Au Liban, paralysé par un blocage politique et confronté à une crise économique inédite, la formation d'un nouveau gouvernement attendu par la communauté internationale semble très lointaine. Après des semaines de négociations infructueuses, le premier ministre désigné Moustapha Adib a rendu samedi 26 septembre son tablier. Un retour à la case départ pour un Liban à qui la communauté internationale réclame des réformes urgentes avant de débloquer toute aide financière. Cette assistance est d'autant plus cruciale que l'explosion gigantesque du 4 août au port de Beyrouth est venue aggraver une situation socio-économique désastreuse. Dans ce contexte, une sortie de crise est-elle possible ? Quels délais pour un nouveau gouvernement ? Après le drame au port (plus de 190 morts et 6 500 blessés) qui a entraîné la démission du gouvernement de Hassan Diab, le président français Emmanuel Macron s'est rendu deux fois à Beyrouth. Début septembre, il avait assuré avoir obtenu des garanties de la part des politiciens conspués par la rue sur la formation, sous deux semaines, d'un gouvernement d'« indépendants ». Un délai manqué, dans un pays multiconfessionnel habitués à de longs marchandages entre des partis qui dominent depuis des décennies la scène politique. Après le renoncement de M. Adib, M. Macron a averti dimanche la classe politique libanaise qu'elle avait encore « quatre à six semaines » pour former un gouvernement. « Il appartient maintenant aux responsables libanais de saisir cette dernière chance. » « S'il n'y a aucune avancée sur le plan interne, alors nous serons obligés d'envisager une nouvelle phase de manière très claire et de poser la question de confiance: est ce qu'un gouvernement de mission sur la base de la feuille de route est encore possible ? ou est-ce qu'il faut à ce moment-là changer la donne et aller peut-être dans une voie plus systémique de recomposition politique au Liban?« , a-t-il dit, qualifiant cette piste de « très aventureuse ». Le président Michel Aoun doit maintenant relancer les consultations parlementaires contraignantes pour nommer une personnalité chargée de former un gouvernement. « Cela va prendre du temps », résume Maha Yahya, directrice du centre Carnegie-Moyen Orient. « En attendant, on se retrouve avec un gouvernement d'affaires courantes qui ne peut pas prendre de décisions et surtout pas négocier un plan de sauvetage économique avec le Fonds monétaire international. » Quid du Hezbollah ? Les efforts de M. Adib ont été largement obstrués par deux partis chiites, le puissant mouvement armé du Hezbollah, qui domine la vie politique libanaise, et son allié Amal, déterminés à garder le ministère des Finances. M. Macron s'est montré très virulent vis-à-vis du Hezbollah, abandonnant le ton conciliant des dernières semaines. Le Hezbollah « ne doit pas se croire plus fort qu'il ne l'est ». Ce parti « ne peut en même temps être une armée en guerre contre Israël, une milice déchaînée contre les civils en Syrie et un parti respectable au Liban. C'est à lui de démontrer qu'il respecte les Libanais dans leur ensemble. Il a, ces derniers jours, clairement montré le contraire », a-t-il lancé. L'Iran, qui finance et arme le Hezbollah, a assuré être en contact avec Paris et soutenir les efforts français s'ils sont « bien intentionnés », évoquant des contacts avec des groupes libanais pour aider à « résoudre le problème ». Le chef du Hezbollah Hassan Nasrallah doit s'exprimer mardi. L'aide humanitaire au Liban ? Avec ou sans gouvernement, la France va organiser avec l'ONU une nouvelle conférence d'aide pour le Liban, d'ici fin octobre, après avoir levé le 9 août 250 millions d'euros avec ses partenaires. L'assistance humanitaire ira directement à la population, « par le seul truchement des organisations non gouvernementales de terrain et des agences des Nations Unies », a réitéré M. Macron. Après l'explosion, les responsables politiques, accusés de profiter depuis des décennies de la corruption endémique, ont été fustigés pour leur passivité. M. Macron prévoit aussi dans les semaines à venir une réunion internationale pour discuter du calendrier de réformes et des conditions posées par la communauté internationale pour débloquer des milliards de dollars d'aide. « La première (condition) sera d'exiger que les résultats de l'enquête sur les causes de l'explosion du 4 août soient enfin établis et rendus publics, et que les responsables soient désignés », a-t-il dit. Aller simple pour « l'enfer » ? M. Aoun, allié du Hezbollah, avait averti la semaine dernière que, sans gouvernement, le Liban se dirigeait vers « l'enfer ». Depuis un an, la livre libanaise connaît une dépréciation inédite et les Libanais n'ont plus un accès libre à leur épargne en raison de restrictions bancaires draconiennes. La crise a entraîné des licenciements massifs et des baisses de salaires. Plus de la moitié des Libanais vivent désormais dans la pauvreté, selon des statistiques officielles. Dans ce contexte, difficile d'être optimiste. « A défaut d'aller en enfer, nous assisterons à une fragilisation de toutes les institutions publiques et à une aggravation de la crise économique », pronostique le politologue Karim Bitar. L'expert attend une vague d'émigration qui priverait le pays « de sa population active et de sa classe moyenne ». « Le Liban pourrait se retrouver avec une oligarchie qui s'accroche au pouvoir et une paupérisation de ceux qui restent. »