Les Espagnols ont le triomphe modeste. « L'Algérie recule », « L'Algérie fait marche arrière », sont les seuls titres relevés dans la presse espagnole en ce 11 juin. Ils contrastent avec les titres bravaches de la presse algérienne d'hier : « Alger hausse le ton », « Foudres d'Alger sur Madrid », « Un coup dur pour Madrid », « La mala hora », « Contre l'hypocrisie ibérique », etc. Nous l'avons déjà écrit : la diplomatie algérienne, en chute vertigineuse, multiplie les erreurs. Le rappel pour consultations de l'ambassadeur d'Algérie en Espagne en était une. Cette mesure était intervenue en mars dernier suite au soutien exprimé par Madrid à la proposition d'autonomie pour le Sahara marocain, acte que les autorités algériennes avaient qualifié de « brusque revirement de position » du gouvernement espagnol. Ce dernier ayant ignoré les gesticulations algériennes et maintenu le cap, l'Algérie a décidé brusquement de passer à la vitesse supérieure. La suspension du Traité d'amitié, de bon voisinage et de coopération entre l'Espagne et l'Algérie a été annoncée au terme d'une réunion du Haut conseil de sécurité. Dans le communiqué algérien, il était reproché aux autorités espagnoles de s'être « engagées dans une campagne tendant à justifier la position qu'elles ont adoptée sur le Sahara ». Le même jour, Alger a mis en branle des représailles économiques contre l'Espagne, en décidant « le gel des domiciliations bancaires des opérations de commerce extérieur de produits de et vers l'Espagne à partir du jeudi 9 juin ». Dans une circulaire de l'Association professionnelle des banques et des établissements financiers, il était précisé que cette décision faisait suite à la suspension par l'Algérie du Traité d'amitié, de bon voisinage et de coopération avec l'Espagne. Le gouvernement espagnol a « regretté » la décision algérienne de suspendre le traité d'amitié, soulignant qu'il reste engagé par ce traité et par les principes qui le sous-tendent, notamment « les principes (...) de non-ingérence dans les affaires internes et de respect du droit inaliénable des peuples à disposer d'eux-mêmes ». Par sa « riposte » qu'il a voulu « cinglante », le gouvernement algérien a montré clairement que son but était de renverser le gouvernement de Pedro Sanchez, ce dernier étant présenté comme le seul responsable du « revirement » espagnol. « Pour voir une amélioration dans les relations entre les deux pays, le gouvernement Sanchez doit tomber », titrait en toute clarté le journal algérois l'Expression. L'idée était de porter un coup dur à l'économie espagnole en vue de susciter une réaction populaire, politique et parlementaire qui mettrait le gouvernement Sanchez en difficultés et créerait une crise politique en Espagne. Ce plan, dont on aurait pu dire qu'il était machiavélique, avait cependant un défaut majeur, celui de méconnaitre le système politique espagnol. « Il y a des moments où nous sommes gouvernement et opposition, mais il y a des moments où nous devons être l'Espagne, et c'est un moment où nous devons être l'Espagne », a dit le ministre des affaires étrangères José Manuel Albares. L'Espagne est le cinquième fournisseur de l'Algérie et son troisième client. Elle achète du gaz à l'Algérie et lui vend pour quelques 2 milliards de dollars de produits. Un arrêt des échanges commerciaux entre les deux pays causerait certes des difficultés à l'Espagne, mais pour quelque temps seulement car le pays est suffisamment solide. Autrement plus désastreuses seraient les conséquences pour l'Algérie, dont l'économie est précaire. A Bruxelles, où il s'est rendu toutes affaires cessantes, Albares a affirmé que la décision « unilatérale » de l'Algérie de geler les relations commerciales avec l'Espagne « viole l'accord d'association » du pays nord-africain avec l'Union européenne. La mesure algérienne, « bien qu'elle soit dirigée contre l'Espagne, affecte le marché unique, les relations économiques et commerciales de l'Algérie avec l'Union européenne » (UE). Avec le calme et la sérénité qui sied en diplomatie, Albares a déclaré : « Le gouvernement espagnol n'a pris aucune décision qui affecte l'Algérie et n'a pas dit un seul mot pour provoquer l'escalade ». Dit autrement : en quoi l'Algérie se sent-elle affectée par une décision espagnole concernant au premier chef le Maroc et le Sahara marocain ? Auparavant, le vice-président exécutif de la Commission chargé de la politique commerciale, Valdis Dombrovskis, et le haut représentant de l'UE pour la politique étrangère, Josep Borrell, avaient déclaré dans un communiqué : « La décision prise par l'Algérie de suspendre le traité d'amitié et de bon voisinage signé avec l'Espagne en 2002 est extrêmement préoccupante. Nous évaluons les implications des actions algériennes, y compris l'instruction donnée aux institutions financières d'arrêter les transactions entre les deux pays, qui semblent d'emblée être en violation de l'accord d'association UE-Algérie, en particulier dans le domaine du commerce et de l'investissement. » Le même texte contenait un avertissement clair : « ... la politique commerciale est une compétence exclusive de l'UE, et l'UE est prête à s'opposer à tout type de mesures coercitives appliquées à l'encontre d'un Etat membre de l'UE. » Cette réaction a pris de court Alger, où les clignotants rouges se sont allumés dans un bel ensemble. Aussitôt, l'ambassadeur algérien à Bruxelles a été chargé d'essayer d'éteindre l'incendie. Il l'a fait en recourant à la méthode éprouvée favorite de ceux qui, pour se sortir d'un mauvais pas, se murent dans le déni et recourent au mensonge. Le langage agressif habituel en plus. C'est ainsi que le communiqué de la mission permanente de l'Algérie auprès de l'UE, après avoir « déploré la précipitation avec laquelle la Commission Européenne a réagi », a indiqué : « S'agissant de la prétendue mesure d'arrêt par le gouvernement des transactions courantes avec un partenaire européen, elle n'existe en fait que dans l'esprit de ceux qui la revendiquent et de ceux qui se sont empressés de la stigmatiser ». On conviendra qu'il y a des manières plus civilisées de démentir une information. Manifestement, les dirigeants algériens ne s'attendaient pas à la fermeté espagnole et celle de l'Union européenne. Ils n'avaient pas évalué tous les risques de leur mouvement d'humeur, croyant de toute évidence qu'il suffisait de bousculer l'Espagne pour lui faire « plier les genoux » (تركيع), selon une de leurs expressions favorites. Aucun Etat n'aime se déjuger et reculer. Encore moins à Alger, où on passe pour être extrêmement sourcilleux sur la dignité nationale. C'est dire que ce rétropédalage peu glorieux auquel l'Algérie a été acculée est ressenti comme une défaite cuisante, une humiliation douloureuse. Le désarroi du « système » a été tel que le ministère des affaires étrangères a émis un nouveau communiqué, aussi rageur mais plus explicite que celui de la mission permanente algérienne à Bruxelles. La pratique consistant à démentir deux fois une information devient une habitude à Alger comme on l'a déjà vu au sujet des médiations entre l'Algérie et le Maroc qui ont été évoquées par des médias. Dans le deuxième communiqué, que la presse espagnole a qualifié de « peu diplomatique » et « insultant », relevons quatre points : * L'Algérie estime que sa décision de suspendre le Traité d'amitié avec l'Espagne est une « décision souveraine ». En revanche, lorsque l'Espagne décide de soutenir le plan d'autonome marocain, l'Algérie ne considère pas cette décision comme souveraine et s'autorise l'ingérence. * Pour écarter les instances européennes, le communiqué précise que l'Algérie a un « désaccord politique de nature bilatérale avec un pays européen ». L'Espagne, de son côté, affirme qu'elle n'a pas de désaccord politique avec l'Algérie et qu'elle n'a pris aucune décision qui affecte l'Algérie. N'est-ce pas là une ingérence flagrante dans les affaires intérieures de l'Espagne ? * Le gouvernement algérien justifie sa décision par le souci « légitime » de « préserver des intérêts suprêmes, d'ordre moral et stratégique du pays face à des actes attentatoires à l'objet et à la finalité du traité ». Paradoxalement, l'Algérie considère le soutien espagnol à la proposition marocaine d'autonomie comme attentatoire à l'objet et à la finalité du traité d'amitié, mais elle n'a pas hésité, pour sa part, à violer le même traité en décidant d'arrêter la fourniture du gaz à son partenaire européen via le Gazoduc Maghreb-Europe. Plus qu'un acte « attentatoire », c'est un acte hostile. * Enfin, coup de griffe inévitable, le ministère algérien met en cause « une personnalité manifestement commise à l'amplification des thèses de sa diplomatie nationale au détriment de la préservation des intérêts bien compris de l'UE » dans une allusion cristalline à Josep Borrell. Voilà qu'Alger se substitue aux Etats membres de l'UE pour se poser en défenseur des « intérêts bien compris » de celle-ci. Cette « intrusion » de Borrell, qualifiée de « douteuse et paradoxale », est considérée comme « une vaine tentative de pression ». L'Algérie, elle, bien entendu, n'a pas recours à de telles pratiques, gazières ou autres. Le démenti algérien est néanmoins resté muet sur la directive aux banques qui a ordonné l'arrêt des opérations commerciales avec l'Espagne. Pourtant, cet ordre a bien été donné. Selon la presse espagnole, des commandes auraient été annulées. Telles que se présentent les choses, il y aura d'autres gifles et d'autres piteuses retraites car, en toute logique (algérienne), Alger devra poursuivre sa croisade et « punir » d'autres pays, et pas des moindres, qui appuient le plan marocain d'autonomie. L'Algérie ne tirera aucune leçon du résultat désastreux pour elle du chantage qu'elle a essayé bien imprudemment d'exercer sur l'Espagne. Elle reviendra à la charge, ici ou là, par d'autres moyens probablement. Car le régime algérien n'a qu'un seul but, une seule raison de vivre, un seul projet, qui est de nuire par tous les moyens au Maroc, même au détriment des intérêts nationaux et du bien-être du peuple algérien, même en s'engageant dans des bras de fer improbables et voués à l'échec. Alger ne déviera de cet objectif que contraint et forcé.