Après le Mali et le Burkina Faso, le Niger est en passe de tomber sous la coupe d'un régime militaire qui pourrait bouleverser la lutte contre les groupes armés djihadistes au Sahel. Le président Mohamed Bazoum est toujours séquestré par les troupes du général Abdourahamane Tiani, chef de la garde présidentielle du Niger, apparu vendredi à la télévision nationale comme le nouvel homme fort du pays. Face à l'avancée des djihadistes, les juntes ont pris le pas sur des démocraties jugées inefficaces et corrompues par une partie des populations sahéliennes. Les militaires qui ont pris, de fait, le pouvoir au Niger, ont d'ores et déjà annoncé une nouvelle orientation stratégique. « L'approche sécuritaire actuelle n'a pas permis de sécuriser le pays en dépit de lourds sacrifices consentis par les Nigériens », a déclaré le général Tiani dans son premier discours, lu jeudi à la télévision nationale. Le Niger et son président issu des urnes, principal allié des pays occidentaux au Sahel, faisaient jusqu'alors figure d'exception dans une bande sahélienne balayée par les violences des groupes armés et par une vague d'autoritarisme teinté de souverainisme russophile. La junte malienne s'est tournée vers les mercenaires de la société militaire privée russe Wagner pour lutter contre les groupes djihadistes, provoquant le départ des troupes françaises en 2022. Les autorités de Ouagadougou ont opté pour la mobilisation de citoyens armés, et demandé le retrait des forces spéciales françaises dans le pays. Mohamed Bazoum, lui, avait fait le choix de maintenir la présence de 1.500 soldats français sur son territoire, au risque de se trouver mêlé au divorce entre Paris et les juntes sahéliennes. «Divorce» Ces juntes « ont naturellement tendance à faire porter la responsabilité de dégradation sécuritaire aux alliés des régimes qu'elles ont renversés. Ces coups d'Etat sont soutenus par une frange de la population qui a déjà manifesté une attitude hostile à l'égard de la présence française ou occidentale au Sahel », explique Ibrahim Yahaya Ibrahim, chercheur pour International Crisis Group. Dès son premier discours, le général Tiani a préféré tendre la main à ses homologues sahéliens, questionnant « le sens et la portée d'une approche sécuritaire de lutte contre le terrorisme qui exclut toute véritable collaboration avec le Burkina Faso et le Mali » dans la zone dite des trois frontières. En raison des tensions diplomatiques, les militaires nigériens et français ne peuvent opérer librement contre les bases de l'Etat islamique (EIS) de l'autre côté de la frontière malienne, où l'organisation mène des attaques sur le territoire nigérien. « Cette crise ne pouvait pas se résoudre sans la coopération avec le Mali, d'une manière ou d'une autre », assure Tatiana Smirnova, chercheuse au Centre Franco Paix en résolution des conflits. « On peut anticiper une relation améliorée et une coopération accrue entre les pays voisins », estime Ibrahim Yahaya Ibrahim. Du côté des partenaires occidentaux, les perspectives sont plus sombres. L'Union européenne a annoncé la suspension de tout aide budgétaire et des actions de coopération dans le domaine sécuritaire. Des sanctions internationales pourraient frapper le régime comme au Mali voisin. Un éventuel départ des forces françaises et américaines laisserait un vide dans une région particulièrement troublée, selon les analystes. «Terroristes» Le Niger « est bordé par le chaos libyen, le Nigeria avec Boko Haram et ISWAP, le nord du Bénin très fortement touché par le djihadisme et évidemment le Mali et le Burkina Faso. C'était un pôle de stabilité malgré des problèmes sécuritaires sur le territoire », rappelle Alain Antil, directeur du centre Afrique subsaharienne à l'Institut français des relations internationales (IFRI). Le Niger subit ainsi un afflux de réfugiés venus du Mali et du Nigeria en proie aux violences, estimés à 255.000 en 2022 par Haut Commissariat de l'ONU pour les réfugiés (HCR). Mohamed Bazoum incarnait un modèle de coopération sécuritaire pour les démocraties occidentales et leurs bailleurs. « Stabilisation » des communautés ciblées par les recrutements djihadistes, réintégration de leurs combattants... le gouvernement de M. Bazoum mettait en œuvre de programmes largement financés par les partenaires internationaux, dont l'avenir se trouve désormais en suspens. A rebours du pouvoir civil qui acceptait de dialoguer avec certains leaders de groupes armés, le général Tiani a dénoncé dans son allocution de jeudi la « libération extrajudiciaire » de « chefs terroristes » par le régime de Mohamed Bazoum. Au Mali et au Burkina Faso, les militaires au pouvoir ont opté pour une stratégie ultra offensive contre les groupes djihadistes, entachée d'accusations d'exactions récurrentes contre les populations. « Ce sont les civils qui paient le prix le plus lourd d'une telle stratégie, ce qui contribue à la déstabilisation, et peut alimenter les tensions inter et intra communautaires », prévient Tatiana Smirnova.