A l'approche d'une échéance-clé Partir ou rester? Confronté au dilemme d'une date butoir rapprochée fixée par Donald Trump pour quitter l'Afghanistan, Joe Biden espère contourner l'obstacle en forçant la main de Kaboul et des talibans pour relancer le processus de paix avec une nouvelle initiative aussi ambitieuse que périlleuse. Nous continuons à encourager toutes les parties à participer de manière constructive et avec un certain empressement aux négociations de paix interafghanes lancées en septembre au Qatar, a déclaré lundi le porte-parole de la diplomatie américaine Ned Price, assurant que des progrès étaient possibles. Sans entrer dans le détail de ce qui se joue en coulisses, il a reconnu que les Etats-Unis avaient avancé des idées pour accélérer le processus. La démarche a en réalité surpris les observateurs, qui en saluent l'audace ou déplorent une fuite en avant, au moment où le président Biden est confronté à une décision cruciale. Il doit en effet annoncer s'il respecte l'échéance du 1er mai pour retirer d'Afghanistan les 2.500 derniers soldats américains, conformément à un calendrier fixé par son prédécesseur dans le cadre d'un accord historique conclu il y a un an avec les talibans. La chaîne afghane TOLOnews a révélé une lettre du secrétaire d'Etat Antony Blinken pressant les dirigeants afghans d'accepter un projet d'accord prévoyant un nouveau gouvernement inclusif, auquel participeraient les talibans. Il resterait en place pendant une période de transition d'une durée indéterminée doublée d'un cessez-le-feu permanent et censée aboutir à des élections libres après rédaction d'une nouvelle constitution. Afin d'y parvenir, Washington propose de relancer les pourparlers de paix entre Kaboul et les insurgés dans les prochaines semaines en Turquie, tout en instaurant pendant ce temps une période de réduction de la violence de 90 jours pour éviter la traditionnelle offensive de printemps des talibans. On dirait que l'objectif, c'est de tenter de trouver d'autres options que simplement devoir partir ou rester le 1er mai. Y a-t-il un raccourci vers un processus de paix?, dit Laurel Miller, ex-émissaire américaine pour l'Afghanistan, aujourd'hui experte de l'organisation de prévention des conflits International Crisis Group. Selon elle, les diplomates américains lancent quelques hameçons pour voir si ça mord. L'accord américano-taliban prévoyait le retrait total des Américains à condition que les insurgés rompent avec les groupes jihadistes comme Al-Qaïda, dont la présence en Afghanistan avait provoqué l'intervention américaine après les attentats du 11 septembre 2001. L'administration Biden a estimé publiquement que cet engagement n'était pas tenu. L'autre condition était l'ouverture de négociations directes inédites entre les insurgés et Kaboul. Or les pourparlers de Doha piétinent. Quant à la réduction de la violence, censée accompagner ce processus de paix, elle ne s'est jamais vérifiée sur le terrain — bien au contraire. En toute logique, Joe Biden devrait donc maintenir des troupes en Afghanistan. Sauf que, comme Donald Trump, le démocrate veut mettre fin à la plus longue guerre de l'histoire des Etats-Unis. Dans sa lettre, Antony Blinken met la pression sur le président afghan Ashraf Ghani, en prévenant que l'option d'un retrait total au 1er mai reste d'actualité. Auquel cas, prévient-il sans détour en justifiant l'urgence de sa requête, la situation sécuritaire risque de se dégrader et les talibans pourraient réaliser des gains territoriaux rapides. Le vice-président afghan Amrullah Saleh a dénoncé les propositions américaines qui signeraient la fin des actuelles autorités élues en faveur d'un gouvernement de transition. Les talibans peuvent participer à de futures élections en cas d'accord, mais l'avenir du pays ne peut être scellé par 20 personnes dans une pièce, a-t-il lancé lundi. Notre dépendance au monde extérieur ne signifie pas que nous devions obéir à des exigences illégitimes, a-t-il encore fustigé. Selon Laurel Miller, il est aussi quasiment impossible que les talibans acceptent le plan Blinken, car ils ont toujours refusé d'entrer dans un gouvernement d'union. Les talibans veulent toujours la résurrection de leur émirat islamique totalitaire renversé par l'intervention américaine de 2001, acquiesce Thomas Joscelyn, du cercle de réflexion Foundation for Defense of Democracies, trouvant la position de Washington sévère à l'égard du président Ghani alors que les insurgés sont les principaux responsables de la violence actuelle. Scott Warden, du think tank US Institute of Peace, se veut plus optimiste. Il n'est pas très réaliste d'avoir un accord final, ou même un pré-accord, d'ici mai, reconnaît-il. Mais la lettre peut permettre certains progrès importants, et enclencher enfin les discussions sur les questions-clés après des mois d'enlisement.