La croissance économique dans la zone euro s'est nettement essoufflée, mais un peu moins qu'attendu, au 3e trimestre: un sursis très provisoire, alors que la perspective d'une récession se rapproche sur fond d'inflation record en octobre. Le Produit intérieur brut (PIB) des 19 pays partageant la monnaie unique a progressé de 0,2% sur la période juillet-septembre par rapport au trimestre précédent, après avoir déjà mieux résisté que prévu au 2e trimestre (+0,8%), selon les chiffres publiés lundi par l'office européen des statistiques Eurostat. Cela ne pourrait être qu'un sursis cependant: la flambée des prix, notamment de l'énergie, continue de s'accélérer sur fond de guerre en Ukraine et le relèvement des taux de la Banque centrale européenne (BCE) assombrit la conjoncture. D'autres indicateurs montrent d'ores et déjà une contraction de l'activité économique: « Le retournement est à l'œuvre. Il ne s'agit plus de savoir si nous allons entrer en récession, mais de quelle sévérité sera cette récession (…) Une récession cet hiver en zone euro est imminente », a réagi Paolo Grignani, expert du cabinet Oxford Economics. « La probabilité d'une récession se profile beaucoup plus à l'horizon », avait déjà averti jeudi la présidente de la BCE Christine Lagarde. Pour M. Grignani, la performance de la zone euro a été tirée par « la solidité de la consommation des ménages », en particulier dans le tourisme, revigoré durant les vacances d'été après deux ans de pandémie, tandis que les investissements des entreprises ont « tenu mieux le coup qu'attendu ». -Croissance surprise en Italie- En France et en Espagne, le PIB a progressé de 0,2%, après une hausse respectivement de 0,5% et 1,5% au trimestre précédent. Mais les plus grandes surprises sont venues d'Allemagne et d'Italie, deux pays pourtant extrêmement touchés par la crise énergétique et l'inflation. En Allemagne, où un recul du PIB était attendu, l'activité de la première économie européenne a en fait progressé de 0,3%, selon un indicateur publié vendredi. Alors que Berlin a déloqué plusieurs dizaines de milliards d'euros pour soulager les ménages face à la hausse des prix, « la consommation privée » a permis de limiter la casse, selon l'institut national de statistique Destatis. Lundi, l'Italie a dévoilé une croissance de 0,5%, alors que l'ancien gouvernement, dirigé par Mario Draghi, prévoyait au contraire un « léger recul » du PIB. Là encore, a joué la bonne performance du secteur des services (en hausse d'au moins 1% selon Oxord Economics). Cette résilience pourrait toutefois être de courte durée: l'inflation dans la zone euro a encore accéléré en octobre, à un nouveau record (+10,7% sur un an), tirée par la flambée persistante des prix de l'énergie (+41,9%). Pour l'alimentation, le tabac et l'alcool, les prix ont grimpé de 13,1%. L'inflation en zone euro avait atteint 9,9% en septembre (chiffre révisé), déjà au plus haut depuis qu'Eurostat a commencé à publier l'indicateur en janvier 1997. -Politique monétaire « compliquée »- En octobre, la France, qui a adopté des mesures de protection des consommateurs, avec notamment une baisse des tarifs des carburants, a conservé l'inflation la plus faible d'Europe, à 7,1%, selon les données harmonisées d'Eurostat. L'Allemagne est à 11,6%. Les pays baltes, particulièrement exposés aux conséquences de la guerre en Ukraine, subissent l'inflation la plus élevée: 22,4% en Estonie, 22% en Lituanie et 21,8% en Lettonie. Pour lutter contre la fièvre des prix, la BCE a relevé jeudi, pour la deuxième fois de suite, ses taux de 0,75 point et le « voyage » n'est pas fini, a prévenu Mme Lagarde, ouvrant la voie à de nouveaux durcissements de la politique monétaire pour renchérir les coûts d'emprunt et atténuer la demande, et donc refroidir les prix. Un choix risqué dans un contexte de refroidissement économique, et critiqué par plusieurs dirigeants, dont le président français Emmanuel Macron. Relever les taux est « la décision la plus appropriée pour rétablir la stabilité des prix, d'une importance capitale (…) pour la prospérité et la reprise de l'économie », a répliqué Mme Lagarde. Pour autant, la divergence des taux d'inflation entre pays de la zone euro (de 7% en France à quelque 20% dans les pays baltes) « complique encore davantage l'élaboration d'une politique monétaire commune », observe Paolo Grignani, d'Oxford Economics.