Alors que nous mettions sous presse, des sources bien informées nous glissaient à l'oreille que, vendredi 19 octobre, devait se tenir à la wilaya d'Agadir une réunion d'une grande importance. Selon les explications qui nous ont été fournies, il s'agit de la nouvelle étape d'une enquête menée par le ministère de l'Intérieur sur le trafic du poulpe. C'est dire que Aziz Akhannouch hérite d'une situation explosive dans le secteur de la pêche. Le comble est que cette situation ne date pas d'aujourd'hui. Cela fait des années que le secteur de la pêche est sous la coupe d'une « mafia organisée ». L'expression n'est pas de nous, elle est inspirée par les conclusions de plusieurs rapports d'enquêtes, pourtant explosifs, mais qui n'ont jamais abouti à une purge salutaire. Trafic d'essence : des faits avérés ! Pour illustrer l'ampleur du mal, prenons les évènements qui ont marqué l'année 2007 et qui seront directement liés à l'affaire d'influence que Akhannouch doit traiter de toute urgence. Début 2007, un quotidien arabophone (Alahdat Almaghribia) publie un reportage sur le trafic de l'essence subventionnée au port d'Agadir, destinée aux barques de la pêche artisanale. L'auteur de l'enquête, jamais démenti ni traîné en justice pour diffamation, a pris un malin plaisir à décrire une situation que les professionnels de la pêche côtoient au quotidien. Il raconte l'histoire d'un passe-droit qui se remplit les poches sans se soucier des retombées sur le secteur et sur l'activité de toute une région. Ainsi, le trafic consistait à distribuer, moyennant une contribution financière au noir, des cartes donnant droit à l'achat d'essence exonéré de taxe douanière. Grâce à des rabatteurs professionnels maîtrisant les hommes et les rouages, des centaines de cartes atterrissaient à la délégation de la pêche d'Agadir pour y porter le droit de disposer de 600 litres d'essence par mois (quantité maximale accordée dans le cadre du système subventionné). Pour chaque carte, les services concernés touchaient 100 DH, une contribution qui, si elle est ramenée au nombre de barques dans la pêche artisanale (1600 unités), explose à plus de 160.000 DH par mois. Le plus dramatique pour la région d'Agadir, où ce trafic faisait rage, est que les litres d'essence distribués illégalement étaient acheminés vers la ville pour y être revendus au prix public affiché par les distributeurs de carburant. Et dans ce domaine, Akhannouch en connaît un rayon. En tout et pour tout, ce trafic brasse une enveloppe de plus de 2.4 millions de DH par mois, autant d'argent perdu pour le Trésor. Informée de ce trafic par voix de presse (s'il vous plaît), le ministère dépêche, au mois de mars dernier, une commission d'enquête composée de quatre inspecteurs et présidée par l'inspecteur général du ministère lui-même, à la délégation d'Agadir pour tirer au clair cette affaire de trafic d'essence subventionnée. Elle conclut à de très graves accusations à l'encontre du chef du service de pêche de la délégation d'Agadir. Le rapport est remis, au mois de mai 2007, au ministre sortant Mohand Laenser et à son secrétaire général, Mohamed Termidi. Depuis, aucune mesure n'a été prise par le ministre ou son secrétaire général. Le coupable aurait des appuis qui lui assurent l'impunité. Le lundi 8 octobre 2007, les services du ministère de la Pêche au port d'Agadir reçoivent une information concernant la présence de deux conteneurs prêts à être exportés et contenant des juvéniles de poulpe. Une équipe d'inspection arrive sur place et procède à la localisation des conteneurs concernés. On les trouve déjà embarqués à bord du navire RABAT, propriété de la société CMA-CGM, prêts à appareiller à destination de Malte. Dans les conteneurs contrôlés, on trouve des juvéniles de poulpe taille T8 (inférieur à 500 g) et T9 (inférieur à 300 g) interdits à la pêche, au transport ou à la commercialisation. L'analyse d'échantillons de cette cargaison révèle qu'il s'agit de juvéniles de très petite taille dont certains pèsent moins de 100 g et que le poulpe est congelé suivant la méthode de congélation en bloc. Les documents officiels de la cargaison présentés par la société exportatrice Cherif Fishery parlent de poulpes de taille adulte T7 achetés dans les halles au poisson gérées par l'Office national de pêche, et congelés par la société Coplema suivant la méthode de cogestion en IQF (congélation rapide individuelle). La cargaison fut déclarée saisie. Et comme son déchargement devait prendre plusieurs heures et retarder le navire qui était sur le point d'appareiller, la société de transport s'est engagée par écrit à ramener au port d'Agadir les deux conteneurs saisis et à ne pas les décharger au port de Malte. Le vendredi, et à moins d'une journée de la nomination du nouveau ministre Akhannouche, le ministère, par la voix de ses directeurs et secrétaires généraux, annonce une sanction à l'encontre de l'exportateur indélicat. L'amende en question ne dépasse pas 300.000 DH, que la société Cherif Fishery s'est empressée de payer au trésor. Le même jour, le secrétaire général du ministère décide de lever la saisie contre les deux conteneurs et en informe la société transporteur CMA-CGM. Une précision s'impose à ce niveau. Selon le Dahir régissant le secteur, une infraction de ce genre est sanctionnée, suivant l'article 33, par une peine d'emprisonnement de 3 mois à une année et une amende de 5.000 à 1 million de DH ou l'une des deux peines. Le secrétaire général a choisi 300.000 DH, alors que la capture en question présentait une valeur de 320.000 dollars américains. Sans oublier l'usage de faux documents et l'implication probable de certains agents de l'ONP. Selon des professionnels du secteur, l'affaire aurait pu être transmise à la justice, mais le ministère «a préféré agir seul et rapidement, ce qui est contraire à ses habitudes marquées par des procédures qui s'étalent dans le temps». Ce qui est sûr dans cette affaire, c'est que Aziz Akhannouch doit faire face à un réseau organisé qui implique des gens au ministère, à l'ONP et dans les rangs des opérateurs de la filière. Les documents qui ont été utilisés pour l'exportation des conteneurs du juvénile (dont nous détenons copie) le prouvent. Que va faire le nouveau ministre ? La question vaut son pesant d'or. Tous les acteurs du secteur se posent cette question. D'ores et déjà, précisons que, selon des sources non autorisées, Aziz Akhannouch chercherait à évincer son secrétaire général. L'homme cherche à recruter une nouvelle équipe et les pions des uns et des autres se positionnent déjà sur l'échiquier. Selon des sources de la pêche côtière, l'actuel président de la chambre maritime d'Agadir, et vice-président de la région, donc proche de Aziz Akhannouch, du moins dans l'organigramme de la région du Souss, aurait proposé au patron d'Akwa de faire appel à Mohamed Rami, l'un des anciens conseillers de Abderrahman Youssoufi, l'ancien Premier ministre, chargé des affaires de la pêche. Sauf que le choix de l'homme ne fait pas l'unanimité car de toute évidence, sa connaissance du secteur n'est pas prouvée et, en plus, il traîne des casseroles qui devraient, en toute logique, l'écarter d'un poste à responsabilités au sein du ministère de la Pêche. A cela s'ajoute le jeu d'influence auquel se livrent les fédérations rivales du secteur. Notons d'emblée que la fédération affiliée à la CGEM et présidée par Rachid Benkirane, prépare une fiche pour «briefer» le nouveau ministre. La Confédération présidée par Omar Akouri fera certainement de même ou mieux, car Si Aziz par ses alliances familiales et ses fréquentations régionales, semble plus proche du clan de Akouri que de celui de Benkirane, une supputation qui ne plaide pas en faveur de Akhannouch, qui jusqu'à preuve du contraire, est nommé par le Roi en tant que ministre pour tous les acteurs du secteur.