Pourquoi Elon Musk a-t-il acheté Twitter ? Sa réponse officielle – défendre la liberté d'expression et la démocratie – est si peu convaincante que la question ne disparaîtra pas. Les appels répétés de Musk à ces idéaux pour justifier les décisions importantes qu'il a prises depuis sa prise de fonction sont si déroutants qu'ils suscitent de profonds questionnements quant à ses motivations. Challenge: Vous avez établi un lien intéressant entre l'acquisition de Twitter et le développement du portefeuille de familles de brevets détenu par Elon Musk. Comment cette fusion est un angle potentiel à prendre en compte quant à l'analyse des motivations de Musk ? Didier Patry: Avec l'acquisition de Twitter, Elon Musk ajoute 992 familles de brevets aux 758 familles de brevets de Tesla (selon les chiffres en date du 20 novembre 2022) et double ainsi la taille de son portefeuille de brevets (758 vs. 1'750). Elon Musk change la nature des technologies protégées dans ce portefeuille avec désormais une large prédominance donnée aux technologies de traitement des données. Le nouveau portefeuille de brevets de cet ensemble compte désormais de 794 familles de brevets sur des technologies liées au traitement de l'information (45%), 538 familles de brevets sur des technologies liées aux technologies électroniques (30%), 174 familles de brevets sur des technologies liées aux technologies des télécommunications (9.9%), et 120 sur des technologies liées au transport (6.8%). C'est donc un nouveau portefeuille de brevets avec plus de 80% d'actifs portant sur des technologies liées au traitement de l'information, l'électronique et des technologies télécoms. Quelles sont les technologies qui seront demain les plus différenciantes dans l'automobile, la médecine, ou encore l'industrie 4.0? Tesla est très probablement la seule entreprise de transport avec un portefeuille de brevets qui a une telle configuration. Une des rares entreprises du transport avec une véritable stratégie défensive capable de se battre au corps à corps avec les entreprises des télécoms, qui sont en confrontation directe depuis plusieurs années avec les entreprises traditionnelles de l'automobile (Huawei vs. Stellantis, Nokia vs. Mercedes-Benz AG). Lire aussi | Sothema prend une participation dans le capital de la startup Ziwig Challenge: Peut-on dire qu'avec cette acquisition Elon Musk s'apprête à tracer la voie pour le transport connecté de demain ? Didier Patry: J'ai vécu deux ans dans la Silicon Valley. A l'époque, Google avait annoncé l'acquisition de Motorola Mobility. Une opération pour environ 12,5 milliards de dollars (soit 40 dollars par action. La vision de départ était la suivante: l'acquisition de Motorola Mobility, un partenaire dévoué d'Android, permettra à Google de dynamiser l'écosystème Android et de renforcer la concurrence dans le domaine de l'informatique mobile. Motorola Mobility restera un licencié d'Android et Android restera ouvert. Google gérera Motorola Mobility comme une entreprise distincte. Dans un billet de blog, Larry Page, cofondateur écrit que Google a acquis Motorola non seulement en raison de sa force dans le domaine des smartphones et des appareils Android, mais aussi parce qu'elle est un « leader du marché des appareils domestiques et des solutions vidéo ». Il s'agit également d'une démarche visant à étoffer le portefeuille de brevets de la société, ajoute-t-il, car elle « nous permettra de mieux protéger Android contre les menaces anticoncurrentielles de Microsoft, Apple et d'autres sociétés ». Google revend Motorola par la suite au fabricant chinois de PC Lenovo pour 2,91 milliards de dollars. On aura l'impression que l'entreprise vient de perdre, mais ils auront gardé les brevets. Elon Musk suit ce raisonnement, il est en train de se constituer un arsenal avec une vision avant-gardiste. L'introduction du big data et des technologies intelligentes a entraîné de nombreux changements positifs pour le secteur des transports. L'efficacité et la flexibilité opérationnelles ont augmenté, la consommation de carburant a été réduite et les expériences des clients se sont considérablement améliorées. Le big data contribue également à l'amélioration de la sécurité dans les transports. Twitter est devenu le visage de facto de la révolution du big data lorsqu'il s'agit de comprendre la société mondiale. Ses centaines de milliards de tweets lui confèrent un « volume », ses centaines de millions de tweets par jour une « vélocité » et son mélange de texte, d'images et de vidéos une « variété ». Lire aussi | Mondial 2022. Les Lions de l'Atlas dernier espoir de l'Afrique et des pays arabes Elon Musk est donc le seul, si ce n'est quelques concurrents chinois à l'image de Baidu à avoir une telle configuration. Baidu a annoncé qu'elle prévoyait d'étendre la zone d'exploitation de son robotaxis de conduite entièrement autonome et de construire la plus grande zone de service de covoiturage entièrement sans conducteur au monde en 2023. Ce qu'on entend est que l'équivalent de Google en chine est en train de révolutionner le secteur des transports. Un autre exemple qui illustre également l'importance du Big Data et des technologies de traitement de la Data dans le secteur des transports est le partenariat entre Renault et Google. Les deux entités ont annoncé un partenariat élargi visant à concevoir et à fournir l'architecture numérique du Software Defined Vehicle (SDV) et à accélérer la numérisation du groupe. Il est clair qu'ils ambitionnent de devenir une Software House, ils sentent qu'il y a un mouvement disruptif qui va s'opérer au niveau du secteur des transports. L'effet synergique de l'ensemble des technologies électroniques, de télécommunications, de traitement de la Data et des transports est un actif immatériel unique qui va façonner le transport de demain. Sauf que le brevet est un outil est une arme en même temps. En détenant un tel arsenal, Musk se positionne à un niveau avancé de la road map. Il détient un arsenal d'outils puissants mais on ne sait rien de sa stratégie, on ne peut pas avoir une approche spéculative de ses intentions puisqu'il s'agit d'un personnage imprévisible. Challenge : Quel est donc l'envers du décor ? Didier Patry: Une emprise prédominante du monde de la tech sur le secteur des transports doit être analysée en pensant les avantages et les inconvénients d'une telle interconnexion. L'un des développements majeurs dans ce sens est le transport autonome, si l'on s'habitue à cela, on crée une plus grande dépendance vis à vis des technologies. Et pour pouvoir profiter réellement de ces avancements, il faut qu'il y ait preuve de concept, et cela nécessite une communication infaillible. On s'imagine bien qu'une voiture pourra communiquer avec les infrastructures, avec les autres véhicules... Cela nécessite une transmission de données instantanée, d'où l'importance de la technologie 5G par exemple. Deutsche Telekom, BMW Group, Valeo, Ericsson et Qualcomm Technologies ont annoncé la première démonstration mondiale d'une application de conduite automatisée prise en charge par le découpage en tranches du réseau 5G Stand-alone avec des caractéristiques de réseau contrôlées pour la qualité de service (QoS). L'étroite collaboration intersectorielle est essentielle pour co-innover et développer de nouvelles solutions qui apportent des avantages aux clients. Il s'agit d'un catalyseur pour les services futurs. Mais également parce que la communication entre l'infrastructure et les véhicules est un élément essentiel pour la sécurité. Didier Patry Didier Patry a été nommé Directeur général de France Brevets en 2016. Il détient une solide expérience en France et à l'international, principalement au sein de grands groupes industriels et de cabinets, dans la création, la gestion et le management stratégique d'actifs liés à la propriété intellectuelle. Auparavant Directeur Juridique Europe de Eaton Aerospace, également chargé de la Propriété Intellectuelle pour tout le Groupe, couvrant les zones Europe Moyen Orient et Afrique, Didier Patry était basé à Dublin, au siège du groupe, depuis 2014.