Les Algériens bouclent vendredi, pour la 53e semaine consécutive de marches hebdomadaires, un an de contestation populaire qui aura contraint Abdelaziz Bouteflika à démissionner mais sans réussir à changer le « système » au pouvoir depuis l'indépendance. Le Pacte pour l'Alternance démocratique (PAD), qui regroupe des partis et associations en pointe dans le mouvement de contestation, a appelé, avec d'autres, « à faire des 21 et 22 février 2020, un moment fort de la mobilisation populaire pour disqualifier l'agenda de la régénération du système et jeter les bases d'une nouvelle République ». Vendredi matin, le centre d'Alger, épicentre des manifestations hebdomadaires, est calme, avec de nombreux véhicules de police visibles. Selon les réseaux sociaux, des barrages filtrants ont été mis en place aux entrées de la capitale pour compliquer l'accès des Algériens venus d'autres régions pour célébrer l'anniversaire. Il y a un an, le vendredi 22 février 2019, de nombreux Algériens, qu'on disait résignés et dépolitisés, envahissaient soudainement les rues à travers le pays, contre la volonté annoncée du président Bouteflika -quasi-invisible et muet depuis un AVC en 2013- de briguer un 5e mandat lors de la présidentielle prévue en avril. Un « Hirak » (« mouvement ») était lancé qui, après six semaines de manifestations ne cessant d'enfler, poussait l'état-major de l'armée, pilier du régime, à exiger et obtenir le 2 avril la démission d'Abdelaziz Bouteflika. Assurant ouvertement le pouvoir de fait, le haut commandement militaire a toutefois balayé ensuite toutes les revendications du « Hirak » sur un changement du « système », et multiplié les arrestations. Dans un entretien jeudi soir avec des titres de la presse nationale, le président Abdelmadjid Tebboune, ex-fidèle de M. Bouteflika élu en décembre lors d'une présidentielle massivement boudée, a rendu hommage au Hira » qui a empêché l'effondrement total du pays. Il a assuré qu'il allait mettre en œuvre « l'ensemble de ses revendications ». Mais, dans un « Manifeste du 22-Février », publié jeudi, des organisations proches du « Hirak » ont appelé à « continuer la mobilisation », soulignant que leurs slogans étaient toujours d'actualité: « Qu'ils partent tous » exprime « une volonté de rupture avec les institutions actuelles » et le refus « que le processus de changement soit confié au pouvoir en place ». Ce manifeste dénonce également la poursuite des « mesures répressives » contre journalistes, militants et manifestants et rappelle que les Algériens « veulent que leur pays soit gouverné et géré dans la transparence et la clarté ». Les citoyens « veulent des responsables redevables de leur action, une justice indépendante et un Parlement légitime qui ne soit pas une Chambre d'enregistrement », précise-t-il. L'ampleur des cortèges vendredi sera un test de sa vigueur, alors que le « Hirak » est confronté à de nombreux défis, à l'orée de sa deuxième année, au moment où le régime reprend des forces. Depuis la présidentielle, « il y a une façade constitutionnelle et démocratique mais en fait c'est exactement ce qu'il y avait avant », souligne Dalia Ghanem, chercheuse au Carnegie Middle East Center de Beyrouth (Liban). M. « Tebboune n'est que la façade civile d'un régime qui reste aux mains de l'institution militaire. » La capacité du régime « à changer sans changer et sa résilience vont être testées dans les prochaines années », poursuit Mme Ghanem, soulignant que les faibles prix des hydrocarbures vont l'empêcher de puiser dans la manne pétrolière pour acheter la paix sociale, comme il a eu coutume de le faire. Largement informelle, sans structure organisée ou dirigeants identifiés, la contestation doit à son tour se repenser au risque de s'essouffler. Doit-il accepter la « main tendue » par le président Tebboune au risque d'être avalé par le régime? Doit-il se structurer pour participer au jeu institutionnel? Au risque d'afficher au grand jour ses clivages et ses contradictions? Quoi qu'il en soit, le « Hirak » a déjà changé la donne politique, après 20 ans de présidence Bouteflika, durant laquelle toute opposition réelle a été méthodiquement découragée, entravée, bâillonnée ou « cooptée ». Surtout, avec le mot d'ordre « pacifique », il a « réussi à faire qu'il n'y ait pas de confrontation sanglante ni de répression brutale », souligne l'historienne Karima Dirèche, directrice de recherche au CNRS (France). La contestation a également rassemblé les Algériens en dépassant les clivages culturels, identitaires, linguistiques ou religieux, et souligné l'émergence d'une « nouvelle génération très politisée et qui sait ce qu'elle veut », note Dalia Ghanem.