Ignacio Cembrero ne peut pas accepter de discussion sur des questions espagnoles purement intérieures. Mais quand il s'agit du Maroc, il se donne toute latitude de commenter les causes nationales suprêmes. Derrière des sorties médiatiques présentées comme neutres, une incoercible propagande du ressentiment. «Nous sommes toujours au même point, face au théâtre d'agitprop de Cembrero» disait naguère, dans une conversation intime, un homme politique de Rabat. Le mot est d'une piquante justesse, et les événements récentes lui donnent une illustration toute nouvelle. Depuis quelques semaines; il rôde, clame, tambourine, parle à des feuilles périodiques et bourdonne aux oreilles. Sa litanie sauvage, constamment en fermentation souterraine, n'est pourtant qu'un infidèle écho de la réalité. Dans une tribune publiée le 23 juin, Ignacio Cembrero, journaliste disgracié, appelle Rabat à octroyer «bien plus de pouvoirs aux autorités locales sahraouies» et à ce que «les forces de l'ordre marocaines cessent de bastonner tous ceux qui, dans le territoire, réclament l'autodétermination (sic!)». Une plume aiguisée qui se garde bien de commenter l'annonce de l'indépendantiste catalan Pere Aragonés, qui s'est engagé à réclamer à Madrid l'organisation d'un référendum d'autodétermination pour cette région espagnole secouée en 2017 par une tentative de sécession. Cembrero, de toutes ses forces, essaie de minimiser l'évolution de la position des Etats-Unis relative au Sahara, responsables du dossier au Conseil de sécurité et auteur des textes qui y ont trait à travers un infatigable prosélytisme antimarocain. Non, «la zone de confort» mentionnée par Cembrero, n'est pas l'activisme diplomatique de Rabat, c'est de répéter sans cesse le «plein soutien» de Madrid à «l'application des résolutions de l'ONU ainsi qu'une solution durable et mutuellement acceptable». Une rhétorique trompeuse, hypocrite et inerte, et une muette constance inacceptable. Le Maroc lance un grand plan de transit estival de sa diaspora, avec un dispositif excluant toute liaison maritime via l'Espagne, assorti de rabais sur les liaisons aériennes afin d'amortir la différence de coût pour les voyageurs. Le rond-de-cuir sans envergure sort de sa tanière pour commenter une décision qui fait les affaires de son gouvernement…avant de faire volte-face et dénoncer, quelques jours après et sur un air traînant et plaintif, une «discrimination» puisque les seules liaisons maritimes prévues partent de France (Sète, Marseille), d'Italie (Gènes) ou du Portugal (Portimão). Il fallait que Cembrero lise que l'exclusion de l'Espagne du dispositif marrocain représente des pertes de l'ordre de 450 et 500 millions d'euros, uniquement pour les compagnies de ferry assurant la traversée, selon un calcul de la compagnie FRS Iberia, pour qu'il réagisse et annonce que cela mette en péril plusieurs milliers d'emplois, notamment saisonniers, dans la région du port d'Algésiras. "You never miss the water till the well runs dry" A short story in two parts: (Day 01) (Day 10) https://t.co/AQYwMEtQ4J pic.twitter.com/Kc07WqfA4c — Canopus (@nomadwithyou) June 17, 2021 Des déclarations de haute fantaisie, illogiques et notoirement contradictoires, qu'interrompent des éclairs de lucidité apparemment destinés à en préciser le sens, multipliées, accordées à plusieurs médias nationaux ou étrangers. Tout en pensant déporter dans les terres marocaines les vieilles idées malfaisantes du passé, afin qu'elles puissent, affranchies de toute critique, s'y enraciner profondément. Rabat, par exemple, a demandé avec insistance une enquête «transparente» sur les conditions d'arrivée en Espagne du chef du Polisario, qui a voyagé de façon «frauduleuse», «avec un passeport falsifié», sans qu'il soit entendu. Les sorties de Cembrero sont-elles des harangues officielles espagnoles ? On le dit. La crise maroco-espagnole, à vrai dire, n'est point tout à fait récente, elle date de loin, elle a son origine dans la manière même dont le gouvernement de Madrid considère les relations avec Rabat avec une vision passéiste. Les derniers événements ont définitivement englouti l'ancien ordre de choses. Cembrero minimise aussi l'affaire Brahim Ghali, lequel a été entendu début juin en visioconférence depuis l'hôpital de Logroño par un juge du haut tribunal madrilène de l'Audience nationale car il est visé par deux plaintes en Espagne, la première pour «arrestation illégale, tortures et crimes contre l'humanité», déposée en 2020 par Fadel Breika, dissident du Front Polisario, et l'autre déposée par l'Association sahraouie pour la défense des droits de l'Homme (ASADEDH) pour «génocide», «assassinat», «terrorisme», «tortures» ou «disparitions», commisdans les camps de Tindouf. S'agissant de Sebta et Melilia, Cembrero ne cache pas son dépit de l'annonce du bureau du Parlement marocain qui a «dénoncé le contenu de la résolution européenne contre Rabat pétrie de nombreuses contrevérités» en «réitérant le statut juridique» de Sebta, «ville marocaine occupée». Il prédit un avenir sombre pour les liens Maroc-UE, avant le vote du Parlement européen sur le texte qui étendra au territoire du Sahara les tarifs douaniers préférentiels octroyés par accord commercial au Maroc. Le partenariat stratégique UE-Maroc inclut aussi des aides européennes liées à la question migratoire, un enjeu crucial pour l'Europe. L'Espagne elle-même, en face des rives du Maroc, est redevenue la première porte d'entrée en Europe, avec des milliers d'arrivées par la mer chaque année. Tandis que le Maroc a marché vers l'entente, l'apaisement et un voisinage véritable, Madrid n'a cessé de présenter le triste spectacle d'une anarchie et d'une désaffection presque générales. Elle s'est montré incapable de résoudre une seule des questions qui intéressent la vie même des relations de l'axe bilatéral, et les difficultés n'ont fait que s'accumuler sur ses pas. Cembrero, lui, commente tout : l'affaire Brahim Ghali, la rencontre de haut niveau entre le Maroc et l'Espagne, reportée, et qui prévoyait la signature de plusieurs accords bilatéraux, la crise migratoire, la reconnaissance de la souveraineté marocaine sur le territoire du Sahara par Washington, toujours dans un sens à accabler Rabat de reproches. «L'Europe en général a été assez complaisante avec le Maroc. C'est le premier pays du Sud de la Méditerranée qui reçoit des aides de l'Union européenne et qui reçoit également des millions d'euros pour combattre l'émigration irrégulière qui arrive en Espagne» a déclaré Cembrero dans un entretien avec un média algérien sans sourciller. Quand Arancha González Laya fut mise à la tête de la diplomatie espagnole, bien des gens eurent des appréhensions graves et des méfiances d'ailleurs très explicables. Il semblait impossible qu'une telle femme fût arrivée à un tel poste sans l'arrière-pensée de léser les intérêts du Maroc, sans le désir caché et coupable d'amener des complications violentes, de compromettre les liens entre les deux pays. On le sait maintenant, Arancha González Laya a organisé l'accueil de Brahim Ghali en Espagne avec de hauts responsables du gouvernement. Sur ce point, Cembrero ne pipe mot. L'approche de la nouvelle administration américaine démocrate de Joe Biden ne tranche guère avec celle de l'ex-président républicain Donald Trump qui avait à la fin de son mandat en décembre reconnu la souveraineté du Maroc sur le Sahara. La politique du nouveau président américain et le sort qu'il entend réserver à la proclamation de Donald Trump n'ont pas encore été précisés, mais tout tend vers une perpétuation de la nouvelle réalité annoncée, malgré les griefs de Cembrero et d'une certaine presse qui se dit marocaine. Rien de piquant comme le parfum de l'hypocrisie, le relent d'autorité personnelle et de césarisme que l'on respire dans cette atmosphère infeste où Cembrero végète. En reconnaissant la souveraineté de Rabat sur le territoire, les Etats-Unis «n'ont fait que dire tout haut ce que pensent les autres Etats et le Conseil de sécurité de l'ONU», a estimé l'universitaire marocain Rachid Lazrak. Là voilà une bonne vérité.