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Législatives en Algérie : députés cherchent électeurs
Publié dans Barlamane le 01 - 05 - 2017

Indifférence, désenchantement, défiance… Les législatives du 4 mai ne passionnent guère les foules, laissant craindre un faible niveau de participation. Au grand dam des autorités.
Métro d'Alger, avril 2017. Sur les murs blancs de ce dédale souterrain qui aura coûté près de 900 millions d'euros, des clips sous-titrés tournent en boucle, son coupé, sur des écrans plasma portant la griffe du leader national de l'électroménager, Condor. Artistes, sportifs ou anonymes y appellent les Algériens à se rendre aux urnes le 4 mai pour élire la prochaine Assemblée populaire nationale (APN).
« Samaa soutek »
Sur ces mêmes murs, de grandes affiches électorales s'étalent entre une réclame pour un opérateur de téléphonie mobile et une autre pour une marque de yaourts. « Samaa soutek » (« Fais entendre ta voix »), dit une jeune femme sur l'une d'entre elles, tout sourire, foulard vert autour de la tête, brandissant une carte d'électeur tel un arbitre sortant un carton contre un footballeur récalcitrant.
Ces clips et ces affiches, peu de gens y prêtent vraiment attention. Pis, ils font l'objet de moqueries ou de parodies sur les réseaux sociaux depuis que les Algériens ont découvert que les hommes et les femmes qui ont prêté leur visage pour cette campagne de sensibilisation lancée par le ministère de l'Intérieur sont saoudiens, sud-africains ou latino-américains.
Déjà que ce scrutin n'est guère emballant, voilà que l'on découvre que ce sont des étrangers déguisés en Algériens qui nous appellent à voter
C'est que l'agence de communication qui a obtenu le marché a tout simplement acheté les clichés auprès d'une banque d'images avant de les algérianiser à coups de Photoshop. « Déjà que ce scrutin n'est guère emballant, voilà que l'on découvre que ce sont des étrangers déguisés en Algériens qui nous appellent à voter, maugrée un voyageur. Franchement, c'est à pleurer de rire. »
Pourtant, ce scrutin législatif, le quatrième depuis celui de mai 1997, qui avait débouché sur l'élection de la première Assemblée pluraliste, n'est pas dénué d'enjeux. D'abord parce qu'il sera sans doute le dernier de l'ère Abdelaziz Bouteflika, 80 ans, qui fêtera le 28 avril ses dix-huit ans à la tête de l'Etat.
Ensuite parce qu'il constitue un tour de chauffe avant l'élection présidentielle, aussi cruciale qu'indécise, qui, sauf surprise, aura lieu dans deux ans. Bien sûr, la configuration de l'Assemblée à venir n'aura que peu d'impact sur son issue. De même qu'il est presque certain que sera reconduite l'actuelle majorité, constituée du FLN et du RND. Mais les législatives n'en donneront pas moins le top départ d'une course à la magistrature suprême autrement plus palpitante.
11 334 candidats pour 23 millions d'électeurs, un record
Milk Bar. Cette consultation reste néanmoins frappante par les chiffres. Plus de 23 millions d'électeurs appelés à choisir entre 11 334 candidats indépendants ou encartés, 63 partis politiques. Un record depuis l'avènement du pluralisme, en 1989, qui a mis un terme à l'ère de l'Etat-FLN. C'est ce que répètent à l'envi les responsables, pour qui un faible taux de participation serait la marque d'un désaveu, jetant le discrédit à la fois sur le rendez-vous électoral et sur la classe dirigeante.
En retrait de la scène médiatique depuis plusieurs semaines, lui qui aime tant la lumière des projecteurs, le Premier ministre, Abdelmalek Sellal, fait campagne pour inciter ses compatriotes à se rendre aux urnes, non sans égratigner au passage ceux qui prônent le boycott. « Celui qui veut abandonner son droit au vote est libre de le faire. Mais il ne doit pas imposer son choix aux Algériens en les poussant au doute et au désespoir, a-t-il prévenu lors d'une visite dans le sud du pays. Le vote est un devoir et un droit. »
Cette peur de l'abstention est si grande que le gouvernement, via le ministère de la Communication, a donné instruction à tous les médias de priver les boycotteurs de parole. Certains dirigeants du FLN et du RND, ou proches de ceux-ci, n'hésitent pas à invoquer la sempiternelle « main de l'étranger » : un faible taux de participation ferait peser, expliquent-ils, le risque d'une déstabilisation de l'Algérie, déjà menacée à ses frontières et plus que jamais dans la ligne de mire de ses ennemis.
Désamour entre électeurs et candidats
Toujours est-il que ces élections ne passionnent guère les foules. Les premiers jours de la campagne électorale, démarrée le 9 avril, donnent une idée de l'étendue de cette désaffection. Les candidats ne font pas recette, les meetings drainent peu de monde et la campagne tourne au jeu de massacre sur Facebook, qui compte plus de 17 millions d'utilisateurs sur une population de 40 millions.
Depuis les premières élections communales, en juin 1990, qui s'étaient soldées par un raz-de-marée des islamistes, jamais scrutin n'avait été marqué par autant d'indifférence, de méfiance ou de désintérêt. Un désamour entre électeurs et candidats qui confine presque à la défiance.
Terrasse du Milk Bar, café tristement célèbre pour avoir été soufflé par une bombe déposée par Zohra Drif, aujourd'hui avocate et sénatrice à la retraite, le 30 septembre 1956, durant la bataille d'Alger. Nous avons rendez-vous avec Noureddine Bahbouh, ministre dans les années 1990, secrétaire général de l'Union des forces démocratiques et sociales (UFDS) et ex-chef du groupe parlementaire du RND.
Que je vote ou non, ma voix ne changera en rien la situation
« J'ai du mal à convaincre de l'utilité de ces législatives y compris dans ma propre famille, soupire Bahbouh, dont le parti compte trois députés dans l'Assemblée sortante. Ce fut la croix et la bannière pour obtenir les deux cents signatures exigées par la loi pour chaque postulant. En fait, ces élections, tout le monde s'en moque, sauf ceux qui ont décidé d'y participer. »
Le désenchantement que déplore cet ex-ministre qui connaît bien les arcanes du pouvoir est profond. Chargée d'études dans une agence de conseil en marketing située dans la banlieue d'Alger, Rym, 32 ans, n'a pas besoin de fréquenter les couloirs de l'Assemblée ou de s'immerger dans les méandres du système pour prendre ses distances avec la chose politique. Déposer un bulletin dans l'urne ? « Non merci », répond-elle sans hésitation.
« Que je vote ou non, ma voix ne changera en rien la situation, dit-elle en surveillant du coin de l'œil son compte Facebook. Le niveau de la campagne est médiocre, les slogans sont creux, et les affiches, hideuses, servent plutôt de repoussoir. À la radio, un candidat expliquait que la femme doit se comporter avec ce vote comme elle se comporte à la maison. C'est presque humiliant pour les Algériens. » Le 4 mai, Rym ira pique-niquer en montagne avec ses amis, très loin des bureaux de vote.
Des élections jouées d'avance ?
Cette intime conviction des Algériens, y compris des leaders des partis politiques, que les élections sont jouées d'avance n'est pas nouvelle. C'est une constante. Des témoignages récents d'ex-responsables évoquant dans le détail les fraudes massives et l'existence de quotas durant les élections de juin 1997 ont même jeté un voile de suspicion sur la régularité de tous les scrutins. Le refus catégorique du pouvoir d'en confier l'organisation à une commission indépendante, comme c'est le cas en Tunisie ou au Maroc, ne contribue pas à lever les doutes.
Mais le désintérêt pour les législatives ne s'explique pas seulement par un manque de transparence. L'intrusion de l'argent sale, communément appelé chkara (« sac de jute »), dans la course à la députation a éclaboussé les institutions et les hommes qui les dirigent.
L'affaire du fils de Djamel Ould Abbès, secrétaire général du FLN, arrêté en mars par les services de sécurité dans sa villa sur le littoral avec des listes électorales et de très importantes sommes d'argent, illustre l'irruption brutale du monde des affaires dans la sphère politique. Certes, le père a dénoncé un « complot » ourdi pour nuire au FLN, au président et à l'Algérie, mais le scandale a fait son effet. Il n'y a pas que l'argent sale pour faire douter les électeurs.
Des candidats analphabètes
C'est que 5 260 candidats, presque la moitié, n'ont pas le bac et, pour une bonne partie, se sont arrêtés au cycle primaire. Le secrétaire général du FLN reconnaît même que certains candidats de son parti sont analphabètes. Comme si cela ne suffisait pas, un phénomène totalement inédit a fait son apparition durant cette campagne décidément pas comme les autres : les sans-visage. Sur de nombreuses listes électorales, des femmes candidates voilées ont refusé que leur photo soit affichée.
Le divorce entre les élus et le peuple tient essentiellement à l'image que les députés renvoient à leurs concitoyens. Perçus comme des personnages vénaux, intéressés, éloignés des préoccupations de la rue, ils seraient davantage enclins à se servir qu'à servir l'intérêt commun.
Preuve de cet éloignement, très peu de députés possèdent des permanences électorales dans leur circonscription. Les polémiques récurrentes autour de leur train de vie ont également contribué à creuser encore un peu plus ce fossé.
Le salaire d'un parlement, 17 fois le salaire minimum garanti
Au cœur de ces controverses, le salaire du parlementaire. Fixé à presque 300 000 dinars mensuels (2 544 euros), incluant une prime de logement, il représente presque 17 fois le salaire minimum garanti, plafonné à 18 000 dinars depuis 2011… Les privilèges et avantages (logement, voiture, accès aux prêts bancaires) des élus suscitent aussi des fantasmes.
« Un mauvais procès », juge Lakhdar Benkhellaf, député de la mouvance islamiste, qui exhibe sa fiche de paie pour étayer ses propos. « Les citoyens pensent que nous roulons sur l'or, commente-t-il. Je comprends leur désarroi, mais rien n'est moins vrai. Une portion de ce salaire part dans la cotisation versée au parti, une autre sert à rémunérer un assistant parlementaire et une dernière à pourvoir aux besoins du député et de sa famille. Cette polémique a été grossièrement montée en épingle pour salir l'image des élus. »
Il n'y a pas que le salaire qui fasse jaser. L'énergie déployée par les députés sortants pour bénéficier d'une indemnité de départ de plus de 2,4 millions de dinars a suscité colère et stupéfaction. Pour l'homme de la rue, les élus se gavent alors que l'Algérie traverse une crise financière due à la chute des revenus pétroliers.
L'hémicycle est souvent vide, sauf quand une loi émanant du pouvoir doit passer
« Les députés ne peuvent pas demander aux Algériens de se serrer la ceinture en votant une loi de finances instaurant des taxes et des hausses de prix et s'octroyer dans le même temps des parachutes dorés, persifle Azzeddine, enseignant dans une école primaire. Comment ne pas trouver cela choquant et révoltant ? »
Difficile de convaincre les électeurs de se rendre à l'isoloir quand les représentants du peuple adoptent à main levée des mesures antipopulaires et rognant le pouvoir d'achat. Surtout quand l'absentéisme chronique aux débats et aux plénières donne lieu à de multiples rappels à l'ordre du président de l'Assemblée. « L'hémicycle est souvent vide, sauf quand une loi émanant du pouvoir doit passer », ironise Azzeddine.
Ce découragement ne se nourrit pas seulement des questions liées à l'argent, aux privilèges ou à l'adoption de mesures d'austérité, mais aussi de la conviction que le rôle des députés, dans un système qui repose pourtant officiellement sur le principe de la séparation des pouvoirs, est accessoire. Pour ne pas dire insignifiant.
Bien que les candidats et les partis qui prendront part aux prochaines législatives rivalisent de slogans, proposent des programmes politiques variés, ambitieux – voire surréalistes, promettant parfois monts et merveilles –, il y a peu de chances que les engagements pris durant la campagne soient tenus.
Oui, vous pouvez dire que nous ne sommes en réalité qu'une franchise du gouvernement
Dans le régime ultraprésidentiel mis en place par Bouteflika depuis son accession au pouvoir, en 1999, l'APN adopte les lois présentées en Conseil des ministres. L'exécutif n'est que le coordinateur du programme présidentiel, et le législatif, une chambre d'enregistrement. « En cinq années de législature, aucune loi n'a été adoptée à l'initiative des députés de la majorité ou de l'opposition, admet un chef de groupe parlementaire. Le bureau de l'Assemblée a systématiquement refusé toutes les propositions de loi. Oui, vous pouvez dire que nous ne sommes en réalité qu'une franchise du gouvernement. »
Ancien ministre, aujourd'hui président du Front du changement (FC), d'obédience islamiste, Abdelmadjid Menasra abonde dans ce sens. « Les électeurs ne votent pas car ils savent que les élections ne peuvent pas être synonymes de changement », confie-t-il. Sa conviction sera-t-elle démentie le 5 mai, lorsque le ministère de l'Intérieur communiquera les résultats et, surtout, le taux de participation ? C'est à tout le moins le souhait des dirigeants et des candidats à ces drôles de législatives.
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Parachutes dorés
1,2 million de dinars (environ 10 000 euros). C'est le montant de l'indemnité de départ qui sera versée aux députés sortants. L'octroi de cette somme avait suscité de vifs débats à l'automne 2016 au moment où les parlementaires s'apprêtaient à adopter une nouvelle loi de finances qui prévoyait plus de rigueur budgétaire et davantage de sacrifices pour les citoyens.
Les députés de la majorité (FLN-RND) souhaitaient que cette indemnité, d'environ 2,2 millions de dinars au départ – l'équivalent de presque dix mois de salaire, hors prime de logement –, soit intégralement versée, comme ce fut le cas lors de la législature précédente. À l'inverse, ceux de l'opposition préconisaient d'y renoncer au nom de la solidarité citoyenne. Après la controverse, la poire a finalement été coupée en deux.


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