«La légitimité passe par le vote», environ 2 000 manifestants, selon des observateurs, ont dénoncé dimanche à Tunis «le pouvoir aux mains d'un seul homme», disant redouter «un retour à la dictature de Ben Ali», après l'adoption par le président Saied de mesures exceptionnelles, cette semaine. Au milieu d'une foule massée devant le théâtre municipal de Tunis, deux femmes de haute taille se distinguent dans cette manifestation, la plus importante depuis le coup de force du président Kais Saied le 25 juillet. Blindés, fourgons de police et barrières métalliques pour filtrer le passage d'une zone à l'autre, les forces de sécurité sont déployées en masse sur l'avenue Bourguiba, principale artère de la capitale. Mercredi, le président Saied a fait publier un décret qui se substitue à divers chapitres de la Constitution, contenant «des mesures exceptionnelles». Celles-ci pérennisent le gel du Parlement, lui permettent de légiférer par décret, de présider le conseil des ministres, et d'édicter des lois dans tous les domaines. Kais Saied, élu fin 2019, avait surpris le 25 juillet, en annonçant qu'il limogeait le premier ministre, suspendait les activités du parlement et s'octroyait aussi le pouvoir judiciaire. Après des mois de blocage politique et en pleine crise sanitaire de la Covid-19 aggravant les difficultés économiques et sociales du pays, ce coup de force avait été accueilli par des scènes de liesse populaire. Non loin du sexagénaire, une femme agite dans une main un drapeau tunisien et dans l'autre le livret de la Constitution. Pour cette cadre bancaire de 58 ans qui ne veut pas dire son prénom, désormais «le président détient tous les pouvoirs, c'est pire que Ben Ali». Quelques slogans fustigent un rôle supposé de la France et critiquent la tenue prochaine du sommet de la Francophonie en Tunisie qui avalise, selon eux, les actions de M. Saied : «France dégage», «Saied, serviteur des colons». Ibrahim, 59 ans, porte une pancarte montrant M. Saied qui embrasse l'épaule de son homologue français Emmanuel Macron : «Ce n'est pas contre Macron. J'ai voté pour Saied et ils nous a trahis». Samedi, une vingtaine d'organisations de défense des droits humains tunisiennes et internationales ont fustigé dans un communiqué «l'accaparement du pouvoir» par le président, qu'elles ont qualifié de «dérive sans précédent».