Le 30 novembre 2023, le président algérien a lancé le projet de réalisation d'une usine de traitement du minerai de fer extrait de la mine de Gharet Jbilet, près de Tindouf. Les réactions au Maroc ont été immédiates dans les médias et les réseaux sociaux pour s'élever contre l'initiative «unilatérale» algérienne. Certains ont affirmé que l'Algérie avait violé ses engagements vis-à-vis du Maroc ; d'autres ont conclu qu'au vu de cette violation, la convention portant sur la frontière n'était plus valide ; d'autres enfin ont estimé que le Maroc est en droit de réclamer un dédommagement. Des appels à des poursuites contre l'Algérie devant la justice internationale ont été lancés. Qu'en est-il exactement ? Retour au passé et examen des textes pour une étude strictement juridique. *** Le 15 juin 1972, à Rabat, le Maroc et l'Algérie ont signé une convention relative au tracé de la frontière d'Etat. Dans la foulée, les deux pays ont également signé, à la même date, une «Déclaration algéro-marocaine de Rabat» et une convention de coopération pour la mise en valeur de la mine de Gharet Jbilet. La convention relative au tracé de la frontière se réfère dans son préambule au Traité d'lfrane en date du 15 Janvier 1969, à la Déclaration commune de Tlemcen du 27 mai 1970, au Communiqué commun de Rabat du 6 juin 1972 et à la Déclaration algéro-marocaine de Rabat en date du 15 juin 1972. Dans cette dernière Déclaration, on peut lire: «Déclarons que, par la conclusion et la signature de la convention définissant la frontière algéro-marocaine et la convention de coopération pour la mise en valeur de la mine de Gara-Djebilet, nous entendons établir une paix permanente pour les siècles à venir, susciter l'avènement d'une ère de concorde et de coopération pour les générations futures et traduire ainsi les aspirations profondes de nos peuples à l'unité, à la prospérité et au bonheur.» L'idée de la coopération pour la mise en valeur de valeur de la mine de Gara-Djebilet, au-delà de son soubassement politique, est née d'un double constat : – Gharet Jbilet est un gisement de minerai de fer à ciel ouvert dont les réserves sont estimées à plus de 3 milliards de tonnes. L'éloignement de la côte méditerranéenne (plus de 1300 kms) exigerait des investissements considérables en termes d'infrastructures de transport qui amoindriraient la rentabilité de l'exploitation de la mine ; – La proximité de la côte atlantique du Maroc (moins de 300 km) rend possible et moins couteux l'évacuation et l'embarquement du minerai de fer par un port marocain, pouvant être Sidi Ifni ou Tan Tan. Dans la convention de 1972, le Maroc et l'Algérie ont convenu de créer une «société algéro-marocaine pour la mise en valeur de la mine de Gara-Djebilet», appelée «société algéro-marocaine», par abréviation S.A.M. Le capital de la SAM doit être détenu à parts égales entre l'Etat marocain et l'Etat algérien. La partie algérienne a tenu à établir clairement que l'Algérie «est propriétaire du gisement minier de fer de Gara-Djebilet». Cette indication est mentionnée à deux reprises dans la convention, d'abord dans le préambule, qui précise que le gisement est situé sur le territoire de l'Algérie et relève «de sa pleine et entière souveraineté», puis dans l'article 4, qui ajoute que l'exploitation du gisement «relève de son ressort.» La mission assignée à la S.A.M est de transporter par voie ferrée depuis la mine de Gharet Jbilet jusqu'au port de chargement, embarquer et commercialiser la quantité de 700 millions de tonnes de minerai de fer. La S.A.M. a une durée de vie initiale de 60 ans pour accomplir sa mission, à compter de l'entrée en vigueur de la convention (Article 5). La convention entre en vigueur à la date de l'échange des instruments de ratification (Article 19). I- Ratification 1/ Algérie L'Algérie a ratifié et publié au Journal Officiel (JO) en 1973 les deux conventions: – Ordonnance n° 73-20 du 17 mai 1973 portant ratification de la convention relative au tracé de la frontière d'Etat établie entre le Maroc et l'Algérie, signée à Rabat le 15 juin 1972. *Le texte de la Déclaration algéro-marocaine est inséré dans le JO avant celui de la convention. – Ordonnance n° 73-21 du 17 mai 1973 portant ratification de la convention de coopération entre l'Algérie et le Maroc pour la mise en valeur de la mine de Gara-Djebilet, signée àRabat le 15 juin 1972. Cette ordonnance se réfère explicitement à la Déclaration algéro-marocaine: «Vu la déclaration algero-marocaine de Rabat du 3 djoumada I 1392 correspondant au 15 juin 1972.» 2/ Maroc Les instruments de ratification de la Convention relative au tracé de la frontière d'Etat du 15 juin 1972 ont été échangés à Alger le 14 mai 1989. Le Maroc a publié au Bulletin officiel la convention relative au tracé de la frontière: Dahir n° 1-89-48 du 22 juin 1992 portant publication de la convention relative au tracé de la frontière d'Etat établie entre le Royaume du Maroc et la République Algérienne Démocratiques et Populaire, faite à Rabat le 15 juin 1972. *La Déclaration algéro-marocaine n'est pas annexée au dahir. II- Enregistrement La Convention relative au tracé de la frontière a été enregistrée au Secrétariat de l'ONU le 31 juillet 2002, sous n° 38587. Cette formalité a été accomplie par l'Algérie, conformément à l'Article 102 de la Charte des Nations Unies. Contexte historique (Rappel) -1972 : signature de la convention relative au tracé de la frontière et de la convention relative à Gharet Jbilet ; – 1973 : les deux conventions sont ratifiées par l'Algérie ;- La même année ont lieu les événements de Moulay Bouazza ; – 1975 : Marche verte. – 1976 : le Maroc rompt ses relations diplomatiques avec l'Algérie après la décision d'Alger de reconnaître la «rasd» ; – 1987 : rétablissement des relations diplomatiques ; – 1989 : échange des instruments de ratification de la convention relative au tracé de la frontière ; entrée en vigueur de la convention. – 1992 : publication au bulletin officiel de la convention relative au tracé de la frontière. III- Situation actuelle Plus de 50 ans après la signature de la convention relative à Gharet Jbilet, la «société algéro-marocaine» n'a pas été créée. En conséquence : La durée de vie de cette S.A.M. ne peut pas être déterminée en l'absence d'informations sur la date d'entrée en vigueur de la convention qui prévoit sa constitution ; La date d'entrée en vigueur de la dite convention reste à définir selon la date à laquelle la convention a été ratifiée par le Maroc et celle de l'échange des instruments de ratification. Quoi qu'il en soit, il faut garder à l'esprit qu'il ne s'agit pas d'une exploitation commune du gisement de Gharet Jbilet et qu'il ne s'agit pas non plus d'une cession à titre gratuit du minerai au Maroc : L'extraction du minerai relève de l'Etat algérien seul ou de l'organisme qu'il aura désigné à cet effet. L'Etat algérien vend à la S.A.M. une quantité totale de 700 millions de tonnes de minerai de fer «au prix coutant, c'est-à-dire au prix de revient», selon des cadences annuelles qui restent à définir. À son tour, la S.A.M. pourvoit aux besoins des sidérurgies marocaines par des prélèvements sur la quantité de 700 millions de tonnes, à un prix «à convenir entre la S.A.M. et l'acheteur marocain.» Conclusion L'Etat algérien demeure lié par la convention de 1972, quel que soit le temps qui s'est écoulé. L'Algérie ne pourra pas se dérober à l'obligation conventionnelle de céder la quantité de 700 millions de tonnes de fer à la S.A.M., dès que les circonstances permettront de constituer celle-ci, dans les conditions prévues par la convention de 1972. _____________ * en arabe : غارة جبيلات (Voir Journal officiel de l'Algérie, édition en arabe, n°48 du 27 juin 1973). La transcription en français qui est utilisée dans les textes officiels algériens, «Gara-Djebilet», a été maintenue en l'état.