La Grande Mosquée de Paris, institution historique de l'islam de France, s'est métamorphosée en un acteur politique de premier plan sous la direction de Chems-Eddine Hafiz, nommé recteur en janvier 2020, affirme Le Point dans sa dernière édition. Ce dernier, avocat franco-algérien (du Polisario, notamment) et ancien adversaire judiciaire de Charlie Hebdo, a entrepris de redéfinir le rôle de cette prestigieuse institution. Surnommé par certains «l'ambassadeur bis», la mosquée incarne une stratégie subtile où l'influence religieuse se mêle à une diplomatie parallèle au service des intérêts algériens. Un relais d'influence algérienne en France La nomination de Chems-Eddine Hafiz a marqué un tournant politique pour la Grande Mosquée, dont le vaste réseau de 400 lieux de culte et la proximité avec les institutions françaises en font un levier de choix pour Alger, selon l'hebdomadaire français. Cette influence est d'autant plus notable depuis que l'ambassadeur algérien en France a été rappelé en juillet 2024, après la décision de Paris de soutenir le plan d'autonomie marocain pour le Sahara. À l'approche de l'élection présidentielle algérienne de 2024, Hafiz s'est fait le chantre d'une mobilisation inédite de la diaspora algérienne en France. Sous sa férule, une association, Awassir, a vu le jour pour organiser des meetings en faveur du président Abdelmadjid Tebboune. Ces rassemblements, tenus à Lille, Marseille, Lyon ou encore Paris, ont cherché à rallier les personnalités bien en vue de la diaspora, tandis que des figures politiques comme Rima Hassan y étaient reçues avec faste. Cependant, cette opération de séduction s'est soldée par un échec cinglant : malgré les exhortations explicites à voter pour Tebboune, le taux de participation des Algériens en France n'a pas dépassé 4 %. La stratégie menée, bien que visible, n'a donc guère pesé sur l'issue de l'élection. Une institution sous le feu des critiques Ce tournant politique n'a pas manqué de susciter des interrogations, voire des accusations. Chawki Benzehra, lanceur d'alerte, a dénoncé ce qu'il considère comme un alignement de la Grande Mosquée sur une stratégie de déstabilisation de la France, orchestrée depuis Alger. Face à ces affirmations, l'institution a opté pour une défense offensive, publiant un communiqué qui reprend les éléments de langage du régime algérien, accusant ses détracteurs de «diffuser le poison de l'extrême droite.» Chems-Eddine Hafiz a rappelé l'engagement de l'Algérie contre l'extrémisme religieux dans les années 1990, tout en appelant ses 150 imams affiliés à prononcer une prière pour la France. Cette démarche étonnante vise à repositionner la mosquée comme un acteur de dialogue face à des accusations de collusion. Au-delà des polémiques, cette affaire illustre les tensions grandissantes entre la France et l'Algérie. Depuis juillet 2024, les relations bilatérales se sont considérablement détériorées. La coopération en matière de renseignement, pourtant cruciale pour la surveillance des mosquées et la lutte contre le terrorisme, reste en place, mais semble désormais en veilleuse. Dans ce contexte, certains responsables français, tels que Gabriel Attal, plaident pour une révision des accords bilatéraux de 1968, perçus comme trop favorables aux Algériens. D'autres mesures plus radicales sont évoquées, telles que la taxation des transferts de devises ou le gel d'avoirs. Pour l'heure, cependant, Paris semble hésiter à franchir le Rubicon d'une rupture totale. «Dans un moment de crise aussi inédit, il est crucial de maintenir un canal de dialogue», confie un observateur proche du pouvoir. Mais la question demeure : jusqu'à quel point une institution religieuse peut-elle devenir l'instrument des ambitions politiques d'un Etat étranger, sans compromettre l'équilibre fragile qui sous-tend la laïcité à la française ?