La police et la gendarmerie pourront ficher les opinions politiques, appartenances syndicales et données de santé au nom de la sûreté de l'État, a confirmé lundi le Conseil d'État, rejetant les requêtes de syndicats qui dénonçaient la «dangerosité» de ces fichiers. La plus haute juridiction administrative a considéré que les trois décrets contestés, qui élargissent les possibilités de fichage, ne portaient pas une atteinte disproportionnée à la liberté d'opinion, de conscience et de religion ou à la liberté syndicale. Le Conseil d'État avait été saisi en référé (procédure d'urgence) par plusieurs centrales syndicales dont la CGT, FO ou la FSU, mais aussi le Syndicat de la magistrature et le Syndicat des avocats de France (SM et SAF, classés à gauche), qui dénonçaient le «spectre du Big Brother en 2021». Les décrets, publiés le 4 décembre après un avis favorable du Conseil d'État, autorisent policiers et gendarmes à faire mention des «opinions politiques», des «convictions philosophiques et religieuses», et de «l'appartenance syndicale» de leurs cibles, alors que les précédents textes se limitaient à recenser des «activités». Les réseaux sociaux scrutés Identifiants, photos et commentaires postés sur les réseaux sociaux y seront aussi listés, tout comme les troubles psychologiques et psychiatriques «révélant une dangerosité particulière». Outre les personnes physiques, les «personnes morales», telles que les associations, sont également visées. Dans le détail, les décrets portent sur trois fichiers : le PASP (prévention des atteintes à la sécurité publique) de la police ; le GIPASP (gestion de l'information et prévention des atteintes à la sécurité publique) des gendarmes et l'EASP (enquêtes administratives liées à la sécurité publique) utilisé avant le recrutement de fonctionnaires sur des postes sensibles. Début novembre, 60 686 personnes étaient inscrites au PASP, 67 000 au GIPASP et 221 711 à l'EASP, selon le ministère de l'Intérieur. Un concept flou, disent les détracteurs Auparavant limités aux hooligans et aux manifestants violents, ces fichiers recenseront désormais aussi les données des personnes soupçonnées d'activités terroristes ou susceptibles «de porter atteinte à l'intégrité du territoire ou des institutions de la République», un concept «flou» selon ses détracteurs. Face à l'émoi à gauche et parmi les défenseurs des libertés, le ministre de l'Intérieur a à plusieurs reprises réfuté toute volonté de «créer un délit d'opinion» ou une surveillance de masse. L'attaque des décrets devant le Conseil d'État est intervenue dans un contexte d'accusations répétées de dérive autoritaire du gouvernement, notamment avec les restrictions imposées dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire et la proposition de loi Sécurité globale. En 2008, le fameux fichier baptisé «Edvige», qui prévoyait notamment de recenser des personnes exerçant ou ayant exercé un mandat politique, syndical ou économique, avait suscité un tel tollé qu'il avait été retiré.