90 personnalités demandent au président français, Emmanuel Macron, dans une tribune au « Monde », de condamner l'agression d'une accompagnatrice scolaire voilée. Le Courrier de l'Atlas a participé à la rédaction de cette tribune. L'image a fait le tour des réseaux sociaux : celle d'une femme réconfortant dans ses bras son propre fils, en pleine assemblée plénière du conseil régional de Bourgogne-Franche-Comté, à Dijon, après son agression verbale par un élu d'extrême droite. Si l'image nous révolte tant, c'est parce que nous en sommes tous collectivement responsables. Ce vendredi 11 octobre, Julien Odoul, président du groupe d'extrême droite Rassemblement national, s'en est pris violemment en public à cette dame en s'adressant à la présidente de région, la socialiste Marie-Guite Dufay. « Madame la Présidente, je vais vous demander, s'il vous plaît, au nom de nos principes laïcs, de bien vouloir demander à l'accompagnatrice qui vient d'entrer dans cette salle de bien vouloir retirer son voile islamique. Nous sommes dans un bâtiment public, nous sommes dans une enceinte démocratique. Madame a tout le loisir de garder son voile chez elle, dans la rue, mais pas ici, pas aujourd'hui. (…) C'est la République, c'est la laïcité. C'est la loi de la République, pas de signe ostentatoire. (…) C'est une provocation insupportable, la vigilance citoyenne, c'est aussi ça, madame la Présidente. » Juste avant de quitter l'assemblée comme il avait menacé de le faire, l'élu d'extrême droite a lancé : « On ne peut pas débuter la session par une minute de silence pour les victimes de la Préfecture de police et accepter ça. » Disons-le d'emblée, comme l'a fait savoir, en pleine séance, la présidente du conseil régional : rien, ni dans le règlement ni dans la loi, ne justifiait que cette femme soit poussée vers la sortie de l'assemblée régionale. Elle avait tout à fait le droit d'y être, vêtue de son foulard. Cette scène, ces mots, ce comportement sont d'une violence et d'une haine inouïes. Mais par notre lâcheté, par nos renoncements, nous avons contribué, petit à petit, à les laisser passer, à les accepter. Ils sont d'une violence et d'une haine inouïes pour tous ces enfants de CM2, âgés d'à peine 10 ans, venus assister à cette assemblée plénière de rentrée du conseil régional dans le cadre de l'opération Ma République et moi. Objectif de la démarche : initier les enfants à la vie publique. Ils sont d'une violence et d'une haine inouïes pour ces instituteurs, soucieux, dans un souci de transmission du savoir, de donner à voir à leurs élèves l'illustration de l'exercice du débat démocratique. Quel fiasco… « Quelles seront les conséquences d'une telle humiliation publique si ce n'est renvoyer à cet enfant qu'il demeure un citoyen de seconde zone, indigne d'être pleinement français et reconnu comme tel ? » Ils le sont encore plus pour le fils de cette femme, qui a assisté, impuissant, à l'humiliation de sa propre mère. Devant la haine de l'attaque, il n'a pu s'empêcher d'éclater en sanglots dans ses bras, avant de quitter l'assemblée. Qui se soucie du mal qu'il a subi ? Qui se préoccupe du traumatisme que peut représenter une telle agression dans la tête d'un gamin d'à peine 10 ans ? Quelles seront les conséquences d'une telle humiliation publique si ce n'est renvoyer à cet enfant qu'il demeure un citoyen de seconde zone, indigne d'être pleinement français et reconnu comme tel ? Mais ils sont surtout d'une violence et d'une haine inouïes pour cette femme, victime d'un amalgame inacceptable associant la pratique de sa religion à l'attentat de la Préfecture de police de Paris. Une femme publiquement piétinée, chosifiée, déshumanisée, devant le groupe d'enfants qu'elle accompagnait bénévolement. Comme si elle pouvait être écrasée, bafouée dans sa dignité, sans que cela ne suscite la moindre indignation collective digne de ce nom. C'est pourtant ce qu'il s'est produit. Où est l'indignation générale ? Certes, quelques élus, des personnalités, des anonymes aussi ont usé de leur voix sur les canaux de leurs réseaux sociaux pour dire leur colère, mais où est l'indignation générale ? Où sont les émissions de télévision, de radio, hormis quelques billets et tribunes comme celle-ci pour condamner cette agression ? Où est la parole publique de premier niveau, celle de nos élus, des partis politiques, celle des ministres, celle du président de la République pour refuser l'inacceptable ? De fait, l'émotion légitime qui devrait s'exprimer dans l'opinion est aux abonnés absents : trop nombreux sont ceux qui se disent : « Elle l'a bien cherché », « Nous ne sommes plus chez nous », ou qui légitiment les stigmatisations envers les musulmans au nom de la lutte contre la radicalisation et le terrorisme. N'est-ce pas le ministre de l'intérieur lui-même, Christophe Castaner, qui a listé à l'Assemblée nationale « la pratique régulière et ostentatoire de la prière » et « la pratique exacerbée de la religion en période de ramadan » comme autant de « signes de radicalisation » à signaler, alors qu'il ne s'agit ni plus ni moins que de conduites religieuses tout à fait banales chez les musulmans pratiquants ? « L'extrême droite a fait de la haine contre les musulmans un outil majeur de sa propagande, mais elle n'en a pas le monopole » Ne nous y trompons donc pas. L'extrême droite a fait de la haine contre les musulmans un outil majeur de sa propagande, mais elle n'en a pas le monopole. Des membres de la droite et de la gauche dites républicaines n'hésitent pas à stigmatiser les musulmans, et en premier lieu les femmes portant le voile, souvent « au nom de la laïcité ». Le ministre de l'éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, voit ainsi dans le port du foulard par des mères d'élèves accompagnant bénévolement des sorties scolaires, en soutien des équipes enseignantes, du « prosélytisme » et du « communautarisme ». Interrogé par BFM-TV sur l'agression de la mère d'élève à Dijon par l'élu RN Julien Odoul, le ministre a certes condamné son comportement, mais a tout de même affirmé : « Le voile n'est pas souhaitable dans notre société. » N'est-ce pas ici l'illustration même d'une stigmatisation assumée jusqu'au plus haut niveau de l'Etat ? La laïcité, consacrée par la loi de 1905, c'est certes la séparation de l'Etat et du religieux, mais c'est aussi la liberté de croire ou de ne pas croire, la liberté d'exercer sa foi ou de ne pas l'exercer, la liberté de manifester ses convictions dans les limites du respect de l'ordre public. Malgré les nombreuses alertes des associations et des militants, malgré le travail de déconstruction des universitaires, nous avons trop longtemps laissé la voie libre aux interprétations dévoyées du principe de laïcité, semant la division et la haine. Cette femme et son fils en payent le prix aujourd'hui, comme d'autres avant eux, mais qu'en sera-t-il demain ? Instrumentalisation de la laïcité Jusqu'où laisserons-nous passer ces haines ? Des plateaux télé dans leur course au buzz et à l'audience permanente, de nos rangs d'élus et de décideurs avides de gains électoraux, sans parler de nos sphères privées elles aussi imprégnées d'intolérances, jusqu'à quand allons-nous accepter que des citoyennes, des citoyens soient insultés, agressés, attaqués, stigmatisés en raison de leur religion ? Jusqu'à quand allons-nous accepter que la laïcité, socle de notre République, soit instrumentalisée pour le compte d'une vision ségrégationniste, raciste, xénophobe, mortifère de notre société ? Acceptons-nous de nous laisser sombrer collectivement ou disons-nous stop maintenant, tant qu'il est encore temps ? Hier, Latifa Ibn Ziaten, mère du militaire Imad Ibn Ziaten, victime des attentats de Mohamed Merah, huée lors d'un colloque à l'Assemblée nationale en raison de son foulard ; hier encore, une femme de 24 ans, portant elle aussi un foulard, poignardée devant son conjoint et leurs enfants à Sury-le-Comtal (Loire). Aujourd'hui, cette femme humiliée dans une assemblée de la République française. Aujourd'hui encore, l'université de Cergy-Pontoise qui demande à son personnel de lui faire remonter les « signaux faibles » de détection de radicalisation d'étudiants ou de collègues, ciblant uniquement les personnes de confession musulmane. Parmi ces signaux : « l'arrêt de consommation de boissons alcoolisées », « l'arrêt d'utilisation des réseaux sociaux », « le port de la barbe sans moustache » ou encore « l'intérêt soudain pour l'actualité nationale et internationale »… Depuis, l'université a dit regretter « d'avoir pu heurter ou choquer », mais le mal est de nouveau fait. Et des questions demeurent : qui est à l'initiative de ce procédé infâme et gravissime ? A quand une enquête ? Est-ce donc cela « la société de la vigilance » qu'appelle de ses vœux le président de la République : un fichage et des dénonciations de personnes de confession musulmane au sein d'une institution publique française ? Jusqu'où pouvons-nous tolérer encore ces discours et actes de haine contre une partie de nos concitoyens ? Que laisserons-nous passer demain ? Qu'expliquerons-nous à nos enfants lorsque, dans quelques années, ils nous demanderont, à juste titre : « Qu'aviez-vous fait ? » « Nous demandons à Emmanuel Macron de dire que les femmes musulmanes, portant le foulard ou non, et les musulmans en général ont toute leur place dans notre société » Nous, personnalités d'horizons divers, unies par la devise de notre République, « liberté, égalité, fraternité », attachées au principe de laïcité tel qu'inscrit dans la loi, demandons urgemment au gouvernement français et au président de la République, Emmanuel Macron, de condamner publiquement l'agression dont cette femme a été victime devant son propre fils ; de dire, avec force, que les femmes musulmanes, portant le foulard ou non, et les musulmans en général ont toute leur place dans notre société ; de refuser que nos concitoyens musulmans soient fichés, stigmatisés, dénoncés pour la simple pratique de leur religion et d'exiger solennellement que cessent les discriminations et les amalgames envers une partie de notre communauté nationale. Il en va de l'avenir de notre pays. Signataires : Leïla Alaouf, journaliste ; Zahra Ali, sociologue ; Sarah Al-Matary, maîtresse de conférences en littérature française ; Hakim et Mustapha Amokrane, artistes membres du groupe Zebda ; Salah Amokrane, responsable associatif ; Rebecca Amsellem, fondatrice de la newsletter « Les Glorieuses » ; Chadia Arab, géographe, chercheuse au CNRS ; Meziane Azaïche, directeur du Cabaret sauvage ; Pénélope Bagieu, dessinatrice ; Béatrice Barbusse, sociologue ; Lauren Bastide, journaliste et productrice ; Julie Billy, productrice ; Isabelle Boni-Claverie, réalisatrice et scénariste ; Yassine Bouzrou, avocat ; Samira Brahmia, chanteuse et comédienne ; Isabelle Cambourakis, éditrice et enseignante ; Casey, artiste ; Samia Chabani, responsable associative ; Amelle Chahbi, comédienne, réalisatrice ; Chadia Chaibi-Loueslati, dessinatrice ; Hugues Charbonneau, producteur ; Aya Cissoko, auteure, triple championne du monde de boxe ; Laurence De Cock, historienne ; Christine Delphy, sociologue et directrice de recherches CNRS ; Vikash Dhorasoo, ancien footballeur, parrain d'Oxfam ; Rokhaya Diallo, journaliste et réalisatrice ; Karima Dirèche, historienne, directrice de recherche au CNRS ; DJ Snake, artiste ; Nassira El Moaddem, journaliste ; Jules Falquet, sociologue, féministe ; Eric Fassin, sociologue, professeur à l'université Paris-8 ; Marina Foïs, actrice ; Sébastien Fontenelle, journaliste ; Geneviève Garrigos, défenseure des droits humains ; Florence Gastaud, productrice ; Amandine Gay, réalisatrice ; Sébastien-Abdelhamid Godelu, journaliste, animateur TV ; Alain Gresh, journaliste ; Faïza Guène, autrice ; Nora Hamadi, journaliste ; Nadia Hathroubi-Safsaf, rédactrice en chef du Courrier de l'Atlas, auteure, élue locale ; Jérôme Jarre, influenceur humanitaire ; Marion Jobert, juriste ; Georgi Joseph, basketteur professionnel ; Léopold Lambert, rédacteur en chef de The Funambulist ; Laurence Lascary, productrice ; Michel Leclerc, réalisateur ; Titiou Lecoq, journaliste et autrice ; Gwenaëlle Lenoir, journaliste ; Matthieu Longatte, humoriste ; Baya Kasmi, scénariste, réalisatrice ; Raphaël Kempf, avocat ; Kyan Khojandi, auteur ; Sofia Manseri, conseillère municipale d'Aubervilliers (Seine-Saint-Denis) ; Tonie Marshall, réalisatrice, productrice ; Madjid Messaoudene, élu de Saint-Denis ; Guillaume Meurice, humoriste ; Marwan Mohammed, sociologue ; Rosa Moussaoui, grand reporter au journal L'Humanité ; Ron Mvouika, basketteur professionnel ; Géraldine Nakache, actrice et réalisatrice ; Nekfeu, artiste ; Judith Nora, productrice ; Danièle Obono, députée (La France insoumise) ; Océan, auteur et comédien ; Ugo Palheta, sociologue ; Cyril Pedrosa, auteur ; Mabrouck Rachedi, écrivain ; Elisa Rojas, avocate ; Marina Rollman, humoriste ; Aurélie Saada, chanteuse ; Eros Sana, militant des quartiers populaires ; Céline Sciamma, réalisatrice, scénariste ; Fabienne Servan-Schreiber, productrice ; Patrick Simon, sociodémographe à l'INED ; Maboula Soumahoro, enseignante-chercheuse à l'université de Tours ; John Sulo, animateur TV ; Hélène Sy, présidente de l'association Cekedubonheur ; Omar Sy, acteur ; Amara Sy, basketteur professionnel ; Syra Sylla, journaliste sportive ; Ilhame Taoufiqi, grand reporter TV5 Monde ; Sylvie Tissot, sociologue, université Paris-8 ; Aïda Touihri, journaliste et productrice ; Shahin Vallée, économiste ; Naïma Yahi, historienne ; Raphäl Yem, animateur TV ; Camille Zabka, autrice ; Rébecca Zlotowski, réalisatrice.