Mohamed Achaâri, membre du bureau politique de l'USFP, apporte son éclairage sur la polémique qui oppose la formation socialiste au parti de l'Istiqlal, deux composantes principales de l'actuel gouvernement. ALM : Qu'est-ce qui ne va pas entre le parti de l'Istiqlal et l'USFP ? Mohamed Achaâri : Je vous garantis que rien de très grave jusqu'à présent, puisque nous sommes partenaires à la même majorité et nous travaillons ensemble dans le cadre de la Koutla. Certes, il arrive des fois que des questions qui concernent la gestion d'un certain nombre de dossiers nous interpellent et nécessitent des fois des prises de position différentes. D'autre part, c'est normal que tout parti politique appartenant à une majorité exprime son avis sur des questions d'ordre politique ou social. Le fait d'appartenir à une majorité nous impose une certaine solidarité mais ne nous prive pas de notre droit de critiquer. Nous avons l'habitude de discuter. Certes, nous conservons une marge de critique mais il ne faut pas exagérer. Il n'y a pas de crise grave mais il y a des prises de position qui ne sont pas toujours identiques. C'est la vie au quotidien d'un gouvernement. Les différends concernent certaines questions. Je vous rappelle que l'Istiqlal du temps du gouvernement Youssoufi et sous Abbas El Fassi ne manquait pas les occasions pour exprimer son désaccord sur telle ou telle question. La crise entre l'USFP et le PI est telle que certaines voix s'élèvent au sein de votre parti pour appeler au départ du gouvernement. Que pensez-vous de cet appel ? Quitter le gouvernement n'est pas une question exceptionnelle. C'est tout à fait normal dans une démocratie. Je me demande pourquoi on en fait alors un point conflictuel. Il n'y a rien d'extraordinaire là-dessus. Mais l'USFP ne prendra pas cette décision aujourd'hui. Il prendra cette décision le jour où il y aura un désengagement de cette majorité de l'exigence de poursuivre des réformes politiques. Il faut que cette logique de réforme soit présente dans l'action du gouvernement et qu'elle aboutisse à une réforme politique. Le jour où il y aura différend sur ce sujet, il y aura retrait de la majorité. Certains responsables au sein de l'USFP reprochent au Premier ministre de se comporter comme chef du parti de l'Istiqlal et non pas comme chef de gouvernement. Partagez-vous ce constat ? C'est une appréciation qui vaut ce qu'elle vaut. Pour nous, Abbas El Fassi qui est le secrétaire général d'un parti, ami et allié, est aussi le chef de la majorité. Il doit se comporter en tant que tel et qu'il soit un véritable fédérateur. Il faut avoir une vision pour l'avenir, c'est ce que nous attendons de lui. A l'issue de la dernière réunion du bureau politique de l'USFP, vous avez diffusé un communiqué dans lequel vous avez vivement critiqué le Premier ministre. Comment expliquez-vous cette sortie ? Nous présentons dans le cadre de nos réunions des analyses des appréciations et nous arrivons collectivement à arrêter des décisions. Notre décision aujourd'hui est de continuer à travailler et de pousser le gouvernement à prendre les bonnes décisions et de gérer d'une manière sereine les conflits sociaux comme nous avons arrêté la décision déjà exprimée par notre congrès d'aller le plus rapidement possible vers une réforme politique et constitutionnelle. Ce qu'il faut tenir aujourd'hui est que l'USFP est fidèle à son engagement et il fait tout pour maintenir la solidarité au sein de la majorité. Certains accusent l'USFP de se servir de l'appel à des réformes constitutionnelles à des fins électorales. Que répondez-vous à cela ? La réforme est une question beaucoup plus sérieuse pour être utilisée à une fin aussi passagère et aussi réduite que les élections. C'est une question qui ne concerne pas que l'USFP mais qui touche tous les Marocains et je pèse bien mes mots. Tous les Marocains constatent la panne politique qui est la nôtre. Les problèmes qui concernent le gouvernement, le fonctionnement de nos institutions et les partis politiques entre autres. On ne peut faire des surenchères sur une question qui concerne le Maroc de demain. Il y a certainement une crise du politique et il faut y remédier par la réforme. C'est un appel à un débat national. La réforme profitera à nos institutions politiques et non pas seulement aux partis politiques. La décision du gouvernement d'opérer des retenues sur les salaires des grévistes de la fonction publique a profondément divisé l'USFP et le parti de l'Istiqlal. Quelle explication en faites-vous ? Nous avons toujours demandé de clarifier les droits des salariés concernant la grève qui est un droit garanti par la Constitution. Il faut réglementer tout cela dans une vision qui permet aux salariés de jouir de ce droit et à l'Etat de garantir l'intérêt général. Nous revendiquons que cette question soit traitée d'une manière globale. L'USFP n'est nullement contre cette mesure, mais il demande que la question de la grève soit réglementée de manière globale. Le fait de prendre cette mesure sans que les partenaires sociaux y soient associés nous interpelle. Nous considérons que cette démarche n'est pas en mesure de faciliter le dialogue social. Communiqué du bureau politique de l'USFP En marge d'une réunion hebdomadaire du bureau politique de l'USFP tenue, mardi 3 mars, sous la présidence du vice-premier secrétaire Fathallah Oualalou, les membres du bureau ont examiné la récente déclaration du Premier ministre à propos de la décision du gouvernement d'opérer des retenues sur les salaires des grévistes de la fonction publique ainsi que sur la question des réformes politiques. A l'issue de la réunion, le bureau politique a rendu public un communiqué qui estime que les positions de l'USFP font l'objet d'une mauvaise interprétation. D'une part, concernant la question des retenues sur les salaires des grévistes, le bureau politique réitère sa position quant à la légitimité de la grève. Le débat à propos de la décision de la grève est une question liée à la crédibilité du mandat de l'actuel gouvernement. Tout appel à supprimer ce débat consolide l'orientation vers une pensée unique. Le bureau politique estime que le contexte politique, en plus de ce qui est prévu par la Constitution, impose au gouvernement de revenir sur la décision d'opérer des retenues. Il estime que la décision du gouvernement fragilise la position de certaines parties par rapport à d'autres. D'autre part, le bureau politique a regretté les déclarations du Premier ministre à propos de la question des réformes politiques. Le communiqué estime que le Premier ministre en tant que chef de la majorité n'était pas obligé de relater les positions du parti de l'USFP à des courants internes, en plus du fait qu'il n'a pas observé le devoir de réticence que lui impose sa position de chef de la majorité. Le communiqué indique que le Premier ministre est intervenu au lieu et à la place des institutions habilitées à traiter de cette question. Il rappelle à ce sujet que le débat actuel sur l'agenda des réformes s'inscrit dans le cadre du chantier des réformes initié par le Maroc depuis une décennie. Le débat sur une nouvelle génération de réformes institutionnelles consolide la marche vers la consécration de l'Etat de droit. L'appel à la réforme vise l'accomplissement de l'édifice démocratique. Le communiqué a précisé que les dispositions de la Constitution doivent être respectées s'agissant des rapports avec les composantes sociales. L'USFP appelle toujours à la souplesse et à la flexibilité dans le cadre du débat et du traitement des causes qui concernent l'avenir de notre pays et au respect des décisions indépendantes de toutes les composantes du champ politique national, conclut le communiqué.