Pour donner une dimension internationale à un entretien avec un chef d'Etat algérien et faire tourner un article à accès par abonnement, il semble que parler de la reconnaissance du Sahara par les Etats-Unis est nécessaire. La première puissance mondiale intéresse, certainement, tout le monde. Cela est-il suffisant pour lire tout l'entretien ? Tout dépend de la qualité de l'interviewé. En journalisme comme en littérature ou en politique, il n'y a pas de magie : savoir retenir l'attention du public, c'est savoir raconter, et savoir raconter est le contraire d'affabuler. Le Point, journal français s'est essayé ce 2 juin, à l'exercice avec Abdelmadjid Tebboune. A question inappropriée adressée à Tebboune, «Pensez-vous que l'administration Biden devrait revenir sur la reconnaissance de la marocanité du Sahara occidental par Trump ?», réplique impulsive. Comment des journalistes professionnels peuvent-ils envisager qu'un tel dossier dépend d'un homme et non d'une politique étatique continue ? La réponse qui suit est tout aussi décevante car elle ramène un dossier régional, aux implications internationales, à un simple angle militaire algéro-algérien : « Comment peut-on penser offrir à un monarque un territoire entier, avec toute sa population ? Où est le respect des peuples ? ». Tebboune vise bien entendu la première puissance mondiale qui abrite l'ONU et l'OTAN et qui a acté la souveraineté du Maroc sur son territoire septentrional, en l'accusant de faire une offrande à Mohammed VI. Oui, vous avez bien lu, il n'y a que Tebboune représentant d'un des rares régimes militaires encore debout au 21eme siècle, pour sacraliser le roi du Maroc. Soulignons au passage que les offrandes n'étaient faites qu'aux dieux grecs, que jalousaient des humains assez téméraires pour aller en guerre contre eux. Relevons, malgré le triste comique de situation, que même la Constitution marocaine ne donne pas de droit divin au roi. La phrase suivante prononcée par le même Tebboune donne l'estocade à sa propre rhétorique : « les Sahraouis à l'intérieur du Sahara occidental sont aujourd'hui minoritaires par rapport aux Marocains qui s'y sont installés ». N'avait-t-il pas assuré, juste une phrase avant, qu'il s'agissait d'un territoire autre avec une population autre ? La conséquence inévitable de ces deux phrases alignées à la suite, est donc un vote pro-marocain, si l'ONU avait considéré l'autodétermination comme option sérieuse pour résoudre le conflit du Sahara. Ce serait compter sans la touche des régimes militaires habitués à la propagande plutôt qu'à la logique. Tebboune en déduit que « 1+1= -1 » : «En cas de vote pour l'auto-détermination, les Marocains installés sur le territoire sahraoui vont voter pour l'indépendance parce qu'ils ne voudront plus être les sujets du roi». Un sondage à l'appui sur ce que veulent les Marocains, pour parler en leur nom, monsieur le porte-parole des généraux algériens ? A ce propos, il utile de mentionner que les tracts propagandistes ne sont plus de mise dans le monde actuel dans lequel s'inscrit le Maroc. Puis, Tebboune conclut, à la hussarde, sur le sujet du Sahara « Il est paradoxal d'avoir une majorité marocaine et de refuser le vote d'autodétermination ». Ce qui est paradoxal monsieur Abdelmajdid Tebboune, c'est votre insistance sur le recours à l'autodétermination contre le plan d'autonomie, que les généraux, à travers vous, sont seuls à défendre sur la base de vos propos. Vos déclarations s'appuient sur la volonté d'un tortionnaire notoire qui fait l'objet de plaintes d'associations sahraouies en Espagne, ainsi que sur celle, prétendez-vous de quelque 150000 prisonniers sahraouis que le régime militaire auquel vous avez fait allégeance, séquestre dans les camps de Tindouf. Il faut vous rappeler, Monsieur le Président que les témoignages et assertions sous contrainte ne sont pas valides aux yeux de la Justice internationale. Vous mettez en avant, ensuite, sur le plan interne, un processus de réformes démocratiques quand 137 personnes sont incarcérées pour délit d'opinion dans vos geôles, que les atteintes à ce même processus sont quotidiennes, que le nombre de jeunes qui émigrent clandestinement vers l'Europe a augmenté de 50% par rapport à l'année dernière à la même période. C'est la Sénatrice française Laurence Rossignol, Présidente de l'Assemblée des Femmes, qui donne les chiffres en interpellant le ministre des Affaires étrangères Le Drian au Sénat le 26 mai dernier. Pourquoi lui ? car c'est le seul ministre qui prend la défense du pouvoir algérien quand les atteintes à tout processus démocratique et aux réformes se poursuivent pendant que sa jeunesse est laissée à la dérive au gré des côtes européennes et à l'intérieur même du pays. Que fait la France pour que les libertés fondamentales soient garanties en Algérie? Ma QAG au Ministre des Affaires Etrangères. #Hirak https://t.co/fKOu8LWx5r — Laurence Rossignol (@laurossignol) May 26, 2021 Les journalistes algériens ou d'origine algérienne choisis par Le Point pour diffuser la propagande des généraux pouvaient-ils faire leur travail correctement ? Même sous le couvert du média français ? Les propos de Tebboune ont été publiés le 2 juin et recueillis le 24 mai par Adlène Meddi et Kamel Daoud, qu'on ne présente plus ni par la qualité de ses romans ni par ce qui fait sa spécificité en tant que journaliste. Wikipedia rapporte qu'il écrivait au Quotidien d'Oran, et que « le 12 février 2011, il est brièvement arrêté dans le cadre d'une manifestation. » C'est là que tout bascule. Daoud devient chroniqueur à Le Point et sa verve change de direction. Ainsi lit-on toujours sur Wikipedia : « en janvier 2019, il critique dans une tribune publiée par Le Point le mouvement des Gilets jaunes. Il se montre également critique à l'égard du Hirak algérien. » Ce Hirak même qu'il a utilisé pour essayer de montrer la noirceur du passage de Bouteflika à El Mouroudia versus la lumière qu'aurait apportée Tebboune, pour planter un décor à l'interview, dans une vaine imitation de Zola, n'en ayant ni le talent ni les accents de sincérité. L'histoire contemporaine connue ne dit pas ce qu'il advint de Adlène Meddi après son pamphlet contre le pouvoir. En effet, Meddi qui vous donne la parole aujourd'hui, a écrit un long réquisitoire « Algérie : pour libérer les médias de la soumission et de l'argent brutal, après la fermeture de Al watan Week par le régime algérien. Ce que l'on sait, c'est qu'il attéri à Le Point comme journaliste, également. Rares sont les médias français qui permettent à certains politiques de leur dicter qu'écrire et comment l'envelopper aux lecteurs. Le Point en fait partie. Habitué à la procédure, accepter qu'un régime militaire dictatorial donne sa version sans être questionné par les journalistes, n'est pas pour l'effrayer. Cette affiliation aux intérêts de certains politiciens a été mise à nue par Mediapart dans l'affaire de censure d'articles, moyennant paiement, sur les financements libyens de la campagne électorale de Sarkosy. Nous n'allons pas tous les énumérer car la liste des écarts à l'indépendance journalistique est trop longue, mais relevons aussi le procès (perdu par Le Point) que lui a infligé le très respectable Bernard Cassen, lorsqu'il était directeur général du Monde diplomatique. C'est dire qu'il fallait pour faire oublier toutes ces affaires aux Français, la longue introduction de deux pages pour tenter (vainement) de donner une dimension objective à l'interview ainsi qu'une carrure à Tebboune, qu'on aurait aimé, en tant que voisins, qu'il ait. Hélas. L'on sait bien, Monsieur Tebboune, que votre épée de Damoclès est une kalachnikov qui pèse sur votre tête. Et en cela nous ne sommes pas surpris de votre référentiel de la terreur qui puise dans le vocabulaire guerrier et belliqueux, ainsi que celui de la désinformation. Croyez assurément, Monsieur Tebboune, si le régime marocain était militaire je n'aurai pas de plume pour écrire ce que je pense non plus. L'on comprend que les généraux soient ragaillardis par le passage de Le Drian au sénat, pensant qu'il a fait taire la présidente des Femmes sénatrices. Non Monsieur Tebboune, il a juste usé d'une pirouette langagière, certainement puisée dans le discours diplomatique, et certainement influencée par son environnement personnel immédiat ; son épouse comme chacun le sait, étant une politicienne bretonne avérée d'origine espagnole qui crie à qui veut bien l'entendre sur Closer, Gala, Voici et Femme actuelle son attachement effectif à ses racines ibériques et sa vie partagée entre la France et l'Espagne. L'on sait que vos mots sont dictés par la peur et le souvenir sanglant et indéfiniment présent de Boudiaf, celui-là même qui a honoré la fonction qui mène à El Mouradia, dans ce lieu même où vous récitez les scènes du dernier acte de cette tragédie qu'est devenue la présidence de l'Algérie. Les législatives se profilent mais vous n'ignorez pas que la vraie volonté du peuple se finit en bain de sang : dès que les Algériens obtiennent ce qui les représentent, les militaires ne se chargent-ils de le leur enlever ? Fort heureusement, les nôtres se chargent de faire respecter nos frontières dont celles du Sahara comme en témoigne la Minurso. C'est ce respect du droit international, Monsieur, qui a valu au peuple marocain cette reconnaissance par les USA. Vous conviendrez que ce conflit que vous perpétuez, est pour la première puissance mondiale d'un intérêt infinitésimal dans l'échelle de ce qui la préoccupe à l'international. Et nos deux pays, comme l'opinion internationale le sait, ne sont pas en haut des dossiers à étudier ni pour les USA, ni pour l'ONU ni pour l'OTAN. C'est pour cela que la France et l'Espagne qui y ont des intérêts directs et indirects (en Afrique) le savent et tergiversent tant que le temps le leur permet... avant de se rendre à l'évidence et de suivre la position des USA. Agiter la menace de la carte islamiste au Sahel continuellement, dépassera un jour les capacités sécuritaires de la France à y répondre, seule. Et continuer à perdre du terrain en Afrique pour se plier au régime des généraux, ne sera pas assez intéressant.