L'heure des comptes vient de sonner pour les professionnels du capital-risque, réunis lundi 4 juin. Le bilan est certes positif, mais beaucoup de chemin reste à parcourir pour que le capital-risque au Maroc mérite amplement son appellation. L'événement n'était pas des plus banals pour les professionnels du capital-risque au Maroc. Il s'agissait de la première sortie de l'Association Marocaine des Investisseurs en Capital (Amic), créée il y a pourtant sept ans de cela. Sans détour, la raison de cette absence «voulue» a été dévoilée : faute de données réconfortantes sur ce secteur d'activité. Le ton est donné. Aujourd'hui, il est clairement notifié que la phase de test est révolue, donnant naissance à une nouvelle phase, celle du développement. Une période qui n'a que trop duré: toute une décennie, de 1995 à 2005, durant laquelle les fonds se sont cantonnés au développement, en snobant la création ! Ce n'est en effet qu'à partir de 2006 que les sociétés de capital-risque ont commencé à lancer la deuxième génération de fonds, portant, sur le plan quantitatif, le nombre de fonds sous gestion de 1,4 milliard de DH à plus de 4 milliards de DH. La valeur du ticket a, à son tour, connu une nette évolution. Dans ce sens, les chiffres communiqués par l'association des capital-risqueurs sont éloquents. De 5 MDH durant la période 1995-1999, le niveau du ticket s'est établi à 15 MDH durant la phase 2000-2005, pour dépasser les 30 MDH en 2006. Sur le plan qualitatif, des promesses ont été faites pour que le capital-risque joue pleinement son rôle, celui, tout banalement, de prendre des risques, donc d'intervenir davantage au niveau de la création et du retournement (reprise d'entreprises en difficulté). La rupture avec la première génération est annoncée. En tant que tel, la taille en sera aussi le point de différence. Si la première génération de fonds portait en moyenne sur un volume de 150 MDH, la deuxième quant à elle affiche de grands volumes. Ils ont plus que triplé pour atteindre les 500 MDH. Les pièces manquantes Visiblement, le bilan présenté par les capital-risqueurs est marqué par une note positive. Un taux de retour sur investissement (TRI) de 12 %, soit un ratio au-delà des objectifs escomptés par les bailleurs de fonds (à titre de comparaison, le TRI varie entre 15 % et 20 % aux Etats-unis) fait la fierté de cette vingtaine de professionnels rompus aux techniques du métier. Ces derniers sont en outre encouragés par la course des entreprises à la taille critique et les nombreux lancements d'opérations de restructurations sectorielles exigeant un effort de financement en fonds propres. Les horizons ne manquent donc pas, notamment avec l'existence d'une population d'entreprises sujettes à une reconfiguration de son tour de table : succession, diversification patrimoniale, mouvement de concentration… Autant de facteurs qui créent des opportunités d'affaires pour les sociétés de capital-risque. Cependant, le schéma n'est pas si parfait. Beaucoup de pièces manquent pour que le puzzle soit complet. Et ce ne sont pas les spécialistes venus d'Afrique, d'Amérique et d'Europe qui diront le contraire. Certes, le cadre réglementaire existe déjà, mais il n'est pas foncièrement adapté aux besoins du marché. Pour analyser cette situation, Marie-Annick Penion n'y est pas allée par quatre chemins : «c'est la partie fiscale qui manque pour booster le capital-risque au Maroc». Et d'expliquer qu'«il faut que des taux préférentiels soient octroyés et ce, autant pour les gestionnaires de fonds que pour les entreprises qui les accueillent». Un avis partagé inconditionnellement par Saunders Miller, venu du pays de l'Oncle Sam, qui va encore plus loin dans son raisonnement pour décrire l'impact de l'inexistence d'une fiscalité attrayante sur la qualité de la place marocaine. «Il suffit d'une seule condition négative pour faire fuir les investisseurs. Cela est d'autant plus vrai s'il s'agit du cadre réglementaire ou de la régulation du marché». Allusion faite, entre autres, à la nécessaire protection des droits des actionnaires minoritaires, conjuguée à l'inexistence d'une transparence fiscale. Et pour cause. Les risques sont énormes sur ce créneau ; y investir exige par ricochet une plate-forme non seulement avantageuse, mais claire et limpide. Questions à Hassan Lâaziri, vice-président de l'AMIC (*) Il faut amender quelques points ! Challenge Hebdo : l'AMIC parle d'une nouvelle génération de capital-risque. S'agit-il de changements qualitatifs ou quantitatifs? Hassan Lâaziri : quand on parle de fonds de capital-investissement de seconde génération (c'est juste une définition), on entend levée de deuxième fonds. Généralement, les sociétés gestionnaires qui lèvent un deuxième fonds ont globalement obtenu de bonnes performances dans le premier et disposent d'un track record (NDLR : l'outil de base pour évaluer la qualité d'un gestionnaire de fonds de capital-investissement) assez intéressant à montrer aux investisseurs. C. H. : le point a aussi été mis sur la nécessité d'un cadre réglementaire adéquat. Comment jugez-vous l'existant? H.L : aujourd'hui, un premier projet de loi régissant le métier des OPCR et des SCR a été voté. Nous considérons que pour faire du Maroc une place financière attractive pour cette classe d'actifs et attirer plus d'investisseurs étrangers, il faut amender des points tels que les contraintes au niveau de l'investissement et la fiscalité du secteur. C. H. : à l'unanimité, l'existence d'une fiscalité transparente est considérée comme une condition sine qua non pour que le capital-investissement arrive à réaliser ses objectifs de croissance, de même que l'existence d'une agence de régulation spécifique au secteur... H. L. : au niveau de la transparence fiscale, nous pensons que c'est un préalable pour le développement de notre métier. En effet, pour faire un parallèle avec les OPCVM, ceux-ci profitent de cette disposition, sachant qu'ils sont investis principalement dans des actifs ou des titres liquides avec possibilité pour les investisseurs de sortir à tout moment. Nous souhaitons donc que cette disposition soit adoptée pour les OPCR et les SCR, car les actifs sont non cotés et la liquidité des investissements et des investisseurs dans ces véhicules n'est pas acquise. De plus, un investisseur qui participe au tour de table d'un fonds d'investissement reste pour une durée minimale de 10 ans, on peut donc parler d'investissement durable. Au niveau de l'autorité de régulation, le CDVM joue aujourd'hui pleinement ce rôle en accompagnant le métier et en fournissant aux sociétés de gestion d'OPCR une légitimité institutionnelle vis-à-vis des investisseurs. (*) Association Marocaine des Investisseurs en Capital.