Le président algérien sortant a été confirmé à son poste pour un deuxième mandat. D'autres, et en premier lieu des Algériens ayant largement commenté cette élection, nous nous contenterons de mentionner deux chiffres : 23 % (taux de participation), 94,65 % (voix obtenues par l'ancien-nouveau président). La formule a fait florès depuis la parution en 1976 du premier livre de la série. Le concept, manifestement porteur, a fait des émules qui ont donné à leur œuvre un titre accrocheur. C'est ainsi qu'ont vu le jour «Ces incapables qui nous gouvernent», «Ces fous qui nous gouvernent» et même «Ces psychopathes qui nous gouvernent». D'un livre à l'autre, on découvre avec effroi une galerie de portraits où les psychopathes, sociopathes et autres névropathes côtoient les extravagants et les criminels de guerre. Connu pour son humour décapant, André Santini, sans prendre de gants, a titré son livre «Ces imbéciles qui nous gouvernent». Il y recense les erreurs politiques, les bévues, les bourdes et les lapsus de certains gouvernants français. Il y a eu des gouvernants drôles – et il y en a encore aujourd'hui. Fort heureusement, serait-on tenté d'ajouter. Il suffit de se remémorer les bons mots que quelques-uns ont légués à la postérité. Il faut cependant distinguer entre ceux qui font rire et ceux qui font rire à leurs dépens. Dans cette dernière catégorie, on pense à un président occidental particulièrement doué dont la mine ahurie, les déclarations et parfois les simples gestes faisaient les délices de ses concitoyens et des médias. Un autre président, lui, est inclassable. On hésite à le cataloguer, tant il coche plusieurs cases. Il est comique, hargneux, hâbleur et mythomane. Un mélange détonant qui lui vaut l'admiration de ses thuriféraires mais, s'agissant d'un chef d'Etat, pose des questions sur son équilibre mental et inspire de l'inquiétude. Il s'agit, on l'aura compris, du président algérien Tebboune. Sorties de route On dit de lui qu'il est sympathique et qu'il a toujours le mot pour rire. De fait, il a une bonne « bouille », celle du grand-père idéal. Ses compatriotes l'ont surnommé «Tonton Tebboune.» Il compense un manque flagrant de culture et une absence de charisme par une propension à la logorrhée. Bavard impénitent, il aime discourir en toute occasion et sur tout, avec et sans à-propos. Dans ses rencontres périodiques avec la presse de son pays, exercice qu'il semble affectionner tout particulièrement, il donne libre cours à sa verve, sans retenue ni garde-fous. Il est inégalable lorsqu'il improvise en direct car il part souvent en vrille et commet des sorties de route et des dérapages, au grand dam de ses collaborateurs qui ne peuvent ni filtrer ni censurer ses propos. Dans ses allocutions, il ne peut s'empêcher de sacrifier à l'habitude d'émailler ses propos par un proverbe, un adage ou une expression populaire, vraisemblablement pour essayer de montrer qu'il est un président proche du peuple car il utilise les mots de Monsieur-tout-le-monde et s'exprime parfois dans le langage de la rue. Le prestige de la fonction présidentielle en prend un coup mais il ne semble pas s'en émouvoir dès lors qu'il fait rire. Ce président atypique semble avoir un besoin irrépressible de mettre l'assistance ou son interlocuteur de son côté en les amusant pour recueillir leurs applaudissements et leurs rires comme autant de likes. Dans ce registre, il a un talent indéniable, c'est un champion, le gagnant incontesté parmi ses pairs. Ses propos et ses sorties médiatiques sont un véritable feu d'artifice, il ose tout, même quand il ne connait pas le sujet, ce qui l'amène parfois à maltraiter l'histoire ou à travestir les chiffres. Ainsi, à propos d'une médiation algérienne entre l'Iran et l'Irak en guerre, (1980 – 1988), Tebboune a cité Saddam Hussein et le Shah. Or, c'est l'Ayatollah Khomeiny qui dirigeait l'Iran. Tebboune a aussi réussi le tour de force de faire vivre à la même époque Abdelkader ben Mahieddine (1808- 1883) et le président américain George Washington (1732-1799). Sur un plan purement interne, Tebboune prend des libertés avec les chiffres, fait des promesses mirobolantes, annonce des projets imaginaires ou des réalisations grandioses, confond taux du dollar et celui du dinar. Il a déclaré, par exemple, que le système de santé algérien était le meilleur dans le Maghreb arabe et en Afrique, « qu'on le veuille ou non ». Pourtant c'est en Europe qu'il se fait soigner et tous les hauts responsables algériens avec lui. Il a porté le chiffre classique en Algérie d'un million de martyrs à plus de 5 millions. Oqcimo billah al aliyi al âadim Tebboune a la fâcheuse habitude de jurer (oqcimo billah al aliyi al aadim). Or on dit que seuls les menteurs jurent à tout bout de champ. Il a juré : – Que le programme de «S.E. le président» (Bouteflika) «ne sera pas arrêté» (Tebboune était alors Premier ministre); – Qu'il ne «lâchera personne» [les corrompus] ; – Que «celui qui nous agresse regrettera le jour où il est né» ; – Que celui qu'il attrapera [les spéculateurs sur les lentilles) «regrettera le jour où il est né». Mégalomane, Tebboune affirme que «l'Algérie est une puissance africaine avérée et incontournable. Elle est sollicitée dans le dossier du Sahel, dans le dossier libyen et toute question qui concerne l'espace méditerranéen. L'Algérie a un rôle pivot dans la région». Il a récemment récidivé en affirmant sans ciller que l'Algérie est la troisième puissance économique mondiale. Contre toute évidence, il soutient que l'Algérie, respectant le principe du bon voisinage, n'a jamais menacé ou agressé qui que ce soit. Plus grave que son côté loufoque et ses lacunes en histoire, Tebboune est un agressif. Il a martelé : «Qui m'attaque je lui rends la pareille. Œil pour œil, si on me gifle, je ne tends pas l'autre joue, qui que ce soit, grand petit, moyen, tant pis pour lui, tu me touches, je te touche». Il est revenu à la charge en mai 2024, en déclarant devant un parterre de responsables politiques et militaires : «J'ai une pierre dans ma main, quiconque franchira la ligne la recevra». À une question d'un journaliste à propos de prétendues «menaces» du maréchal libyen Haftar, le chef de l'Etat algérien a répondu par une interjection populaire de mépris : «Tekk !». Il a ajouté : «Ce n'est pas le premier venu qui va menacer l'Algérie». Cette agressivité du président algérien n'est jamais aussi virulente que lorsqu'il évoque le Maroc. L'ancien président Abdelaziz Bouteflika était un personnage virulent et s'en prenait parfois au pays qui l'a vu naitre, mais il savait rester dans les limites de la bienséance. Tebboune l'a largement surpassé. Jamais un dirigeant algérien n'a autant dénigré, insulté et menacé le Maroc. Pourtant, tout avait bien commencé, après quelques dérapages de campagne électorale en 2019. Le Maroc encore et toujours En 2019, alors candidat à la présidence, Tebboune, après avoir donné sa version des événements de l'hôtel Atlas Asni, avait exigé du Maroc qu'il fasse «son mea-culpa» et «demande pardon aux Algériens, et là il sera peut-être possible de relancer le dialogue». Il avait de nouveau évoqué le sujet, posant comme condition pour rouvrir la frontière que «Rabat présente des excuses». Mais il a mis de l'eau dans son vin en affirmant que le Maroc n'allait pas déménager et l'Algérie non plus, les deux peuples étant des frères liés par des liens de sang, la langue, etc. Ce n'est pas idéal comme ode aux bonnes relations entre les deux pays, mais on pouvait s'en contenter, faute de mieux, le service minimum était assuré. Il est revenu à la charge quelques jours plus tard pour affirmer « Le peuple marocain, je le connais bien. Je sais qu'il aime l'Algérie et les Algériens. Les Algériens aiment le peuple marocain, parce que c'est un peuple gentil ». Il dira encore en 2020 : «Le Maroc est un pays frère. Le peuple algérien aime le peuple marocain et le peuple marocain aime le peuple algérien.» Mais il a brusquement changé de langage depuis 2021 et a multiplié les déclarations hostiles. En mars 2021, Tebboune évoque un «lobby en France, dont font partie nos voisins, qui travaille contre l'Algérie.» Deux mois plus tard, il donne l'ordre de résilier immédiatement tout contrat avec une entreprise marocaine. Puis, dans une interview au Point, Tebboune déclare : «Le rôle honorable revient à l'Algérie. Le Maroc a toujours été l'agresseur. Nous n'agresserons jamais notre voisin. Nous riposterons si nous sommes attaqués. Je doute que le Maroc s'y essaie, les rapports de force étant ce qu'ils sont.» Il répétera plusieurs fois : «Nous n'avons pas de problème avec le Maroc, c'est le Maroc qui a un problème avec nous.» L'escalade culmine le 24 août 2021 avec l'annonce par le gouvernement algérien de la rupture des relations diplomatiques avec le Maroc. Cette décision sera suivie par une série de meures hostiles : fermeture de l'espace aérien algérien à tous les aéronefs civils et militaires marocains, ordre à Sonatrach de cesser les relations commerciales avec l'ONEE (Office national de l'électricité et de l'eau potable) et de ne pas renouveler le contrat de fourniture de gaz à l'Espagne via le gazoduc Maghreb-Europe, bannissement du nom du Maroc des journaux télévisés, interdiction aux intellectuels algériens d'écrire dans des périodiques marocains ou de prendre part à des activités au Maroc, etc. En septembre 2021 Tebboune affirme : «97 sites électroniques visent l'Algérie à partir des pays du voisinage, à l'exception de la Tunisie.» Le mois suivant, il déclare : «Tout pays qui agressera l'Algérie le regrettera. Celui qui nous cherche nous trouve. Si quelqu'un nous cherche, je jure par Dieu que ça ne s'arrêtera pas. Je n'accepte aucune médiation (entre le Maroc et l'Algérie).» Dans un entretien avec Der Spiegel, Tebboune s'en prend de nouveau au Maroc, en affirmant «L'Europe imagine à tort le Maroc comme une belle carte postale, mais nous sommes perçus comme une sorte de Corée du Nord. Pourtant, nous sommes un pays extrêmement ouvert.» Même le sport n'échappe pas à la sagacité du chef de l'Etat algérien. En novembre 2021, Tebboune suggère l'existence d'un complot contre le sélectionneur de l'équipe nationale algérienne de football et en situe l'origine «là-bas (houk)» (sous-entendu le Maroc). La liste est longue. Les inepties que le président algérien a pris l'habitude de débiter ont donné naissance à un néologisme, «tebbounnerie», désignant ce talent rarissime qui consiste à prendre des libertés avec l'Histoire et avec les chiffres, à se donner en spectacle et à fanfaronner à tout bout de champ. Ce mot, au Maroc, a une sonorité particulièrement malencontreuse.