Les différents programmes de réconciliation mis à disposition d'anciens Salafi-jihadistes au Maghreb sont-ils efficaces pour réviser de fond en comble l'endoctrinement extrémisme violent ? Oui et non, en fonction de leur cadre d'application et selon les pays. Au Maroc, on y croit mais on ne le croit pas applicable à tous les jihadi-salafistes. Explications. Lors de l'entretien de M. Habboub Cherkaoui accordé à Barlamane.com, le directeur du BCIJ a évoqué le programme de qualification volontaire Moussalaha (Réconciliation) initié par la DGAPR (Délégation générale à l'Administration pénitentiaire et à la Réinsertion) en 2017 et partie intégrante de la réforme juridique mise en place dans le cadre de la stratégie nationale de lutte antiterroriste ainsi qu'expliquée dans la série d'articles qui y est consacrée. Outre la DGAPR, à l'origine de l'initiative, interviennent dans le programme sur la base de leurs prérogatives et expertises, le CNDH, la Rabita (Ligue) Mohammedia des Oulémas et la Fondation Mohammed VI pour la Réinsertion des Prisonniers (dont le rôle est le suivi après libération pour accompagner l'ex-détenu sur le plan socio-économique et l'intégrer dans la société). Certes, le monde a en mémoire la faillite de certains processus de réconciliation en tant que mécanismes de lutte contre l'extrémisme violent. Mais qu'en est-il réellement ? Lisons ce que font nos voisins également. RECONCILIATION ALGERIENNE La stratégie dite de réconciliation nationale algérienne a été mise en place à partir de 1999 pour mettre fin à la violence sanglante que vivait le pays depuis 1992. La fondation de la recherche stratégique ( think tank français né de la fusion de la FED, Fondation pour les Etudes de Défense, et du CREST,Centre de Recherches et d'Etudes sur les Stratégies et les Technologies)l'analyse en ces termes : "Votée par l'Assemblée nationale et approuvée par référendum, la loi sur la Concorde Civile stipulait toutefois que les personnes responsables de massacres de civils ne pourraient pas bénéficier de l'amnistie. En pratique, la majorité des personnes se rendant aux autorités furent amnistiées" ; c'est-à-dire sans suivi durant et après le processus d'amnistie, ni de déradicalisation ou de travail de justice et de vérité. A la faveur de cette grande réconciliation sans garde-fous, la décision fut prise de l'étendre aux groupes du GSPC puis d'AQMI et même à des combattants au Sahel non algériens, notamment Iyad Ag Ghali, chef touareg de Ansar Dine. Rappelons-le, l'Algérie, à l'époque chef de file de la lutte antiterroriste, galvanisée par cette réconciliation qu'elle vantait comme un "succès" (15 000 bénéficiaires selon les chiffres officiels) bien que sans vision intégrée, décide de l'étendre au Mali. La suite on la connait : en Algérie, en l'absence de l'obligation de renonociation à la doctrine extrêmiste, des centaines de récidives dont le retour aux combats violents ont été enregitrées ; du côté de la lutte contre le terrorisme au Sahel, les ententes entre les autorités algériennes avec le GSPC et AQMI (dont les chefs sont algériens), ont eu comme effet, une prolifération des cellules de ces deux grands organisations terroristes. Plus encore, le processus de réconciliation avec le Malien, Iyad ag Ghali chef d'Ansar Dine acquis à AQMI, a eu pour résultat l'extension de son pouvoir et comme effet, de se radicaliser davantage, en devenant chef de GSIM (Groupe de soutien à l'Islam et aux Musulmans), affilié à Al Qaeda. Et ce, du fait probablement que l'Algérie partage peu les renseignements sécuritaires dont elle dispose avec les pays partenaires, et toujours en fonction de ses intérêts politiques du moment. La protection qu'offre Alger au chef du GSIM après son basculement public envers la cause jihadiste en 2012, est un secret de polichinelle. La "vision algérienne de lutte antiterroriste" a eu pour conséquences l'opération Serval puis Barkhane. Elle a également largement contribué à la situation inquiétante du Sahel d'aujourd'hui avec la recrudescence de combattants islamistes violents renforcés par leur connexion aux cellules de crime organisé. DERADICALISATION TUNISIENNE Ainsi que l'avait déjà énoncé l'Union européenne dans un rapport en 2018, "la Tunisie semble n'avoir aucune politique efficace pour gérer les 800 combattants étrangers qui sont rentrés de Syrie et d'Irak jusqu'à présent, ni les milliers de personnes que le gouvernement a empêchées de voyager pour rejoindre des groupes djihadistes". Il semblerait aujourd'hui, selon les chiffres officiels tunisiens que les combattants tunisiens devant revenir de la zone Syro-irakienne sont au nombre de 3000 et selon l'ONU, 5000. En matière de déradicalisation et de prévention, mis à part la case "prison" surpeuplée, et la stratégie sécuritaire, l'Etat ne semble toujours pas avoir mis en place de politique en ce sens. Seule la société civile et quelques acteurs communaux insistent sur les volets humains, socio-économiques et juridiques de la prévention. MOUSSALAHA AU MAROC Au lendemain des attentats de Casablanca en 2003, la stratégie de lutte contre l'extrémisme violent globale, inclusive et intégrée est mise en place. Elle est évolutive également car elle s'adapte aux développements sur tous les plans (socio-économique, sécuritaire, juridique, humain) liés à la lutte contre le terrorisme. Ainsi le programme Moussalaha qui en fait partie, est suivi par des détenus volontairement. Il vise à déradicaliser et réhabiliter ces jihadistes. Dans cette optique, le Directeur du BCIJ, M. Habboub Cherkaoui relève pour Barlamane.com que ces volontaires bénéficient d'une formation juridique, notamment de la loi 03.03, d'une formation religieuse qui repose sur l'Islam, religion de pardon, qui repose sur le sunnisme malékite achaari, et dont le garant est la commanderie des croyants. Quant à l'émission des fetwa, elle relève de la compétence du CSM (Conseil supérieur de la Magistrature) présidé par le roi. M. Cherkaoui déclare dans ce sillage, pour le compte de Barlamane.com, que l'effort de déradicalisation incarné par le programme Moussalaha est ouvert à tout volontaire pour lui permettre une réconciliation avec le texte religieux (Qoran et Sunna) et avec la société. Il s'articule, précise-t-il, autour d'une approche multidimensionnelle impliquant – en sus des autorités publiques, de plusieurs acteurs religieux et de la société civile pour une formation aux droits de l'Homme- l'INDH, pour le développement humain. L'objectif, rappelle-t-il, est d'immuniser ces détenus contre l'endoctrinement, avec un accompagnement post-carcéral et contre toute éventuelle rechute dans le crédo islamiste : « ce programme leur permet de redevenir des citoyens épousant les idéaux un islam tolérant.». M. Cherkaoui souligne que la sanction seule est insuffisante à la révision des idées salafistes. Ilprécise également que si ce programme est initié sur une base volontaire, "il ne s'adresse qu'à ceux qui n'ont pas fait de victimes humaines, car dans ce cas, ce n'est plus uniquement une affaire d'Etat mais de droit des familles des victimes, également. Concernant autres détenus appréhendés avant le passage à l'acte, à la question pourquoi une base volontaire (certains programmes ne le sont pas, comme le programme AMAL en France, à titre d'exemple), le directeur de BCIJ rappelle qu'en islam, point de contrainte (Qoran). Peut-être qu'il s'agit là de la parfaite illustration qu'obligation est incompatible avec adhésion. Le directeur du BCIJ nous apprend, en outre, que l'opération Moussalaha en est à sa 9ème session. Elle a également concerné, illustre-t-il, les femmes présentées par le BCIJ à la justice, dans le cadre du démantèlement d'une cellule féminine terroriste en 2016, dont 7 mineures. Il spécifie que l'une d'elles, en lien avec des combattants salafi-jihadistes via le net, était "porteuse d'un acte malveillant (déjoué par les services sécuritaires) visant les élections législatives du 7 octobre de la même année". Toutes ont bénéficié du programme Moussalaha et sont réinsérées et réintégrées dans la société, dit-il, satisfait, en spécifiant que les résultats du programme sont très bons. De par sa nature, Moussalaha paraît viser la distanciation de toute idéologie de la violence et de l'extrémisme. Un rapport de de l'Institut des hautes études de défense nationale (ANAJ-IHEDN) (France) évoque même un soutien psychologique appuyé, en plus des autres mécanismes qui font qu'aucun cas de récidive ne semble avoir été enregistré jusqu'à présent. De son côté, la Fondation de Recherche stratégique (FRS), affirme que le Maroc par le biais de ce programme est "ainsi proche de ce qui est fait en Europe". Cette approche semble parfaitement coller à la définition que fait le centre d'expertise intergouvernemental " l'International Institute for Democracy and Electoral Assistance (IDEA) de la réconciliation", c'est-à-dire "un processus global incluant des instruments clés tels que la justice, la vérité, la cicatrisation et la réparation afin d'assurer la transition d'un passé divisé à un avenir commun". Ainsi, l'organisation recommande de "ne pas retarder la réconciliation du fait de priorités politiques" car "la réconciliation s'est maintenant nettement imposée comme une dimension cruciale de la prévention des conflits". Moussalaha, fait partie des expertises et approches que le Maroc exporte dans la région du Sahel et dans le cadre de la coopération Sud-Sud, notamment à travers de l'Institut Mohammed VI de formation des Prédicateurs et Morchidates et de la Fondation Mohammed VI pour les Oulémas africains, lesquels ont vocation à faire le suivi des programmes également, conclut Monsieur Cherkaoui pour Barlamane.com