La presse parisienne fait régulièrement ses choux gras sur une incontrôlable jalousie qui confinerait à l'obsession que Nicolas Sarkozy éprouverait à l'égard du président américain. S'il n'y avait cette ampleur presque inédite du drame que vit Haïti avec des opérations de sauvetage en direct, une course contre la montre pour secourir les survivants et les enterrés vivants et cette opération de mobilisation de la communauté internationale en urgence absolue pour venir en aide à cette île ravagée, le cafouillage français sur cette crise aurait pris d'importantes proportions. Il n'en révèle pas moins précipitation et incohérence de l'appareil diplomatique français. L'histoire avait commencé lorsque le secrétaire d'Etat à la Coopération Alain Joyandet, le menton viril, la posture fière, avait déclamé aux journalistes cette sentence tranchée : «Via l'ambassade américaine, j'ai fait une protestation officielle auprès de Washington». Le responsable français faisait allusion à la décision des autorités américaines qui gèrent le trafic aérien à l'aéroport de Port-au-Prince de refuser dans un premier temps l'atterrissage d'un avion français transportant un hôpital de campagne. Et comme si Alain Joyandet sentait le coup venir, il a pris soin de préciser que cette protestation officielle française élevée en direction de Washington avait été validée par le Quai d'Orsay de Bernard Kouchner, Matignon où siège le Premier ministre François Fillon et l'Elysée par le biais de son secrétaire général Claude Guéant. Les braises de cette protestation n'ont pas encore eu le temps de refroidir que le ministère des Affaires étrangères par la voix de son porte-parole Bernard Valero s'est empressé d'apporter une dénégation cinglante : «Il n'y a eu aucune protestation du gouvernement français au sujet de la gestion de l'aéroport de Port-au-Prince». Qui croire dans cette circonstance ? Le secrétaire d'Etat Alain Joyandet dont le pedigree politique est peu habitué aux plaisanteries de potache ou aux coups de sang incontrôlés ? Ou la grande machine du Quai d'Orsay dont le poids des mots et des virgules a encore un sens ? Etant donné la proximité presque instantanée des deux séquences, les médias français se sont amusés à les mettre côte à côte, une manière de souligner davantage ce grand cafouillage de la parole diplomatique française. Cet épisode haïtien souligne, si besoin est, deux points essentiels. Le premier touche aux difficiles relations que Paris et Washington entretiennent depuis l'arrivée d'Obama aux affaires. La presse parisienne fait régulièrement ses choux gras sur une incontrôlable jalousie qui confinerait à l'obsession que Nicolas Sarkozy éprouverait à l'égard du président américain. Le second point touche aux dysfonctionnements de plus en plus difficiles à cacher qu'il y a entre l'entourage diplomatique de Nicolas Sarkozy et le ministère des Affaires étrangères. Bernard Kouchner lui-même a reconnu l'existence «des difficultés quotidiennes» qu'il y avait à traiter avec des hommes comme Claude Guéant le secrétaire général de l'Elysée ou Jean David Levitte, le toujours influent conseiller diplomatique de Nicolas Sarkozy. Acculé à commenter cette situation, Bernard Kouchner préfère la jouer sur un ton humoristique : «Ils (Levitte et Guéant) me supportent aussi, croyez-moi, c'est équilibré».