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Ali Bensaad : «Le discrédit du régime algérien, qui se désagrège, est tel qu'il rejaillit sur l'image de tout le pays. Il est l'homme malade du Maghreb»
Le discours d'Emmanuel Macron sur la rente mémorielle algérienne intervient à un moment où le pays, qui s'est décrédibilisé et neutralisé géopolitiquement, veut faire oublier sa vulnérabilité en faisant diversion, estime le professeur de géopolitique, écrit le politologue Ali Bensaad dans une chronique au Monde. «Rien n'a été dit par Emmanuel Macron sur le pouvoir algérien qui n'ait déjà été dit et crié fort en Algérie même. Il en a seulement pris avantage pour semer le doute sur les fondements d'une nation algérienne. S'il s'est permis de le faire, ou a cru –pour des calculs électoralistes – devoir le faire, c'est parce que le discrédit du régime algérien est tel qu'il rejaillit sur l'image de tout le pays» écrit Ali Bensaad, professeur à l'Institut français de géopolitique, université Paris-VIII. Crise avec le Maroc, la France, l'Union africaine : le régime algérien est empêtré dans un dérèglement des goûts belliqueux. Dépouillé de toute prépondérance dans les affaires publiques. Le gouvernement algérien est un petit gouvernement sans traditions d'honnêteté, dominé par un régime qui récuse la diplomatie et la temporisation comme des expédients usés, érigeant en principe que, lorsqu'une question se présente, elle doit être résolue à la hâte, et à poser en règle que la surenchère est le seul moyen de dénouer les difficultés. Cette nouveauté prétendue serait le retour aux usages du chaos politique. «Pour cette raison, il ne se trouve plus personne en France pour le défendre, alors même que sa guerre de libération, puis ses tentatives de développement et de lutte pour le rééquilibrage des rapports Nord-Sud, malgré leurs errements, lui avaient valu la sympathie de larges secteurs de l'opinion française et de nombre de ses intellectuels. Les pratiques autoritaires et prédatrices du régime ont fini par dilapider le capital de sympathie dont bénéficiait le pays et lui aliéner ses soutiens. Pis, ils ont justifié, a posteriori, les thèses revanchardes de l'extrême droite et des tenants de "l'Algérie française", en leur offrant l'alibi d'une "république bananière"» mentionne M. Bensaad. «Le régime algérien porte une part de responsabilité dans ce glissement de l'opinion française. La désespérance qu'il a introduite dans la société est telle que nombre de ses citoyens identifient les figures militaires et civiles de ce système à des "colons" et le crient dans les manifestations. Il ne sert à rien de s'offusquer d'un tel anachronisme qui exprime plutôt la violence d'un ressenti» indique-t-il. Pour lui, «l'Algérie s'est isolée même dans ses bastions stratégiques, comme en Afrique, où le retour en force du Maroc a entraîné dans son sillage celui d'Israël, illustré par son statut d'observateur à l'Union africaine, obtenu [en juillet] au moment même où ce pays dénie plus que jamais tout droit aux Palestiniens. L'intérêt n'est pas dans ce qu'a dit M. Macron sur la nation algérienne [le 30 septembre, au cours d'un échange avec des jeunes, Français d'origine algérienne, binationaux et pour certains Algériens]. Il a repris des clichés aussi vieux que démentis par les historiens, et qui vont et viennent au gré des enjeux électoraux. Ce qu'il y a de nouveau, c'est le contexte dans lequel intervient cette énième polémique. Celui de l'extrême isolement dans lequel s'est placé le régime algérien, dans le pays d'abord, comme l'illustre le Hirak, et à l'international ensuite, et qui vulnérabilise à l'extrême l'Algérie. C'est cela qui en fait la cible facile des révisionnistes de la décolonisation. C'est cela aussi qui élargit, en France, le cercle de l'inimitié, en dehors des secteurs traditionnellement hostiles.» Cette situation, «c'est surtout ce qui, faisant de l'Algérie "l'homme malade du Maghreb", a abouti à un effacement de sa présence sur la scène internationale et aiguisé des appétits pour l'en bouter. Géopolitiquement, l'Algérie est un pays neutralisé, contraint à la défensive, comme l'illustrent d'un côté son effacement dans des enjeux régionaux qui affectent directement sa sécurité – tel le conflit libyen – et, de l'autre, l'immense mur défensif qu'elle construit le long de ses vastes frontières, notamment sahariennes, et qui n'est pas sans rappeler celui que le Maroc avait érigé quand il ne pouvait résister aux assauts du Front Polisario. La véritable question, c'est cette vulnérabilité dans laquelle le régime a placé le pays. C'est cette réalité que celui-ci veut faire oublier en se saisissant de la perche de la saillie provocatrice de Macron» a-t-on détaillé. Quelle est donc l'origine de cet étrange état des choses où l'Algérie, comme un navire à la dérive, obéit à un courant qui l'entraîne graduellement vers la dislocation ? Les observateurs redoutent un choc des nations à main armée, car, pour eux, la tempête se déchaîne sans motif avouable. Des ambitions irréfléchies, des décisions déréglées ont imprimé à l'organisme algérien une soudaine commotion à laquelle il semble qu'il n'ait pas la puissance de se soustraire. Le régime algérien renverse les intérêts les plus vitaux au détriment de ses obsessions, compromet les libertés de son peuple, bien qu'il ait peu l'habitude de respecter, offense ses sentiments et heurte ses espérances en tant de genres divers. Le Hirak algérien manifeste pour ne plus se trouver encore à dépendre absolument, servilement, d'un tout petit nombre de hauts personnages sulfureux dont les volontés, les élucubrations, les fantaisies même seraient subies comme des arrêts du destin. «Comme en France, le débat focalisé sur les questions identitaires et mémorielles sert de diversion pour occulter les impasses dans lesquelles le régime a enferré le pays. D'ailleurs, il décrédibilise par ses propres pratiques ses revendications mémorielles, comme celle du retour en Algérie des archives [rapatriées en France après l'indépendance], alors qu'il interdit à ses chercheurs l'accès à celles qui s'y trouvent déjà. Sans parler des entraves au travail de recherche, qui n'est qu'une facette d'une répression en train de se généraliser» analyse le politologue. «Il y a une fuite en avant dans un tout-répressif qui accentue les fissures de l'édifice national. L'instrumentalisation de la question régionale, notamment kabyle, n'est pas la moins dangereuse pour la cohésion nationale. Cela se traduit, à l'international, par la multiplication des tensions régionales et le recours à des casus belli, dans une sorte de prophétie autoréalisatrice de "forteresse assiégée" qui justifierait les déboires du régime et le légitimerait par l'épouvantail du danger extérieur. La fébrilité de cette fuite en avant laisse craindre que ne soit plus exclue l'option d'une guerre, avec l'illusion, classique, qu'elle pourrait renflouer son déficit de légitimité et ressouder autour de ce dernier une population qui, depuis le 22 février 2019 [début du Hirak], lui tourne le dos» a-t-on pointé. «Ce n'est pas seulement l'embrasement régional qu'il faudra alors craindre, mais le risque d'effondrement de l'Etat national : la pénurie d'oxygène au plus fort de la pandémie de Covid19 et la crise liée aux incendies [dans le nord de l'Algérie, en août] ont révélé une fragilité telle qu'il ne pouvait déjà plus assurer ses missions régaliennes. De l'Irak à la Syrie en passant par le Yémen et la Libye, on sait comment les conflits armés précipitent la chute des Etats. Le risque que l'Algérie rejoigne cet arc des "Etats faillis" ne serait alors plus de l'ordre de l'improbable» a conclu le politologue.