La gestion du régime de l'Assurance maladie obligatoire (AMO) pâtit d'un ensemble de dysfonctionnements relatifs à la gouvernance et à la couverture des dépenses de soins, a affirmé mardi à Rabat, le Premier président de la Cour des comptes, Driss Jettou. Dans un exposé devant les deux Chambres du Parlement sur les activités des juridictions financières au titre de l'année 2018, Driss Jettou a expliqué que les deux missions menées par la Cour au niveau des deux Caisses qui assurent la gestion de l'AMO ont relevé que ce régime « a accusé des délais très longs pour la concrétisation de l'ensemble de ses composantes, outre un ensemble de dysfonctionnements relatifs à la gouvernance, à la couverture des dépenses de soins et à l'équilibre financier du régime ». S'agissant de la gouvernance du régime, la Cour observe que son cadre juridique reste incomplet, dans la mesure où un ensemble de textes réglementaires nécessaires à la mise en œuvre des dispositions de la loi n° 65.00 portant code de couverture médicale de base n'ont pas été publiés après plus de 14 ans de la promulgation de cette loi, a souligné Driss Jettou, relevant que cette situation a impacté négativement la gestion du régime et n'a pas permis une saine application de ses dispositions. Au niveau de la régulation du régime, poursuit le responsable, le législateur visait à travers la création de l'Agence nationale d'Assurance maladie et son placement sous la tutelle de l'Etat, l'amélioration de ses prérogatives et la préservation de son indépendance. «Cependant, son positionnement institutionnel, sous la tutelle du ministère de la Santé, ne lui permet pas d'assumer pleinement son rôle en matière d'arbitrage, de régulation et de sanction, le cas échéant, à l'égard de l'ensemble des acteurs du système de couverture sanitaire de base», a-t-il expliqué. Dans le même contexte, Driss Jettou relève que «la tarification nationale de référence, bien qu'elle soit considérée comme l'un des principaux instruments qui fixent les rapports entre les institutions chargées de la couverture et les professionnels, n'a fait l'objet d'aucune révision depuis le lancement en 2006 du régime de l'AMO». En outre, la Cour observe au sujet de la couverture des dépenses médicales que l'AMO, dans sa situation actuelle, ne permet pas le remboursement des frais relatifs à des prestations et dispositifs récents issus des innovations médicales du fait du déphasage avec le développement continu des sciences médicales et de l'absence d'une actualisation régulière de la nomenclature des actes médicaux. Concernant l'équilibre financier du régime, la Cour des comptes a constaté que le régime d'assurance bénéficiant aux salariés du secteur privé a maintenu son équilibre sur la période 2006-2018, mais cette situation peut changer durant les prochaines années, sous l'effet de la hausse de la consommation des soins et prestations médicaux ainsi que de l'augmentation prévisible des niveaux de la tarification nationale de référence. A l'inverse, a poursuivi Driss Jettou, le régime des fonctionnaires du secteur public enregistre une dégradation continue au cours de la période 2006-2018, dans la mesure où l'année 2016 a vu l'apparition du premier déficit technique, qui a atteint près de 273 millions dirhams en 2018. Cette situation est due principalement, selon lui, à la faiblesse des recettes ainsi qu'à l'absence de révision des taux de cotisations depuis plus de 14 ans, au plafonnement du montant de la cotisation, à concurrence de 400 dirhams par mois, quel que soit le niveau du salaire, à la dégradation du ratio démographique de couverture des adhérents actifs comparativement aux retraités, qui a régressé en passant de 3,8 actifs pour un retraité en 2006 à 1,7 en 2018. Compte tenu de l'ensemble de ces données, «le régime de l'AMO pour les fonctionnaires du secteur public ne pourra retrouver ses équilibres sans un relèvement progressif des taux de cotisation, prenant en considération les impacts financiers actuels et prévisibles des divers éléments de charges que supporte le régime, sur le court et moyen terme», a noté Driss Jettou. S'agissant des bénéficiaires des financements que permet de générer le régime de l'AMO, la Cour relève la faible part qui est captée par les unités hospitalières publiques et qui ne dépasse pas, à titre indicatif, les 6% de l'ensemble des dépenses de soins de la CNOPS. Cette part est encore plus réduite pour le régime qui est géré par la CNSS, soit 2%. La Cour des comptes considère que l'équilibre et la pérennité du régime supposent que ses réserves soient sauvegardées et améliorées, ce qui ne peut se concrétiser qu'à travers la mise en place des instruments nécessaires de régulation, dont la maîtrise des dépenses de soins médicaux, l'accroissement du niveau des ressources et leur diversification, sachant que ces actions relèvent des missions de l'Agence nationale d'Assurance maladie.