La crise du blé est plus ravageuse que la crise du pétrole. Le prix du blé porte en lui la combustion incandescente des incendies en Russie. Et ce n'est certainement pas les eaux des inondations de l'Australie, autre grand fournisseur mondial, qui apaiseront sa flambée. Au contraire, il est à parier qu'elles vont l'aggraver. Ce qui se passe donc en Tunisie et en Algérie nous indique combien l'emballement des prix que recèle la crise alimentaire peut avoir comme effets redoutables sur les économies fragiles. Toutefois, la crise alimentaire et sa dimension inflationniste comme facteurs demeurent insuffisants pour donner la mesure de ce qui se passe en Tunisie. L'émeute, longtemps contenue et encellulée, est impressionnante par son ampleur et sa durée. Du coup, il y a des choses à méditer dans l'exemple. La bienveillance dont bénéficiait le régime tunisien, en particulier chez les démocraties occidentales aujourd'hui embarrassées, avait pour socle justement la croissance économique (5%). C'est ce qui naguère faisait dire à Chirac devant les Tunisiens «que le premier des droits de l'Homme, c'est manger». Mais la véritable raison de l'indulgence reposait surtout sur l'argument massue que le pouvoir tunisien, pour dur qu'il est, est à l'avant-garde de la lutte contre les islamistes. Or la crise économique, la flambée des prix, le désœuvrement en particulier des jeunes surtout quand ils sont formés et diplômés sont déjà un cocktail explosif. Celui-ci devient une nitroglycérine dévastatrice s'il est adossé sur un fond de décor où règnent la corruption, le clientélisme outrancier, la répression policière et surtout le sentiment d'injustice. Or, il s'avère que le goût de la justice a la même saveur que le pain chaud, si ce n'est plus. Personne ne pouvait imaginer que l'incident du 17 décembre de Sidi Bouzid pouvait être une étincelle capable de provoquer un tel déluge de protestation et ce déchaînement d'émeutes chez ce peuple doux et éclairé. Dans son geste de désespoir, en s'immolant, le jeune Tunisien diplômé et vendeur ambulant, signifiait au pouvoir tunisien que si celui-ci n'était pas capable de lui trouver du travail, qu'il accepte au moins de lui permettre la démerde comme moyen de survie et l'informel comme ressort. Sa mort revêt donc une dimension sacrificielle sur l'autel d'une injustice ressentie et nourrie par les démonstrations de richesses indues et la rumeur de corruption outrancière. Pour lutter efficacement contre l'islamisme, l'essor économique, si tant est que ses fruits soient bien partagés, ne suffit pas. Il y a un impérieux, un vital besoin de justice, de démocratie et de sentiment de liberté. Sans quoi, on fabrique justement le lit de l'islamisme.