Un reportage diffusé en ligne par RFI promet de raconter l'histoire secrète du Polisario. En réalité, il s'affranchit des faits à de multiples reprises. Un reportage où l'auteur abuse des idées générales trop vite assimilées et trop peu contrôlées. Y a-t-il encore des gens qui reprochent aux médias français leur esprit de routine et leur aveuglement à l'égard du temps présent, concernant l'affaire du Sahara ? Il doit y en avoir car, encore, les mêmes clichés sont servis, obstinément. C'est le temps de l'année où les reportages mal renseignés sur le Sahara, textes agenouillés qui se réduisent à paraphraser des poncifs éculés, sont étalés dans les livres, dans les revues, dans les journaux, dans les meetings, sur les sites d'information, etc. RFI, un des acteurs de l'audiovisuel extérieur français, a osé un reportage de cinq volets sur le conflit du Sahara dont les détails ne concordent pas avec la réalité. Œuvre de circonstance, fabriquée pour les besoins immédiats de l'actualité, elle a emprunté aux mauvaises passions son intérêt. Barlamane.com revient sur les erreurs matérielles qui se pressent en rangs serrés dans ce travail réalisé «dans les camps de réfugiés sahraouis et dans les territoires contrôlés par la République arabe sahraouie démocratique (sic!)» et qui servent à toute l'argumentation de base. Certaines affirmations sont justement contradictoires, et elles sont pareillement catégoriques. «Conflit oublié» ou «conflit gelé», les mêmes éléments de langage reviennent, encore. Des phrases romancées jusqu'à la nausée, exemple : «Ce jeune homme de 23 ans incarne ce que le leadership du front Polisario veut absolument mettre en avant : passionné de sciences politiques et de numérique, il a étudié dans plusieurs pays étrangers, parle parfaitement l'anglais et l'espagnol, mais vient de se mettre au service de l'APLS dont il entend devenir un officier tout en relisant l'exemplaire de L'art de la guerre de Sun Tzu qu'il garde dans la poche de sa veste». Ensuite, ces mots incroyables, sortis tout hérissés du cerveau du journaliste : «Les populations y survivent grâce à l'aide humanitaire internationale et au soutien matériel de l'Algérie qui a construit les routes, alimente les centrales électriques en hydrocarbure et prend en charge les malades qui ne peuvent être soignés par les hôpitaux sahraouis.» Pas de vérificateurs chez RFI ? Pas d'allusion au rapport rédigé par l'Office anti-fraude de l'Union européenne (UE) qui pointe un détournement bien organisé depuis des années de l'aide humanitaire accordée aux séquestrés des camps de Tindouf en Algérie ? Pourtant, c'est un texte qui porte de lourdes accusations et cite les noms des personnes soupçonnées d'être les organisateurs de ces actes illégaux, qui commencent dans le port algérien d'Oran. Pire : il indique les habitants des camps «sont des prisonniers, de guerre ou civils, qui sont utilisés pour la manutention de l'aide et la construction de bâtiments financés par l'aide internationale». Si grossières que soient ces erreurs, et de quelque ignorance qu'elles témoignent, ce ne sont pas, au point de vue où nous nous plaçons, celles qui nous paraissent les plus graves. Elles portent sur des faits et il est donc aisé de les rectifier. Il en est d'autres que à redouter, celles qui nuancent un discours dogmatique, criminel, belliqueux. Raconter la situation au Sahara comme s'il s'agissait d'un contexte uniforme et monocorde, qui se déroule dans un vestibule irréel, est sûrement une spécialité française. Point de détail sur l'absence d'intégration entretenue par l'Algérie qui freine les échanges interrégionaux, mais aussi les investissements directs étrangers.de l'absence de coopération entre les Etats du Maghreb qui les empêche de parler d'une seule voix dans les négociations internationales, en particulier dans leur dialogue avec l'Europe, comme de se coordonner dans la lutte antiterroriste. Plaider la perspective d'un Sahara indépendant et d'un Polisario combattant n'est qu'un suicide intellectuel et moral. Proposition d'enquête : la commissaire européenne au Budget, Kristalina Georgieva, a reconnu que l'exécutif bruxellois n'avait pas jugé nécessaire de suspendre son aide et avait continué à allouer annuellement 10 millions d'euros pour les séquestrés des camps de Tindouf, administrés par le Front Polisario. Un point très combustible pour les journalistes français ? «Si le mouvement sahraoui n'est pas connu pour réprimer les voix dissidentes, ceux qui acceptent de nous parler savent dans quel contexte ils s'expriment, puisqu'il encadre toutes les facettes de la vie ici» lit-t-on encore plus loin. Misérables arguties. L'observateur le plus profane sait que le Polisario est divisé entre séparatistes convaincus à la solde d'Alger et partisans d'un règlement pacifique du conflit. L'échec du processus de négociations de Manhasset en 2008 a d'ailleurs provoqué la défection de Ahmedou Ould Souilem, ex-numéro 2 du Polisario, qui s'est rallié au Maroc, avec d'autres hauts membres du Polisario, tels que Mostafa Salma. Certains dissidents du Polisario ont également fait défection, fondant un mouvement dissident anti-Polisario affranchi de la pesante tutelle algérienne, le Khatt al Chahid (La ligne du martyr). Le délitement du Polisario n'est pas donc clair pour François Mazet, qui, doué d'une vision grossissante il enfle démesurément le rôle d'une milice sans ancrage et sans ramifications. «Néanmoins, le retour à l'état de guerre semble populaire. Il permet de mobiliser une jeunesse qui n'a connu que l'exil, les familles coupées en deux et le fait accompli. Peut-être aussi de canaliser certains candidats à une démarche plus radicale, qui a vu d'anciens réfugiés des camps rejoindre des groupes djihadistes au Sahel, tel Abou Walid al-Sahraoui, chef du groupe Etat islamique tué par les Français mi-août», écrit M. Mazet. Pourquoi produire un reportage si la raison étroite et relative aura gain de cause sur la raison infinie, absolue au point mutiler la réalité à ce point ? Le reportage de M. Mazet ne procède pas de l'expérience du terrain et n'est pas davantage la conclusion d'une observation méticuleuse. Il n'est que l'expression d'un incommensurable orgueil journalistique. C'est une tare. C'est la tare de décrire romantiquement une milice dont ont dit qu'il a des liens avec des groupes terroristes. Toutes les fois qu'il s'agit d'exprimer des choses sur le conflit du Sahara, il y a un devoir essentiel : c'est de savoir d'abord transmettre la réalité transparente, et non pas des détails choisis comme exprès parmi les préjugés les plus dénués de fondement ou de portée.