Il se disait que le Roi n'était pas hostile à l'inscription de la liberté de conscience dans la nouvelle Constitution, mesure que proposaient les membres de la Commission chargée d'élaborer le projet de révision constitutionnelle. Mais les islamistes et les conservateurs ne pouvaient pas l'envisager. Ces dernières semaines, ils ont fait entendre leur opposition à toute ouverture constitutionnelle quant à la liberté de culte et de croyance. Le secrétaire général du PJD (Parti de la justice et du développement), Abdelilah Benkirane, a proclamé haut et fort que la reconnaissance de la liberté de croyance aurait «des conséquences néfastes sur l'identité islamique» du pays. Et de désigner les menaces qui, selon lui, pèseraient alors: «Que signifie la liberté de conscience? Qu'on permette à certains laïcs de rompre publiquement le jeûne pendant le mois de Ramadan? Que la liberté sexuelle et l'homosexualité soient banalisées et publiques?». Des arguments de type populiste volontairement grossiers qui, malheureusement, touchent les gens qui n'ont pas le recul nécessaire pour vraiment juger de la situation. Le PJD a trouvé des alliés chez d'autres composantes conservatrices de la société, qui ne partagent pas sa vision politique mais qui, en revanche, ont tout aussi peur que lui que soit fragilisée l'appartenance historique et civilisationnelle du Maroc à la Nation arabe et islamique. Parmi eux les néo-soufis de la Boutchichiyya. Devant cette levée de boucliers, il apparaît que le Souverain préfère ne pas brusquer les choses. Adieu, donc, à la liberté de conscience. Les Marocains nés dans l'Islam ont l'obligation d'y rester, quoi qu'ils puissent croire et penser en leur for intérieur. Les croyants des autres fois qui vivent au Maroc ont le droit de pratiquer leur culte s'il s'agit du christianisme ou du judaïsme, mais à condition de ne pas chercher à séduire à leur foi des personnes nées dans l'Islam (l'article 220 du Code pénal actuel prévoit de trois mois à trois ans de prison pour qui contreviendrait à cette interdiction). Selon la législation marocaine en vigueur – qui devrait ne pas changer –, la liberté de conscience ne saurait jouer que dans un sens : la conversion bienvenue de chrétiens ou de juifs à l'Islam. En renonçant à cette avancée dans le domaine des libertés, le Maroc se met en délicatesse avec la Déclaration universelle des droits de l'Homme de 1948 qui stipule en son article 18 que «toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion seule ou en communauté, tant en public qu'en privé». L'abandon de cette réforme ne peut, aussi, que créer un déchirement intérieur chez les millions de Marocains de la diaspora qui vivent dans des sociétés où ils bénéficient avec bonheur de la liberté de conscience. Libres à l'étranger, contraints au sein de leur mère patrie? Pourtant, la reconnaissance de la liberté de conscience ne serait-ce pas le témoignage d'une foi musulmane adulte, d'une religion tranquille et non point apeurée?