Dans une sorte de réflexe de Pavlov, des partis et des associations de gauche se sont précipités pour dénoncer la tentation liberticide qu'incarnerait le projet du fichier policier Edvige. Il fait partie des ces bombes politiques conçues pendant l'inattention estivale qui explose à retardement. Le fichier policier Edvige avait attendu la rentrée pour faire d'énormes vagues et provoquer des césures inédites dans la classe politique française et au sein du gouvernement. L'objet de la polémique, le fichier policier Edvige fut créé par un décret paru le 1er juillet dans le Journal officiel et qui donne le feu vert aux autorités de recenser dès 13 ans des personnes jugées «susceptibles de porter atteinte à l'ordre public» ou «ayant sollicité, exercé ou exerçant un mandat politique, syndical ou économique» ou «jouant un rôle institutionnel, économique, social ou religieux significatif». La nouveauté dans le débat qui agite le microcosme politique parisien n'est pas la posture des partis et des associations de gauche qui, dans une sorte de réflexe de Pavlov, se sont précipités pour dénoncer la tentation liberticide qu'incarnerait un tel projet. La vraie nouveauté qui risque de générer un malaise au sommet du pouvoir est que le feu de la protestation semble prendre au sein du gouvernement et de la majorité présidentielle. Le drapeau de la fronde gouvernementale a été porté fiévreusement par le ministre de la Défense Hervé Morin qui s'est livré à un vrai réquisitoire contre le fichier de renseignement Edvige : «Est-il utile, pour assurer la sécurité de nos compatriotes, de centraliser des informations relatives aux personnes physiques ayant seulement sollicité un mandat politique ou syndical? (…) Est-il utile qu'on y intègre des éléments du type des coordonnées téléphoniques, des orientations, sans savoir exactement de quoi il s'agit, des informations d'ordre fiscal ou patrimonial? Est-ce bien nécessaire de ficher les personnes jouant, selon les termes même du décret, un rôle institutionnel, économique, social ou religieux significatif? N'y a-t-il pas là un curieux mélange des genres?». La violence de la réaction de Hervé Morin est d'autant plus inédite et originale qu'en tant que leader du Nouveau Centre, il s'était toujours fait remarquer par sa discrétion et sa discipline. Il avait fallu la mort des dix soldats français en Afghanistan pour le voir monter au créneau pour défendre la présence militaire française dans ce pays. Sa sortie sur le fichier Edvige avait provoqué des grincements de dents. La ministre de l'Intérieur, Michelle Alliot-Marie, lui a renvoyé une volée de bois vert avec cette réponse : «Moi je suis ravie d'apprendre que Monsieur Morin se pose des questions. La question que moi je me pose c'est comment il se fait que depuis le 1er juillet il n'ait pas réussi à trouver mon numéro de téléphone pour me demander ce qu'il en était. Je l'aurais rassuré». Michelle Alliot-Marie se sent pousser des ailles, surtout qu'elle vient d'être bruyamment félicitée par le président Nicolas Sarkozy après le limogeage de Dominique Rossi, le patron des services de sécurité intérieure en Corse dans l'affaire des nationalistes corses et de la villa de l'acteur Christian Clavier. L'autre segment de la contestation du fichier Edvige vient du monde des affaires et des partenaires sociaux traditionnellement alliés du gouvernement. Il y a d'abord Laurence Parisot, présidente du Medef, soutien inconditionnelle de Nicolas Sarkozy qui vient de lâcher la bride à son amertume sur le sujet : «C'est quelque chose qui me gêne beaucoup. Je suis assez troublée par ce que l'on est en train de découvrir (..) Je note que nous n'avons pas été consultés alors que nous sommes concernés en tant que militants de l'entreprise». Il y a ensuite François Chérèque, patron de la CFDT, un grand syndicat qui n'est pas connu pour développer une hostilité et une opposition mécanique aux projets du gouvernement. Il ne mâche pas ses mots «Il est totalement inadmissible et je ne vois pas l'utilité d'un fichier où on indique les organisations syndicales, les orientations sexuelles, les maladies, etc. Je ne vois pas à quoi sert ce fichier si ce n'est contrôler de façon inadmissible les citoyens de notre pays (…) Ce fichier ne doit pas exister dans un pays démocratique comme le nôtre». Pour désamorcer la crise et éviter la constitution d'un front républicain contre le projet Edvige, le gouvernement fait savoir que les nombreux recours déposés auprès du Conseil d'Etat sont susceptibles d'apaiser les craintes et de fournir des garanties de contrôle supplémentaires contre toutes sortes d'abus.