«Notre mission en Afghanistan n'a jamais été censée construire une nation», a déclaré le président des Etats-Unis, cible de vives critiques après la prise de pouvoir par les talibans dans le pays. «Le fait de retirer nos forces était la bonne décision, nous ne pouvions pas nous battre si les forces afghanes n'étaient pas prêtes elles-mêmes à le faire.» Au lendemain de la prise de Kaboul par les talibans, Joe Biden a pris la parole, lundi 16 août, de la Maison Blanche en tentant de justifier pendant une vingtaine de minutes le retrait américain du pays. «Après vingt ans, j'ai appris à contrecœur qu'il n'y avait jamais de bon moment pour retirer les forces américaines», a affirmé le président des Etats-Unis lors d'une adresse à la nation très attendue, en raison du mutisme présidentiel durant le week-end historique. Réellement ébranlé pour la première fois depuis son élection, M. Biden a défendu encore et encore sa décision de retirer les derniers soldats américains d'Afghanistan au plus tard au 31 août, en confiant le sort du pays à un gouvernement et des soldats afghans, aujourd'hui en pleine déroute : «Je suis le président des Etats-Unis et, à la fin, c'est moi qui assume. Je suis profondément attristé par la situation, mais je ne regrette pas.» «Il n'y avait pas de bon moment pour ce retrait, nous étions lucides face au risque», a-t-il assuré. «Notre mission en Afghanistan n'a jamais été censée construire une nation. Elle n'a jamais été censée créer une démocratie unifiée centralisée», a-t-il insisté, en précisant que l'objectif unique «rest[ait] aujourd'hui et a toujours été d'empêcher une attaque terroriste sur le sol américain». «Les choses sont allées beaucoup plus vite que nous l'avions anticipé» Face aux images désastreuses du chaos à l'aéroport de Kaboul et des talibans patrouillant dans les rues de la capitale afghane, le président des Etats-Unis a reconnu que «les choses sont allées beaucoup plus vite que nous l'avions anticipé», parlant d'un «effondrement de l'armée afghane». «Nous leur avons donné toutes les options pour déterminer leur propre avenir», a-t-il assuré, ajoutant que «les forces américaines ne peuvent pas, et ne devraient pas, mener une guerre et mourir d'une guerre quand les forces afghanes n'ont pas la volonté de combattre pour elles-mêmes». Il a en outre souligné que les adversaires des Etats-Unis sur la scène internationale, Chine et Russie au premier rang, auraient «adoré» que les Américains restent enlisés en Afghanistan. Face au chaos régnant, le locataire de la Maison Blanche a par ailleurs menacé lundi les talibans de représailles si ces derniers venaient à perturber les opérations d'évacuation en cours à l'aéroport de Kaboul. En cas d'attaque, la réponse sera «rapide et puissante», a déclaré M. Biden, promettant de défendre les ressortissants américains avec un usage «dévastateur de la force si nécessaire». Les Etats-Unis continueront de s'engager pour les «femmes et les jeunes filles» d'Afghanistan, a également promis Joe Biden, qualifiant les scènes en Afghanistan de «déchirantes». Une ligne que Ned Price, le porte-parole du département d'Etat, a également suivie. «Concernant notre position vis-à-vis d'un quelconque futur gouvernement en Afghanistan, elle dépendra du comportement de ce gouvernement. Elle dépendra du comportement des talibans», a-t-il déclaré devant la presse, lundi. «Un futur gouvernement afghan qui préserve les droits fondamentaux de son peuple (...) y compris de la moitié de sa population – ses femmes et ses filles –», «qui n'offre pas de refuge aux terroristes», «c'est un gouvernement avec lequel nous pourrions travailler», a affirmé M. Price. Le porte-parole a aussi déclaré que l'émissaire américain Zalmay Khalilzad était encore au Qatar, où les discussions avec les talibans ont lieu depuis plusieurs mois, et que des responsables américains échangeaient toujours avec les insurgés dans le pays du Golfe. Vague de critiques Lors de sa dernière prise de parole en public sur l'Afghanistan, mardi, Joe Biden avait déjà défendu sa décision. Le 10 août, il avait dit «ne pas regretter» le retrait américain du pays. Les Afghans «doivent avoir la volonté de se battre» et «doivent se battre pour eux-mêmes, pour leur nation», avait-il ajouté. «Nous avons dépensé plus de 1 000 milliards de dollars en vingt ans, entraîné et équipé (...) plus de 300 000 militaires afghans», avait-il plaidé. Tous les médias américains, y compris ceux qui avaient accueilli avec soulagement son élection, parlent de «désastre», à l'instar de la chaîne CNN, ou d'un Joe Biden «sur la défensive», comme le Washington Post. «Que l'on trouve cela juste ou injuste, l'histoire retiendra que Joe Biden est celui qui a présidé à la conclusion humiliante de l'expérience américaine en Afghanistan» après vingt années de guerre, a asséné lundi le New York Times. Face à cette vague de critiques jamais vues depuis l'élection, la Maison Blanche de Joe Biden, cette machine bien huilée, a semblé tétanisée ces derniers jours. Jeudi, puis vendredi, alors que les talibans prenaient le contrôle de l'Afghanistan à une vitesse stupéfiante, la priorité de la Maison Blanche restait de vanter le «plan Biden» censé refonder l'économie américaine sur des bases plus justes, à coups de dépense gigantesque. Et samedi, c'est dans un communiqué que Joe Biden a annoncé porter à quelque 5 000 soldats le déploiement militaire à Kaboul pour sécuriser l'évacuation de civils. Mais sa présidence plutôt maîtrisée, assumant de se consacrer à des réformes économiques et sociales vient bel et bien de vaciller. L'opposition républicaine s'est engouffrée dans la brèche, face à l'humiliation de cette armée afghane dont les Américains étaient si fiers, et à la confusion dans laquelle se déroule l'opération d'évacuation. Jusqu'ici, le camp conservateur était bien embarrassé du retrait décidé par Donald Trump, et perçu de manière favorable par une opinion publique lasse du conflit en Afghanistan. L'ancien président républicain ne s'y est pas trompé, lui qui avait pourtant fixé un calendrier encore plus serré que celui de Joe Biden, puisqu'il avait fixé l'échéance au 1er mai 2021. «Il est temps que Joe Biden, discrédité, démissionne pour avoir permis ce qui s'est produit en Afghanistan», a réclamé Donald Trump dimanche dans un communiqué, bien décidé à faire porter le chapeau de la débâcle des militaires afghans uniquement à son successeur. Celui-ci a tenu à répondre indirectement en insistant, lundi, sur le fait que l'accord par lequel il était tenu avait été négocié avec les talibans par Donald Trump, lui-même.