Mohamed Darif fait observer que certaines parties sécuritaires et milieux partisans sont hostiles à toute démarche de normalisation avec Al Adl Wal Ihssane. ALM : Comment analysez-vous l'appel au dialogue d'Al Adl Wal Ihssane ? Mohamed Darif : A vrai dire, il ne s'agit pas de la première fois où Al Adl Wal Ihssane appelle au dialogue. Depuis plus d'une décennie, la Jamaâ prône le dialogue. C'est juste l'appellation qui change. Elle ne s'adresse pas directement à l'Etat mais aux forces politiques concernées par la réforme. Dans un premier temps, Al Adl prônait ce qu'elle qualifiait de «pacte islamique», à travers un dialogue qui n'exclut personne. Cet appel a été critiqué à la fois par les gauchistes et les islamistes. Ces derniers ont estimé que la Jamaâ cherchait à imposer sa logique et son hégémonie. Par la suite, Al Adl a commencé à parler d'un «pacte national global fondé sur l'Islam». Les forces politiques ont, encore une fois, refusé cette formule, en disant qu'elle ne diffère pas de la première. Dans le cadre du communiqué récent d'Al Adl, la Jamaâ parle d'une troisième formule, à savoir «un dialogue global sur la base d'un pacte national». La nouveauté dans ce nouvel appel c'est que Al Adl ne fait plus référence à l'Islam. Quelle est la signification de cette position d'Al Adl ? En fait, Al Adl cherche une plate-forme commune avec les autres forces politiques concernées par la réforme et le changement. Depuis toujours, Al Adl a été accusée de vouloir instaurer un Etat religieux au Maroc et qu'elle cherche à imposer le modèle de la Khilafa. A travers ce nouvel appel au dialogue, la Jamaâ veut dire aux autres qu'elle ne possède pas les clés de la solution. Al Adl nous dit qu'elle est une partie parmi d'autres. Apparemment, Al Adl s'adresse uniquement aux forces politiques, mais le non-dit dans le communiqué d'Al Adl c'est qu'il s'adresse indirectement à l'Etat. La Jamaâ veut montrer à l'Etat qu'elle croit au dialogue et qu'elle pense aux intérêts supérieurs de la Nation, contrairement à ce qui est véhiculé à propos d'elle. En se référant à l'historique de la Jamaâ, on trouve qu'Al Adl revoit toujours son discours. La conjoncture actuelle est-elle propice à un dialogue avec Al Adl ? Dans le cadre de l'étape actuelle de la transition instaurée par la nouvelle Constitution, la préservation des intérêts supérieurs de l'Etat exige de n'exclure personne du dialogue, notamment les forces politiques et religieuses qui ont une présence sur la scène et qui ont une capacité de mobilisation des citoyens. Donc, il est temps pour l'Etat d'entamer un dialogue avec Al Adl. L'enjeu est de trouver la meilleure manière pour impliquer Al Adl dans le jeu démocratique, à partir du moment où la Jamaâ dit aujourd'hui qu'elle est pour la démocratie, l'Etat-civil et le respect des droits de l'Homme. Il est à constater que certaines parties sécuritaires et certains milieux partisans sont hostiles à toute démarche de normalisation avec Al Adl Wal Ihssane. Les premiers estiment que le maintien d'un climat de tension avec les islamistes serait de leur intérêt. Les seconds voient d'un mauvais œil l'entrée sur la scène d'une force politique ayant une grande capacité de mobilisation. Al Adl estime dans son communiqué que les résultats du référendum sont falsifiés. Qu'en pensez-vous ? Al Adl est un Mouvement qui fait de la politique. A partir du moment où ceux qui soutiennent la nouvelle Constitution disent que le Mouvement du 20 février et Al Adl, qui appelaient au boycott du référendum, ont été battus, il est normal que ces derniers vont défendre leur position, notamment en disant que le référendum serait falsifié ou qu'une grande partie des citoyens aurait boycotté l'opération de vote. Cela entre dans le cadre de la logique de la lutte politique.