«Qu'est-ce qui fait monter le Rassemblement national sinon le fait qu'on refuse de dire les choses, [notamment] sur notre politique permissive envers l'Algérie», avait déclaré récemment la tête de liste des Républicains aux élections européennes, François-Xavier Bellamy en reprochant à Emmanuel Macron d'avoir «joué avec l'Algérie à ce jeu de la fracture mémorielle». Quelques heures avant l'officialisation de l'alliance RN-LR, le recteur de la Grande mosquée de Paris s'est envolé à Alger pour y rencontrer le président Tebboune. Une visite considérée comme une immixtion étrangère dans les affaires intérieures françaises. Simple coïncidence ou entreprise délibérée d'influencer les prochaines élections législatives en France ? Le recteur de la Grande mosquée de Paris Chemseddine Hafiz a donné des consignes de vote le jour même où il était reçu, à Alger, par le président Abdelmajid Tebboune. Chemseddine Hafiz a, bien évidemment, appelé à faire barrage au Rassemblement national, dont l'arrivée au pouvoir donne des sueurs froides aux décideurs algériens. Il a également lancé un appel aux partis républicains dont «le devoir est de s'opposer fermement à l'extrême droite» et «de proposer une alternative claire et unifiée.» La formation de Marine le Pen (RN) a souvent critiqué le président Emmanuel Macron pour son laxisme envers la dictature militaire algérienne, qui se nourrit de la rente mémorielle de la guerre de libération. Le RN et d'autres partis de droite veulent remettre à plat l''accord de 1968 sur l'immigration, qui confère un statut particulier aux Algériens dont il régit les conditions de circulation, de séjour et d'emploi en France. Pour le moment, Paris n'a pas réagi à la visite du responsable religieux connu pour ses accointances avec la diaspora algérienne en France. Par ailleurs, Chamseddine Hafiz a demandé aux responsables de mosquée «de sensibiliser les fidèles sur les dangers imminents qui guettent notre nation et d'encourager ceux qui se sont réfugiés dans l'abstention.» Il souhaite transformer les mosquées en «foyers de résistance pacifique contre toute forme d'extrémisme et de discrimination.» Le message du recteur ne manquera certainement pas de déclencher des remous et plus d'appréhensions envers les musulmans de France, qui sont des citoyens comme les autres et n'obéissent à aucun autorité religieuse organisée. Intrusions douteuses D'ailleurs, les musulmans, à l'image des autres confessions, sont loin de constituer un bloc monolithique, comme le laissent prétendre ceux qui veulent les instrumentaliser ou ceux qui leur en veulent tout simplement parce qu'ils sont des musulmans. Le jour du scurutin, chacun vote en fonction de ses intérêts et non pas pour faire plaisir à son curé, à son imam ou à son rabbin. Après avoir semé le chaos dans leur propre pays, les généraux algériens cherchent à faire de même sur le territoire de leur ancienne puissance coloniale. Car la position du recteur ressemble davantage à un appel à une guerre de religions plus qu'à une consigne de vote. En impliquant les mosquées dans les tentatives de l'Algérie de faire barrage au Rassemblement national, il contribue à retourner les citoyens français les uns contre les autres. Et le grand perdant sera, bien évidemment, la majorité silencieuse des musulmans, dont la seul revendication est de les laisser vivre dans la paix, sous les lois de la République. Dans sa célèbre tribune publiée, le 8 janvier 2023 dans les colonnes du Figaro, Xavier Driencourt, ancien ambassadeur de France à Alger, avait tout prédit : l'Algérie nouvelle «est en train de s'effondrer sous nos yeux et qu'elle entraîne la France dans sa chute, sans doute plus fortement et subtilement que le drame algérien n'avait fait chuter, en 1958, la IVe République.»