Les avocats du Front national de défense de la Constitution (FNDC) dénoncent la volonté du chef de l'Etat de «déporter le débat sur le terrain ethnique». Le président Alpha Condé a donné des accents guerriers et communautaires, mercredi 23 septembre, à la campagne pour l'élection présidentielle en Guinée, à laquelle il se représente pour un troisième mandat contesté par l'opposition. «Cette élection n'est pas seulement une élection, c'est comme si nous étions en guerre», a déclaré M. Condé, dont les propos en langue malinké par visioconférence à ses partisans à Siguiri, son bastion électoral de l'est du pays, ont été diffusés par la télévision nationale. «Les autres candidats ont fait un bloc pour me combattre», a-t-il rappelé, en référence à la décision de ses onze adversaires au scrutin prévu le 18 octobre de former un collectif pour parler d'une seule voix sur le processus électoral. M. Condé s'exprime habituellement en français durant ses interventions officielles nationales. Dans son premier discours de campagne, le 19 septembre, également en malinké, il avait mis en garde les électeurs de Kankan (est) contre la tentation d'apporter leurs suffrages à un autre candidat issu de cette communauté. «Si vous votez pour un candidat malinké qui n'est pas du RPG [Rassemblement du peuple de Guinée, au pouvoir], c'est comme si vous votiez pour Cellou Dalein Diallo», son principal opposant, avait affirmé M. Condé. «Dans la région du Fouta, il n'y a pas d'autre candidat que Cellou», avait-il souligné en référence au Fouta-Djalon (centre), à population majoritairement peule et fief électoral de M. Diallo. Crainte de «violences électorales» Les Peuls et les Malinké sont les deux principales communautés du pays, dont ils constituent plus des deux tiers des 12 millions d'habitants, selon les estimations. L'appartenance ethnique est considérée comme un facteur de vote déterminant en Guinée. Ancien opposant historique, M. Condé, 82 ans, premier président démocratiquement élu en 2010 après des décennies de régimes autoritaires, a été réélu en 2015. Il a fait adopter, lors d'un référendum contesté en mars, une nouvelle Constitution qui maintient la limite de deux mandats présidentiels. Mais lui et ses partisans arguent que ce changement de loi fondamentale remet les compteurs à zéro. Ses adversaires dénoncent un «coup d'Etat constitutionnel». La protestation contre une nouvelle candidature de M. Condé, à l'appel du Front national de défense de la Constitution (FNDC), a mobilisé depuis octobre 2019 des milliers de Guinéens. Plusieurs de ces manifestations ont été durement réprimées et des dizaines de civils ont été tués lors de heurts. Les avocats français du FNDC ont écrit à la procureure de la Cour pénale internationale (CPI), Fatou Bensouda, dans un courrier rendu public, pour lui signaler les premières déclarations de campagne de M. Condé. «Ces propos traduisent la volonté de M. Alpha Condé de déporter le débat sur le terrain ethnique, avec le risque d'alimenter des clivages au sein même de la population», écrivent les avocats William Bourdon et Vincent Brengarth. «Ces éléments nous font sérieusement craindre de nouvelles violences électorales à relent ethnique», ajoutent-t-ils, rappelant que le FNDC a lancé un mot d'ordre de mobilisation à partir du 29 septembre pour le départ de M. Condé. Allègement des mesures sanitaires Mercredi, une mission d'experts de la Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest (Cédéao) a jugé que les listes électorales, comportant 5,4 millions d'inscrits, permettaient en l'état la tenue du scrutin présidentiel. «Le fichier électoral de Guinée, débarrassé de toutes les anomalies rencontrées au regard du Code électoral, est de qualité suffisante pour les prochaines élections», a déclaré le général Francis Béhanzin, commissaire paix et sécurité de la Cédéao. «Ici en Guinée, de plus de 7 millions nous sommes quand même passés à un peu plus de 5 millions, c'est quand même important», a-t-il souligné, en référence aux 7,7 millions d'inscrits avant le référendum, dont près d'un tiers avaient été radiés avant le vote. La présidence guinéenne a par ailleurs annoncé un allègement des mesures sanitaires contre le coronavirus pour les transports, les bars et les restaurants, ainsi que les activités socio-culturelles et sportives. Elle justifie cet assouplissement des mesures imposées à la population depuis presque six mois par une «revue de la situation épidémiologique, dont les résultats ont été jugés encourageants». Les taxis peuvent de nouveau prendre quatre passagers à l'arrière au lieu de deux et le prix de la course est divisé par deux. Les minibus ne sont plus contraints de limiter leur capacité à la moitié des places.