européen. De son côté, l'Europe ne compte pas dépendre exclusivement de l'importation pour son approvisionnement. Le plan REPowerEU adopté par Bruxelles en mai 2022, dans le but de garantir la sécurité énergétique du vieux continent, a fixé comme objectif 20 millions de tonnes d'hydrogène vert pour 2030. La moitié de cette quantité sera produite en interne.
La course aux nouveaux marchés, la compétition entre futurs pays producteurs pour attirer les investisseurs, assurer les voies de transport ou s'accaparer des technologies, donneront lieu à une nouvelle géopolitique de l'hydrogène, dont les grandes lignes se dessinent dès aujourd'hui. D'après les projections, ce marché sera régionalisé. "Le transport de l'hydrogène coûte relativement cher.
Donc, plus la distance est longue, plus le coût augmente. C'est pour cela qu'on est en train de se diriger vers des marchés régionaux plutôt que globaux : marché nord-américain avec comme fournisseurs des pays comme le Chili, marché asiatique avec des fournisseurs comme l'Australie ou éventuellement le Moyen-Orient, et puis le marché européen avec comme fournisseur l'Afrique du Nord, dont le Maroc", analyse Philippe Copinschi, chargé de cours auprès de Sciences Po Paris et expert des questions énergétiques internationales et africaines.

Entre producteurs et consommateurs
Les diverses stratégies annoncées donnent aussi une indication de la future configuration de ce marché. "On constate des différences de stratégies entre les pays. Il y a des pays qui sont dans des stratégies d'exportation, comme l'Australie, le Chili ou le Maroc. D'autres pays sont dans l'idée de conserver une base industrielle, en la convertissant par des énergies fossiles à l'hydrogène. Et là on est plutôt dans des investissements liés au développement de technologies pour l'utilisation de l'hydrogène.
Par exemple, les Allemands sont dans cette logique de se dire qu'on sera importateur. On va développer la production, mais notre place sur le marché de l'hydrogène sera de l'utiliser, et non pas de le produire", explique Philippe Copinschi. Malgré sa politique volontariste, la place du Royaume est difficile à déterminer tant les variables restent incertaines.
"Le Maroc a plusieurs arguments en sa faveur, notamment sa proximité de l'Europe, le gazoduc Maghreb-Europe qu'il peut convertir, le soleil et le vent, et puis une stabilité politique qui rassure les investisseurs", nous dit l'expert. Mis à part cela, la question de la souveraineté industrielle se pose. "Si on est obligé d'importer les panneaux solaires et les éoliennes, puis les électrolyseurs, cela fait beaucoup d'argent à dépenser par tonne d'hydrogène", poursuit Philippe Copinschi.
D'autant plus qu'en termes d'infrastructures et de capacité d'investissement, des pays comme l'Algérie et l'Arabie Saoudite peuvent aller beaucoup plus vite que le Maroc, grâce à leurs rentes pétrolières et gazières. Si dans un horizon de 10 à 20 ans, on verra naître une dépendance entre pays exportateurs et importateurs d'hydrogène vert, cette géopolitique sera moins contraignante que celle des énergies fossiles.

"Pour le gaz et le pétrole, on dépend de la géologie. Les investisseurs s'installent là où il y a des ressources dans le sous-sol. Ce n'est pas le cas de l'hydrogène. On met des panneaux solaires au Maroc, et puis demain si le Maroc n'est plus compétitif, on pourra les déplacer vers la Mauritanie ou l'Algérie. Les décisions d'investissement seront des choix industriels et politiques plutôt que des choix contraints par la géologie", analyse l'expert.
Trois questions à Philippe Copinschi
"Exporter de l'hydrogène, c'est aussi une question d'acceptabilité sociale"

Philippe Copinschi, chargé de cours auprès de Sciences Po Paris et expert des questions énergétiques internationales et africaines, a répondu à nos questions sur le marché de l'hydrogène dans l'avenir.

- Dans la décennie à venir, devrait-on s'attendre à un marché de l'hydrogène comparable à ceux du pétrole et du gaz ?
- Oui, dans le sens où on peut prévoir le développement d'un marché global de l'hydrogène, à l'horizon de vingt ans probablement. On aura une situation avec des pays importateurs, des pays exportateurs, et une certaine dépendance : les pays importateurs ayant besoin de s'assurer de la sécurité d'approvisionnement, les pays exportateurs devenant éventuellement dépendants des revenus générés par les exportations d'hydrogène.
En cela, on retrouve des parallèles avec le marché du gaz. Les moyens techniques et les outils qu'on peut envisager de mettre en place du côté des pays importateurs seront à peu près les mêmes : c'est-à-dire essayer de diversifier l'offre, de mettre en place des réserves stratégiques pour faire face à des imprévus... etc.
Cependant, il y a trois différences fondamentales. La première est que l'hydrogène, on pourra probablement s'en passer, mais pas le pétrole. Le pétrole aujourd'hui est en situation de monopole dans le secteur du transport. La deuxième, on se dirige vers un marché régional plutôt que global. Et enfin, pour le gaz et le pétrole, on est dépendant de la géologie. Ce qui n'est pas le cas de l'hydrogène.
- Y aura-t-il aussi une géopolitique des routes d'approvisionnement ?
- Pour le moment, on est dans des spéculations. On parle d'un horizon à 2040, voire 2050, pour le développement d'un marché conséquent. Il y a des pays comme l'Australie ou le Chili qui le feront par bateau, parce qu'ils n'ont pas d'autres choix. Le Maroc peut miser sur les gazoducs et les bateaux. Mais aujourd'hui, personne n'est capable de dire quelle sera la meilleure solution.
-Quels sont les éléments déterminants pour la réussite d'une stratégie d'export d'hydrogène ?
- Il y a bien sûr le vent et le soleil, ainsi que la disponibilité de l'eau. Pour accueillir les investisseurs, il faut une stabilité politique, juridique et économique. Il y a un autre élément moins abordé, c'est l'acceptabilité sociale. Est-ce que la population va accepter d'orienter une partie de son énergie à l'export. Pour le Maroc par exemple, la priorité ne serait-elle pas de décarboner d'abord l'électricité ?
Recueillis par S. C.
L'info...Graphie
Gazoduc
Exporter de l'hydrogène à travers le GME ?

Le 31 octobre 2021, les autorités algériennes ont décidé de ne pas renouveler le contrat de livraison de gaz naturel à travers le gazoduc Maghreb-Europe (GME). Depuis cette date, le tronçon passant sur le territoire marocain jusqu'aux côtes espagnoles appartient officiellement au Maroc.
Le Maroc a décidé d'en profiter pour renverser le flux, et s'approvisionner en gaz naturel à partir des ports espagnols. Mais ce GME peut avoir une autre utilité. Le Maroc pourrait s'en servir pour exporter l'hydrogène vers l'Europe.
Les molécules d'hydrogène étant plus petites et plus instables que celles du gaz naturel, il faut effectuer quelques travaux préalables, notamment au niveau de l'étanchéité. Selon une étude réalisée par JESA, filiale de l'OCP, l'investissement pour convertir le gazoduc se situe entre 10 à 35% de son coût global. Une bonne affaire pour le Maroc.
Technologie
La prochaine guerre des électrolyseurs

La production de l'hydrogène se fait par électrolyse. C'est un procédé permettant de casser les molécules d'eau (H2O), en dioxygène (O2) et dihydrogène (H2). L'électrolyse consiste à faire passer un courant électrique dans l'eau pour transformer l'énergie électrique en énergie chimique, et ainsi susciter la réaction qui aboutira à la décomposition de la molécule H2O. L'outil permettant de réaliser ce processus d'électrolyse s'appelle l'électrolyseur.

Pour fabriquer de l'hydrogène à grande échelle, le défi au niveau mondial est de fabriquer en quantité suffisante des électrolyseurs, et de réussir le défi technique de réaliser des électrolyseurs avec des capacités élevées. Pour l'instant, seuls quelques industriels de par le monde en fabriquent. Pour garantir la souveraineté industrielle dans la production d'hydrogène vert, le Maroc doit être capable de fabriquer localement des électrolyseurs.

L'entreprise marocaine Gaia Energy a signé un accord avec l'entreprise israélienne H2Pro, dans la recherche et la fabrication d'électrolyseurs nouvelle génération. Dernièrement, le groupe belge John Cockerill a annoncé la création d'une coentreprise avec un industriel marocain, dans le but de fabriquer des électrolyseurs alcalins au Maroc. Cette usine sera la première du genre en Afrique.


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