Pour Najia Adib, présidente de l'association «Touche pas à mes enfants», la situation de la pédophilie au Maroc est très alarmante et sa lutte nécessite une stratégie bien établie. ALM : À la Chambre des représentants, la ministre du Développement social, de la Famille et de la Solidarité a affirmé que 52 % des cas de violences sexuelles à l'égard des enfants sont commis par des proches. Qu'en pensez-vous ? Najia Adib : Le pourcentage de 52% ne reflète pas la réalité. D'après les cas que l'association «Touche pas à mes enfants» avait reçus durant les années de son travail sur le terrain, le pourcentage de la violence sexuelle commise par des proches sur les enfants dépasse 70 %. En plus, au Maroc, il n'y a pas de statistiques exactes, ni des études qui analysent scientifiquement ce fléau qui ronge notre société. Outre les cas que nous recevons à l'association, j'ai croisé plusieurs personnes, dans les séminaires, les congrès, les conférences et les rencontres qui m'ont confié leurs souffrances après avoir été abusées par un proche lorsqu'ils étaient enfant. Ils voulaient juste parler et s'exprimer. Mme la ministre a précisé même que l'inceste ne touche que 8 % des enfants victimes de violences sexuelles. Qu'en pensez-vous ? Il faut être certain que les chiffres et les pourcentages avancés, soit par les ministères soit par les associations de la société civile, à propos de la violence sexuelle à l'égard des enfants, ne reflètent jamais la réalité. Car, si le ministère du Développement social, de la Famille et de la Solidarité a ses propres chiffres et pourcentages, le ministère de la Justice en a d'autres qui ne ressemblent pas à ceux qui sont enregistrés par la DGSN. Par exemple, si les services de cette dernière arrêtent un nombre quelconque de pédophiles qui ont avoué leur crime, les tribunaux peuvent acquitter quelques uns parmi eux. Et voilà, le chiffre des pédophilies n'est plus celui qui concerne les mis en cause que leur a présenté la police. Qui a raison et qui a tort ? Quel chiffre devons-nous croire ? Et qu'en est-il de la situation réelle? Elle est très alarmante, voire catastrophique. Les pédophiles courent librement derrière nos enfants sans souci. Ils ne pensent même pas aux peines d'emprisonnement qu'ils encourent. Pourquoi ? Pour répondre à ce pourquoi, il est indispensable de vous donner deux récents exemples concernant deux pédophiles. L'un à Imintanout. C'est un jeune homme qui a abusé d'un garçon de treize ans. Et le tribunal l'a condamné à six mois de prison ferme assortie d'une amende de cinq mille dirhams. Le second est à Ben Ahmed. Un homme âgé de trente-huit ans a abusé une fillette de trois ans. Et il a été condamné uniquement à trois mois de prison ferme assortie d'une amende de trois mille dirhams. C'est incroyable, mais vrai. On le juge coupable d'attentat à la pudeur sur une mineure et on le condamne de trois mois ! C'est une contradiction flagrante. Pourquoi ces pédophiles ne craignent pas la machine judiciaire ? Je ne sais pas pourquoi les magistrats sont très cléments envers eux alors que la loi prévoit des condamnations allant de 10 à 20 ans de réclusion criminelle. C'est vrai que nous réclamons la peine capitale contre ces pédophiles, mais maintenant, nous réclamons seulement l'application des peines prévues par le code pénal. Y a-t-il une stratégie de travail établie par les associations de la société civile pour combattre la pédophilie ? Si je prends à titre d'exemple l'association que je préside, nous avons une stratégie de travail bien établie. Elle se base surtout sur les campagnes de sensibilisation qui ciblent aussi bien les enfants que leurs parents et sur le soutien et l'accompagnement de la victime et de sa famille soit du côté judiciaire soit du côté psychiatrique. Et je crois qu'on est arrivé à notre premier objectif, à savoir briser le tabou et encourager les gens à parler de la pédophilie sans complexe, sans crainte et sans pudeur. Mais le problème est du côté du gouvernement qui semble ne pas avoir de stratégie contre ce fléau. Il n'y a que des chiffres erronés et des discours sans avoir une stratégie établie par les ministères de l'éducation nationale, de l'Intérieur, du Développement social, de la Famille et de la Solidarité et de la Justice susceptible de combattre la pédophilie.