En une semaine, deux décès dans des cliniques de Casablanca ont soulevé un tollé général. Les familles des deux victimes sont convaincues que leurs proches sont morts suite à des erreurs médicales. Un tabou brisé. L'erreur médicale. Le sujet relève du tabou. L'évoquer, c'est s'exposer à plus d'une résistance et à une absence aussi totale que voulue d'informations. Pourtant, les victimes sont nombreuses. La souffrance des parents et des proches est bien réelle. Souvent, ils sont condamnés au silence, moyennant, dans les meilleurs des cas, des indemnisations qui sont loin de compenser le dommage subi. Mais doucement et sûrement, la loi du silence est en passe d'être brisée. En témoigne la manifestation, mercredi 21 janvier, aux abords de la clinique Ghandi (Casablanca). Une manifestation de protestation contre « l'erreur médicale » dont aurait été victime le professeur de mathématiques, également militant des droits de l'Homme, Lahbib Hawas. Ses proches sont catégoriques. Hawas a fait les frais d'une négligence de la part de l'équipe médicale qui l'a opéré. Il devait subir une opération chirurgicale de la vésicule biliaire. Il en est décédé. Moins d'une semaine après, un autre drame se produit. La ressemblance des faits est troublante. Un autre professeur de mathématiques à Casablanca, Ahmed Dyouri, trouve la mort vendredi 23 janvier après une opération d'extraction de la cataracte. Les deux tragédies ont provoqué la protestation énergique des familles, amis et collègues des défunts avec des sit-in organisés devant les établissements mis en cause. Les morts de ce genre ont toujours existé. Mais c'est la première fois que les Marocains osent manifester et demander à ce que des enquêtes soient ouvertes. Mais déterminer s'il s'agit bien d'une faute est loin d'être une sinécure. Le manque d'informations est la règle. Un manque lié aussi bien à la nature du sujet, puisqu'on ne peut pas déterminer si la faute en est bien une ou pas, qu'à la résistance qu'opposent les concernés. Ces derniers ne sont autres que les médecins eux-mêmes. Aucun chiffre sur le nombre de décès par erreur médicale n'est communiqué. S'adresser à l'Ordre national des médecins n'est d'aucun secours. L'un des arguments avancées cependant reste que le médecin est tenu, de par loi, d'une obligation de moyens et non pas d'une obligation de résultats. Cela signifie qu'un médecin n'est pas tenu de guérir, mais d'essayer, avec tous les moyens dont il dispose, de prodiguer des soins à son patient, « en bon père de famille ». Pour engager la responsabilité du médecin dans une erreur donnée, il ne suffit donc pas de dire qu'il y a absence de résultats. Cette responsabilité est établie en fonction de trois paramètres : l'existence d'une faute, d'un préjudice subi et d'un lien de causalité entre les deux. La faute est, quant à elle, définie comme un dépassement par le médecin des limites conventionnelles dans l'exercice de son art. Elle est évaluée par rapport à l'attitude d'un autre médecin, prudent et diligent, placé dans les mêmes circonstances. La faute médicale peut être relevée à différentes phases : le diagnostic, le traitement, l'opération et les traitements post-opératoires. En matière de diagnostic, on ne peut pas parler de faute, sauf dans le cas où il y a omission grave, ayant entraîné des dommages regrettables. Si l'incompétence ou la négligence de certains médecins a été prouvée dans plus d'un cas, le manque en équipements et infrastructure médicale de base participe également à entraîner davantage de victimes. A cela s'ajoute le coût, pour le moins inaccessible aux masses, que représente un traitement au sein d'un établissement privé. Les facteurs sont aussi multiples que liés les uns aux autres, même si chaque cas a ses propres spécificités. La question qui se pose d'elle-même a trait aux mesures entreprises contre le médecin ayant commis la faute et les réparations auxquelles les proches de la victime ont droit. Deux cas de figure sont possibles. Il existe d'une part la possibilité de porter plainte devant l'Ordre des médecins. Cette procédure est efficace quand il y a un comportement particulièrement choquant du médecin ou une erreur manifeste de prescription. Le praticien est alors jugé par ses pairs et risque une suspension, voire une radiation. Mais cette procédure reste encore peu transparente pour les victimes qui doivent se contenter d'attendre le résultat. Le recours à la justice est également possible quand il s'agit d'une imprudence grave du médecin ou de l'hôpital et que cette dernière a eu des conséquences particulièrement dramatiques (décès ou handicap définitif). Et c'est au juge de décider de la sanction qui peut aller jusqu'à l'emprisonnement. Ce dernier, en cas d'enquête judiciaire, ne peut cependant se passer de l'avis d'un expert, un médecin, pour qualifier les faits. Il se trouve que les médecins ont rarement tendance à se dénoncer les uns les autres. Difficile donc d'établir une quelconque responsabilité. Une difficulté qu'accentue l'ignorance de plusieurs familles quant aux lois et voies à emprunter pour que justice soit faite. Le recours à l'autopsie est, quant à lui, considéré dans la culture populaire marocaine comme une atteinte à la sacralité de la dépouille. C'est dire que malgré le sursaut de la société civile à l'égard de l'erreur ou la faute médicales, l'heure où l'on fera éclater la vérité au grand jour est encore à venir.