Hicham Jerando se targue d'une success-story à nulle autre pareille. La réalité est moins glorieuse. Ratages en série, investissements questionnables et escroqueries au Maroc. Né le 14 octobre 1976 à Ribat Al-Kheir, Hicham Jerando l'admet : il a grandi dans la pauvreté. À l'instar de millions de Marocains de sa génération, qui ont gravi les échelons sociaux à la force du poignet. Lui choisira d'autres voies. En 1996, la vingtaine presque entamée, il s'enrôle dans l'université de Fès, où il se serait agrippé pendant deux ans pour une licence, qu'il n'a pas obtenue selon son propre témoignage, tout en affirmant le contraire sur son LinkedIn. Il prétendra par la suite avoir été lauréat de HEC Montréal. Il aurait en réalité suivi un microprogramme en relations publiques prodigué en distanciel. Il serait également détenteur d'une attestation du centre de formation qualifiante Marie Rollet. Son instruction s'arrêterait là. Mais Hicham Jerando aime ce qu'il n'a pas et ne peut obtenir : il affiche un MBA de l'université de New York. Contactée par nos soins, la NYU n'a pu trouver trace de l'étudiant Jerando dans ses registres, même après double vérification de son identité. Même constat auprès de la NYU Stern School of Business. Hicham Jerando quitte le Maroc vers la fin des années 1990. Sur cette séquence de sa vie, il tient des récits discordants : il aurait tantôt fait le tour du monde grâce à une «société de logistique et d'expéditions» qui l'aurait embauché, et qui n'avait mieux à faire que d'offrir une odyssée gratuite à un employé encore vert, encore frais, sachant l'importante compétition que les postes à privilèges génèrent au sein des entreprises… Il aurait tantôt séjourné en Libye, où il dit avoir été missionné par l'ONG Teachers Without Borders pour prodiguer des cours d'anglais aux enfants du pays, dont les rejetons du frère de Kadhafi… qui n'existe pas, le dictateur libyen déchu étant le seul fils à avoir survécu à l'accouchement, et n'ayant que des sœurs. L'ONG Teachers Without Borders (qu'il nomme «Teachers Without Limits» (sic) sur LinkedIn), n'a été fondée qu'en 2000. Ses premières activités en Afrique remontent à 2001, et n'incluent a priori pas la Libye. De retour au pays en 2003, il se lance dans diverses activités vivrières. En octobre 2004 à Fès, il ouvre Studio Sharek, un bazar de cassettes, de CD et de DVD piratés sis au 68 rue Guelmim, à Hay El Ouafae. 2004 était, au choix, l'âge d'or des prédicateurs radicaux dont les voix magnétiques, écorchées par l'effet larsen, circulaient dans des cassettes sans titre, dans une semi-clandestinité d'abord, puis de plus en plus ouvertement. Ou l'année de Shrek 2 et d'Harry Potter et le prisonnier d'Azkaban au box-office, selon le créneau. L'affaire s'est enlisée, puis a rapidement sombré. Jerando finit tout de même tardivement par renouer avec ses passions d'antan, brocantage tapageur de fictions bolywoodiennes basées sur des émulsions de scénarios, navets de bas budget, apposition de la mention trompeuse «inspiré d'une histoire vraie», reproduction de la parole d'autrui et prédication sponsorisée et téléguidée. Par le biais de sa chaîne YouTube cette fois. On rattrape toujours son passé. Ou on est rattrapé par lui. Il se marie dans le feu de l'action avec Naima Diyane, de deux ans son aînée. Un mariage d'intérêt plutôt que d'amour, comme on le verra dans les parties suivantes. Issue d'une famille opérant dans le textile et l'habillement, Naima Diyane siégeait dans l'entreprise Diana Tex fondée M'barek Diyane, qui s'en décharge en 2014 en cédant ses parts à ses héritiers. Surtout, elle ouvre à Jerando les portes du Québec, où elle compte des membres de sa famille, dont Brahim Diyane, qui tenait un magasin d'alimentation générale rue Monselet, bradé en 2011 avec ses produits, ses deux glacières Pepsi, son coupe-viande et son mixeur pour $25 000. En réalité, le prix de vente effectif s'élevait à $60 000, Brahim Diyane ayant manœuvré pour minorer la part déclarée et percevoir $35 000 au noir (Cour du Québec, procès n°500-22-204710-134, Sebastiampillai c. Akhter), en faisant signer aux acquéreurs un contrat rédigé dans un anglais discutable où, au lieu de se tenir responsable des dettes contractées, il se disait responsable des morts ayant pu survenir : il écrit deaths au lieu de debts. Au début des années 2000, donc, Hicham Jerando enchaîne les bricoles. Il s'installe à Marrakech et s'essaie à l'immobilier. En 2005, il se fait embaucher comme commercial par l'entreprise KLK Invest, qui amorçait le projet River Palm. L'employeur est généreux : 30 000 DH par mois selon les dires de Jerando, assistante pour préparer le café matinal et bureau climatisé, voyages et notes de frais rubis sur ongle. L'argent afflue, le niveau de vie s'améliore, l'appétit grandit, et avec lui, les ambitions. Il voyage, découvre l'Europe, l'Amérique. Il loge dans une petite villa du quartier El Massira 1/C. Il caresse le rêve de décrocher une licence de pilote privé. Alors, pourquoi avoir quitté KLK Invest en 2008 pour se retrouver de nouveau en inactivité, à frapper aux portes, à tenter de rebondir chez la concurrence, dont Prestigia, et à écumer les plateformes naissantes de petits emplois temporaires, à l'instar du site freelancer.com, qu'il a rejoint le 7 juillet 2008 et où il n'a pu trouver travail ? Des témoignages évoquent des actes d'escroquerie commis sur des clients, des plaintes. Il aurait empoché un pactole de près de 900 000 DH, ce qui aurait précipité son sort, et accéléré son départ vers le Canada. En février 2009, deux mois avant la naissance de sa fille et son envol vers de nouveaux cieux, Hicham Jerando fonde avec ses associés Najib Srhir et Soufiane Ragouba une entreprise de conseil en investissement, son ultime carotte avant le grand départ : Capital Gold Invest, enregistrée au greffe de Mohammedia. Il y demeure actionnaire jusqu'en 2014, date à laquelle l'intégralité des parts sociales est cédée. Un autre échec. Contributeur fiscal inactif, Capital Gold Invest a fait l'objet, en 2021, d'une saisie conservatoire d'un montant de 272 479 DH au profit de Lafargeholcim (dossier n°141/1109/2021, tribunal de première instance de Mohammedia).