Le sang coule chaque jour en Syrie. A Damas comme dans diverses régions du pays, la révolte contre le régime de Bachar Al-Assad, commencée il y a plus de trois mois, ne s'éteint pas malgré une répression féroce. A la non-violence des manifestants répond la force brutale d'un régime militaro-affairiste qui considère qu'il ne peut faire preuve d'aucune marque de faiblesse, au risque, autrement, de s'écrouler. Les Nations Unies et les puissances occidentales dénoncent les massacres de civils, les arrestations et les tortures, et conjurent, sans succès, le président syrien d'ouvrir le dialogue avec ses opposants. La Russie soutient toujours le régime en place. La Turquie, qui voit arriver des réfugiés à ses frontières, s'inquiète. Les dirigeants arabes préfèrent rester silencieux, craignant que si le régime des Assad s'effondre, l'anarchie lui succède, et que cela ait un effet d'entraînement dans leurs propres pays. Depuis un coup d'Etat perpétré le 8 mars 1963, la Syrie est dirigée par une famille, les Assad, qui appartient à une minorité religieuse: les Alawites Nosairis. Grâce à Hafez Al-Assad ( son fils Bachar lui a succédé après sa mort en 2000 ), cette communauté s'est assurée progressivement le contrôle total du pouvoir, de l'appareil civil et militaire de l'Etat, et des ressources économiques et financières du pays. Pourtant, elle ne constitue que 12% de la population syrienne. Cette main-mise d'une minorité sur le pouvoir a été rendue possible parce que, durant plusieurs siècles (sous l'empire ottoman puis à l'époque du mandat français qui a suivi l'effondrement de cet empire), les élites syriennes sunnites, majoritairement commerçantes ou religieuses, ont négligé les secteurs de contrainte de l'Etat : armée, police, administration fiscale et douanière, qui étaient en des mains étrangères. Les Alawites, eux, ont compris l'intérêt qu'il y avait à les investir. Mais qui sont ces Alawites Nosairis? Ils sont communément appelés «Alawiyyin» (c'est-à-dire partisans d'Ali ) par les sunnites, ce qui peut entraîner la confusion avec notre dynastie filalienne marocaine sunnite appelée «dynastie alaouite» car elle revendique sa descendance avec le Prophète Mohammad via Abdallah Kamil, l'un des arrière-petits-fils d'Ali et de Fatima dont la tradition dit qu'il est venu s'installer au Tafilalet. Ces «Alawiyyin» sont nés d'une dissidence à l'intérieur du chiisme, quand dans les années 860 un certain Ibn Nosayr, originaire de Bassorah, s'est mis à prêcher une doctrine qui divinise Ali au sein d'une triade dont Mohammad et son compagnon Salman sont les autres pôles. Combattus en Irak, ces sectateurs se sont retrouvés en Syrie du Nord où leur doctrine trinitaire a trouvé des échos favorables parmi des populations encore fortement imprégnées de christianisme oriental. Persécutés au cours de siècles par les sunnites, les Alawites ont réussi à se conserver un territoire dans les montagnes côtières qui surplombent Lattaquieh. Durant le mandat qu'elle a exercé en Syrie dans les années 1920-1930, la France, gouvernant sur le principe de la division et en favorisant les minorités, a créé le «Territoire autonome des Alaouites». Aujourd'hui, les Alawites Nosairis jouent de manière sanglante leur «va-tout».